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Santé - Commentaire

La mutation du vaccin de l’apartheid

La mutation du vaccin de l’apartheid

Même si plus de la moitié de la population mondiale est vaccinée contre le Covid-19, seulement 8 % des habitants des pays au bas de l’échelle des revenus inférieurs ont reçu une dose du vaccin. Chaideer Mahyuddin/AFP

La réaction des États de l’hémisphère Nord à la découverte du variant Omicron de Covid-19 en Afrique du Sud a donné lieu à une autre manifestation – comme si nous avions besoin de preuves supplémentaires – de la riposte inégale contre la pandémie de coronavirus. Le contrecoup essuyé par les pays africains s’est avéré abrupt et extrême, comme si l’interdiction de voyageurs provenant de cette région pouvait un tant soit peu protéger le reste du monde. Cette mesure est un échec, et la fermeture des frontières sera tout aussi inefficace lorsque le prochain variant surgira.

Même si plus de la moitié de la population mondiale est maintenant vaccinée contre le Covid-19, seulement 8 % des habitants des pays au bas de l’échelle des revenus inférieurs ont reçu une dose du vaccin, par rapport à 48 % dans les pays à faible et moyen revenu, et à des taux bien supérieurs dans les pays à revenu élevé. En novembre 2021, les instances sanitaires des États-Unis ont administré plus du double des doses administrées dans toute l’Afrique.

Au vu de ces chiffres, il n’est pas surprenant que des variants inquiétants continuent de se déclarer et de se répandre rapidement dans les pays à bas taux de vaccination. Et cette inégalité n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat direct des politiques obnubilées par l’intérêt national et la mise en réserve des vaccins par les pays nantis.

Même avant la distribution des vaccins, bon nombre d’experts, dont le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé Tedros Adhanom Ghebreyesus, nous prévenaient des conséquences du nationalisme vaccinal. Malgré cet avertissement, les pays nantis ont mis la main sur les stocks de vaccins, dans certains cas acquérant assez de doses pour inoculer plus de neuf fois leur population.

L’été dernier, on a senti le vent tourner. En juin, les membres du G7 se sont engagés à donner ces doses excédentaires aux pays à faible et moyen revenu directement ou par l’entremise de mécanismes comme la facilité de l’accès mondial aux vaccins contre le Covid-19 (Covax). Puisque la plupart des habitants des pays nantis sont vaccinés, on entretenait un certain espoir que le nationalisme vaccinal et la mise en réserve soient mis en veilleuse. Toutefois, ces derniers mois ont démontré que le nationalisme vaccinal n’a pas disparu mais qu’il a plutôt muté.

Les pays nantis, comme les États-Unis, ont commencé à prôner l’administration de doses additionnelles de certains vaccins, même avant que les données cliniques ne viennent étayer le recours à des injections de rappel. En fait, juste avant que l’appel lancé par l’OMS pour interrompre pour un temps la troisième dose jusqu’à ce que les vaccins soient administrés à ceux qui en ont le plus besoin, les États-Unis ont signé un bon de commande de 200 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech pour renforcer l’immunité.

Mais la dose de renforcement immunitaire dans les pays développés n’est pas la seule raison pour laquelle les pays à faible et moyen revenu manquent de doses. Le Canada, l’Espagne et l’Allemagne entre autres se sont engagés il y a plusieurs mois de donner des millions de vaccins contre le Covid-19 directement aux pays à faible et moyen revenu, ainsi qu’à la Covax. Or, les chiffres récents indiquent que la plupart des États n’ont pas encore rempli leurs engagements. Par exemple, le Royaume-Uni, engagé à donner plus de 70 millions de doses, a respecté moins de 7 % de cet engagement.

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Les sociétés pharmaceutiques et les États qui ont les moyens nécessaires ont vite attribué la faible adhésion et l’hésitation vaccinale dans des pays pauvres aux réseaux de santé moins développés. Dans un point presse sur la Covid-19 organisé par la Fédération internationale des fabricants et associations pharmaceutiques, Albert Bourla, le PDG de Pfizer, a déclaré que la réticence vaccinale en Afrique subsaharienne est «  beaucoup plus élevée que le taux de réticence en Europe, aux États-Unis ou au Japon  ». Et ce malgré les données indiquant une réticence vaccinale moins présente en Afrique que dans bien des pays nantis. Les efforts de Bourla visant à détourner l’attention de la faible couverture vaccinale constituaient plutôt un exercice de justification des bénéfices excédentaires de Pfizer.

AstraZeneca, l’une des sociétés pharmaceutiques qui ont pris des dispositions pour assurer un accès équitable à son vaccin au moyen d’un contrat de licence avec le Serum Institute of India, a récemment annoncé qu’elle commencerait à augmenter le prix des doses dans le but de dégager un bénéfice. Cette décision reflète la malencontreuse et inquiétante perception que la pandémie de Covid-19 est terminée.

Les pays nantis ont également mis en avant un argumentaire que les États africains ne disposaient pas des infrastructures et des capacités pour administrer les doses qu’ils ont acquises. Mais cette critique ignore les conditions dans lesquelles les doses ont été livrées. Les dons de vaccins sont souvent arrivés sans préavis, la plupart proches de leur date d’expiration. Les informations étant manquantes sur le type, la quantité et l’état des vaccins reçus, les instances sanitaires ne sont pas préparées pour les distribuer à temps. Malgré ces problèmes, les pays africains sont parvenus à administrer 62 % des doses reçues.

Cette recherche d’un bouc émissaire cache une autre réalité, à savoir que la faible adoption du vaccin en Afrique est le résultat direct de la mise sous réserve des vaccins par les pays nantis et leurs politiques ne tenant compte que de leur intérêt national. Et les efforts pour rectifier cette iniquité ont été bloqués par les mêmes États qui disposaient des surplus de vaccins. Par exemple, une dispense des droits de propriété intellectuelle pour les vaccins anti-Convid-19 est un mécanisme essentiel pour en accroître l’offre. Or, tandis que l’Afrique du Sud et l’Inde ont présenté leur demande d’exemption à l’Organisation mondiale du commerce il y a plus d’un an, la demande a été mise en échec à maintes reprises par des pays comme la France, l’Allemagne, l’Espagne et le Canada.

Il est évident que l’accès inégal aux vaccins n’est pas un accident, mais bien la conséquence d’actions concertées des pays nantis visant à conserver les stocks de vaccin à l’intérieur des frontières nationales et de l’intérêt des sociétés pharmaceutiques à maximiser leurs bénéfices. Le temps est venu pour que les instances des pays nantis et ces sociétés dont elles servent les intérêts partagent les doses vaccinales équitablement. Tant que le vaccin contre le Covid-19 n’est pas accessible à tous, personne n’est en sûreté.

*Safura Abdool Karim, juriste en santé publique de l’Université du KwaZulu-Natal, est membre de l’Alliance de la livraison des vaccins et du Partenariat pour la production de vaccins des CDC (Centres africains de contrôle et de prévention des maladies).

© Project Syndicate, 2021. Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

La réaction des États de l’hémisphère Nord à la découverte du variant Omicron de Covid-19 en Afrique du Sud a donné lieu à une autre manifestation – comme si nous avions besoin de preuves supplémentaires – de la riposte inégale contre la pandémie de coronavirus. Le contrecoup essuyé par les pays africains s’est avéré abrupt et extrême, comme si l’interdiction de voyageurs...

commentaires (2)

Au moins le Liban est épargné par une catastrophe, une seule, celle des injections de ce bidule bizarre.

Nicolas ZAHAR

01 h 32, le 19 janvier 2022

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Commentaires (2)

  • Au moins le Liban est épargné par une catastrophe, une seule, celle des injections de ce bidule bizarre.

    Nicolas ZAHAR

    01 h 32, le 19 janvier 2022

  • Quand il faut trois doses en quelques mois et une quatrième à suivre... c'est tout sauf un vaccin et c'est un leurre de penser que le virus disparaitra en vaccinant toute l'humanité. Laissons l'histoire s'écrire et restons humble.

    Zeidan

    08 h 40, le 18 janvier 2022

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