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Économie - Focus

Accord Liban/FMI : entre le discours officiel et la réalité, un fossé subsiste

Alors que le Liban s’apprête à reprendre les négociations avec le FMI, très peu de progrès a été enregistré au niveau de ses recommandations.

Accord Liban/FMI : entre le discours officiel et la réalité, un fossé subsiste

Les propos des politiciens ces dernières semaines ont permis l’espoir d’un accord rapide avec le Fonds monétaire international, mais en ce qui concerne les réformes, le Liban est loin de satisfaire les conditions du Fonds. Photo d’archives AFP

Ces dernières semaines, plusieurs hauts responsables gouvernementaux ont assuré que les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) allaient bon train et qu’un accord préliminaire était imminent. Le député Nicolas Nahas (bloc du courant Azm/Tripoli), qui suit de près les négociateurs avec le FMI, a par exemple déclaré à la LBCI que les négociations à proprement parler commenceraient le 17 janvier – les échanges actuels sont restés au stade de discussions techniques. Le vice-Premier ministre Saadé Chami, qui dirige l'équipe de négociateurs désignés par le Liban, a, lui, estimé que de premiers résultats « concrets » pourraient être attendus dès fin janvier.

Jusqu’à présent, toutefois, peu d’informations publiques permettent d’étayer cet optimisme.

La seule donnée ayant été diffusée est l’ampleur des pertes du secteur financier qui, selon Saadé Chami, s’élèvent de 68 à 69 milliards de dollars. Or, ce montant, lancé quasiment sans explications, est très proche de celui qui avait été dégagé dans le plan élaboré en 2020 par le gouvernement de Hassane Diab, le premier à démarcher le Fonds et qui s’était basé sur un taux de change de 3 500 livres pour un dollar (contre plus de 30 000 hier). Par ailleurs, la façon dont se montant est calculé et la partie qui finira par en assumer les conséquences – le gouvernement libanais, les actionnaires des banques ou les déposants – sont quelques-unes des nombreuses questions qui restent à ce jour sans réponse.

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« Les pourparlers en cours avec le FMI sont très importants pour que le Liban commence à travailler sur les réformes nécessaires en vue d’un accord final. Mais même si une équipe a été chargée de peaufiner les détails, c’est le gouvernement qui doit signer l’accord final, et malheureusement, (celui-ci) n’est toujours pas en mesure de se réunir », déclare à L’Orient Today le président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan. Paralysé par l’impasse politique liée à l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth, l’exécutif ne s’est en effet plus réuni depuis le 12 octobre, bien que le Premier ministre Nagib Mikati ait récemment annoncé la tenue prochaine d’une réunion pour discuter du projet de budget 2022.

Quelles démarches le Liban devra-t-il entreprendre ?
Pour obtenir les 8 à 10 milliards de dollars de financement du FMI dont il a grand besoin, le Liban devra entreprendre certaines actions politiques afin de remplir les conditions imposées par l’organisation. On parle alors de conditionnalité des prêts du FMI, concept qui regroupe « à la fois la conception des programmes appuyés par le FMI – c’est-à-dire les politiques macroéconomique et structurelle – et les instruments spécifiques utilisés pour suivre les progrès accomplis vers les objectifs fixés par le pays en coopération avec le FMI », précise l’organisation sur son site.

Cette dernière y a également publié ses recommandations concernant ces politiques, à savoir :

• S’attaquer aux problèmes de gouvernance. Cela nécessiterait la réalisation d’un audit de la banque centrale et d’Électricité du Liban (EDL).

• Mettre en œuvre une stratégie budgétaire. Cela nécessiterait de travailler sur la restructuration de la dette, un filet de sécurité sociale et un cadre fiscal transparent.

• Restructurer le secteur financier.

• Mettre en place un système monétaire et de change crédible. Cela nécessiterait l’unification des taux multiples actuellement en vigueur, et un contrôle formel et temporaire des capitaux.

Où en est le Liban en ce qui concerne ces conditions ?
Or, au-delà des pourparlers sur les pertes du secteur financier, peu de progrès ont été enregistrés au niveau de ces conditions.

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L’audit de la banque centrale – et principalement son volet juricomptable – a connu de nombreux retards. Mandaté une première fois en septembre 2020, le cabinet Alvarez & Marsal a jeté l’éponge en novembre de la même année quand la Banque du Liban (BDL) ne lui a pas fourni les données qu’il demandait. En septembre 2021, A&M a accepté de signer un nouveau contrat avec le gouvernement du Premier ministre Nagib Mikati, avec des exigences toutefois plus strictes et après qu’une loi levant temporairement le secret bancaire sur les comptes de la BDL et des institutions publiques eut été votée – une mesure considérée comme inutile sur le plan juridique par beaucoup d’experts.

Karim Daher, avocat et associé fondateur du cabinet d’avocats HBD-T, prédit toutefois que cette nouvelle tentative échouera également, qualifiant l’audit légal de « tragi-comédie ». « L’ensemble du processus – la négociation, la rédaction et l’exécution du contrat avec A&M – constitue un exemple typique de mauvaise gouvernance et d’échec à protéger les fonds publics », a-t-il écrit.

Au moment d’écrire ces lignes, rien ne permettait de confirmer avec certitude que la BDL avait, cette fois, bien tenu sa promesse de coopérer et envoyé à A&M les documents devant permettre à ce dernier de commencer le travail. Le fait que le syndicat des employés de la BDL ait annoncé la semaine dernière qu’il refusait de communiquer « aux personnes chargées de l’audit financier et légal les noms et les salaires des employés actuels et anciens de la Banque du Liban, ainsi que les (informations concernant) les transactions sur leurs comptes bancaires », laisse penser qu’il n’en est rien. Contacté, un porte-parole de la BDL a renvoyé L’Orient Today au ministère des Finances, lequel a refusé de commenter. Quoi qu’il en soit, la loi levant, depuis fin 2020, le secret bancaire sur les comptes publics est arrivée à expiration le 29 décembre 2021, et le Parlement ne l’a toujours pas prorogée.

Sur le plan fiscal et en matière budgétaire, jusqu’en juin 2021, les finances publiques ont réussi à dégager un léger excédent, et le Liban aurait peut-être même terminé cette année avec un budget en équilibre pour la première fois depuis au moins le début des années 2000. Cependant, cette amélioration peut être simplement attribuée à une augmentation de 118,89 % de la valeur ajoutée des encaissements des taxes, provoquée, elle, par une inflation à deux chiffres; une augmentation de 173,81 % des recettes des télécommunications en raison d’une légère hausse des services toujours tarifés à 1 507,5 livres pour un dollar ; et une baisse de 29,2 % des paiements d’intérêts en raison du défaut du Liban sur sa dette en dollars en mars 2020.

Pour 2022, un nouvel impératif devra régir la préparation du budget. Le gouverneur de la BDL Riad Salamé ayant annoncé que l’arrimage du dollar américain à 1 507,5 livres n’est plus réaliste, le ministère des Finances a sérieusement travaillé à l’examen des différents scénarios qui pourraient émerger de l’adoption d’un nouveau taux officiel. Que ce dernier soit fixé à 6 000 ou 12 000 livres pour un dollar américain ou que Salamé parvienne à convaincre le ministre des Finances Youssef Khalil (lui-même ancien cadre de la BDL) de fixer le taux Sayrafa (actuellement au prix de 24 900 livres pour un dollar américain) comme référence ultime, sont des questions encore en suspens. Un taux fixé trop bas ne serait pas crédible aux yeux de la communauté internationale, un taux très proche de celui du marché parallèle ferait des ravages sur l’économie.

L’adoption d’un nouveau taux de change officiel n’est pas un exercice purement théorique. Cela aura des conséquences bien réelles pour les citoyens, puisque tous les prix seront ajustés au taux le plus élevé une fois mis en œuvre, des frais de douane aux tarifs des télécoms, en passant par le remboursement des prêts en devises, l’ajustement des salaires des secteurs public et privé et enfin les bilans financiers. Des conséquences en cascade qui affecteront logiquement l’inflation, qui continuera d’afficher deux à trois chiffres. « Le problème, c’est la référence : la livre ne vaut rien. Mesurer l’inflation en utilisant la livre comme référence n’est plus correct. Pour un pays comme le Liban, l’économie aurait dû être dollarisée il y a longtemps. Cela dit, mieux vaut tard que jamais », a déclaré l’économiste Hassan Khalil à L’Orient Today.

Pour Ibrahim Kanaan, il est toutefois peu probable que l’approbation du budget 2022 se fasse immédiatement. « Le budget reste, pour le moment au stade d’avant-projet préparé par le ministre des Finances », souligne-t-il, avant de rappeler que par le passé, le Conseil des ministres a souvent mis plusieurs semaines pour s’entendre, à partir de cette base, sur un projet de budget définitif à envoyer au Parlement.

S’agissant ensuite de la recommandation du FMI relative à la mise en œuvre d’une politique monétaire crédible, elle devra commencer par l’unification des taux de change. Actuellement, les Libanais doivent composer avec cinq taux différents :

• L’arrimage officiel de 1 507,5 livres au dollar est toujours utilisé pour une palette limitée de transactions, dont celles réalisées dans le cadre des activités relevant du gouvernement.

• Le taux de la circulaire n° 151 de 8 000 livres pour un dollar est utilisé pour tous les retraits sur des comptes en dollars locaux, ou « lollars », avec un plafond de 3 000 dollars par compte et par mois.

• Le taux de retrait de la circulaire n° 158 de 12 000 livres pour un dollar est utilisé pour les comptes en dollars américains antérieurs au 17 octobre 2019.

• Le taux Sayrafa de la circulaire

n° 161, affichant dernièrement 24 900 livres pour un dollar, est utilisé pour les retraits en livres et en dollars de décembre 2021 et janvier 2022.

• Enfin, le taux du marché parallèle, dépassant les 30 000 livres pour un dollar américain récemment, est utilisé pour les transactions quotidiennes, car la plupart des produits de base, comme l’alimentaire, les carburants et les médicaments, sont déjà facturés sur la base du taux du marché parallèle.

Concernant la question du contrôle des capitaux, Ibrahim Kanaan déclare que la récente débâcle entourant les modifications de dernière minute, apportées au dernier projet de loi sur le contrôle des capitaux (introduit le 1er décembre), considéré par beaucoup comme trop favorable aux banques, l’a effectivement rendue « caduque ». Pour lui, la version qui avait été précédemment préparée par les commissions parlementaires mixtes reste « valide » et pourrait faire l’objet de réunions à venir afin d’y apporter des modifications avant que le texte soit prêt à être envoyé au Parlement pour y être voté.

Une dernière préoccupation du FMI liée à la restructuration du secteur financier, et plus particulièrement à la répartition des pertes, concerne les dépôts en devises dans les banques commerciales. Du pic de 124 milliards de dollars (convertis donc de force en lollars par le jeu des restrictions bancaires) atteint en août 2019, ces dépôts ont reculé pour atteindre 105 milliards de dollars en octobre 2021. Une partie a été retirée et est conservée en espèces dans les domiciles des déposants; une autre portion a été transférée à l’étranger ; tandis qu’une autre a servi à rembourser des prêts en devises. Le montant des lollars retirés volontairement en livres en vertu des différentes circulaires dédiées n’est, lui, pas connu.

À l’heure actuelle, le gouvernement a commencé à envisager sérieusement de convertir en livres de manière obligatoire une partie des dépôts en devises étrangères dans l’espoir de réduire l’ampleur de l’écart des engagements en devises de la banque centrale et des banques par rapport à leurs actifs respectifs. Dans une récente série de tweets, le journaliste économique Mohammad Zbeeb révélait que le plan du gouvernement se basait sur des données collectées auprès de la banque centrale concernant les conversions de livres en dollars et les paiements d’intérêts sur les dépôts en dollars américains.Ces données indiquent que 28 (un chiffre mis en avant par Nagib Mikati) à 37 milliards de dollars de dépôts en devises étrangères ont été convertis de livres en dollars entre 2019 et 2021, et que 30 milliards de dollars ont été payés en intérêts sur les dépôts en dollars américains effectués entre 2014 et 2021. M. Zbeeb a indiqué que la plupart des 37 milliards de dollars et au moins la moitié des 30 milliards de dollars payés en intérêts pourraient ainsi être reconvertis au taux de 8 000 livres pour un dollar. La réflexion du gouvernement concernant la transformation en livres des dépôts a ensuite été confirmée par Nicolas Nahas lors de son entretien avec la LBCI, mais celui-ci n’a fourni aucun autre détail ni accepté de répondre à nos sollicitations.

Si cela se produisait, le gouvernement réussirait à radier 50 à 60 milliards de dollars de passif en devises d’un seul coup. Mais rien ne permet de confirmer que cela se fera conformément à la répartition équitable des pertes promise par Nagib Mikati, la manière dont les droits des petits déposants seront protégés restant floue à ce stade. Le sort des dépôts restants ainsi que celui des prêts libellés en dollars américains sont également en jeu.

La nouvelle année s’annonce donc cruciale pour le Liban. Les élections parlementaires, d’un côté, et les négociations avec le FMI, de l’autre, détermineront la trajectoire du pays pour les cinq à dix prochaines années. Hassan Khalil exprime ses inquiétudes quant aux ramifications sociales de la crise à laquelle est confronté le Liban. Il craint que la paupérisation n’ait poussé de nombreux Libanais au point de rupture. Ibrahim Kanaan, lui, se méfie des récents développements sur le front politique et de leur effet potentiel sur le calendrier du processus de réforme. « Ce n’est plus de la politique, c’est une guerre tous azimuts », estime-t-il.

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 7 janvier 2022).


Ces dernières semaines, plusieurs hauts responsables gouvernementaux ont assuré que les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) allaient bon train et qu’un accord préliminaire était imminent. Le député Nicolas Nahas (bloc du courant Azm/Tripoli), qui suit de près les négociateurs avec le FMI, a par exemple déclaré à la LBCI que les négociations à proprement parler...

commentaires (5)

Crapules bancaires et canailles politichiennes veulent pouvoir poursuivre le haircut illegal et prohibitif sur les depots jusqu'a epuisement de ces derniers. Ainsi les deposants et les salaries auront paye de leirs deniers l'argent dilapide dans la corruption et la gabegie. "Kellon ya3ne kellon" signifie aussi bien les politicards corrompus que les banquiers cupides et la milice assassine. Ajoutez-y les hauts fonctionnaires venaux parmi lesquels une partie de la magistrature et, n'oublions pas, certains organes de presse aux ordres.....

Michel Trad

16 h 25, le 10 janvier 2022

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Commentaires (5)

  • Crapules bancaires et canailles politichiennes veulent pouvoir poursuivre le haircut illegal et prohibitif sur les depots jusqu'a epuisement de ces derniers. Ainsi les deposants et les salaries auront paye de leirs deniers l'argent dilapide dans la corruption et la gabegie. "Kellon ya3ne kellon" signifie aussi bien les politicards corrompus que les banquiers cupides et la milice assassine. Ajoutez-y les hauts fonctionnaires venaux parmi lesquels une partie de la magistrature et, n'oublions pas, certains organes de presse aux ordres.....

    Michel Trad

    16 h 25, le 10 janvier 2022

  • Liban , pays du pipeau ! Rien ne va etre enregistré nulle part. La classe politico-mafieuse, est sclérosée, recroquevillée sur elle-meme , essayant de bluffer à tout vent pour préserver ses acquis... Manque de pot, Celà, ne marche pas avec les instituions internationales, qui ne sont pas les larbins de service que l' ont connait, obligés , d' etre les défenseurs du crédo officiel que l' on connait.

    LeRougeEtLeNoir

    12 h 22, le 10 janvier 2022

  • LE FMI A SES CONDITIONS DRASTIQUES DONT L,APPLICATION DES 1559 ET 1701 ET AUTRES REFORMES AVANT DE DEBOURSER UN DOLLAR. PERSONNE NE RISQUERA UN DOLLAR TANT QUE LES MILICES DE MERCENAIRES IRANIENS NE SONT PAS DESARMEES ET DISSOUTES. SINON CEUX QUI CROIENT AUTREMENT REVENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 44, le 10 janvier 2022

  • Et donc rien n’a été fait en deux ans, pourquoi les mêmes dirigeants mafieux en feraient plus en 2022 ? Si ce n’est pour piller encore plus les Libanais qui ont des comptes bancaires au Liban à fin d’effacer les pertes que les banques ont accumulé et de permettre à leurs actionnaires de ne pas laisser trop de plumes dans cette affaire ? Et de permettre à l’Etat de ne pas rembourser une piastre de l’argent volé par les politiciens ? Haro sur le petit déposant, mais qui est-ce ? celui qui possédait moins de 100'000 dollars ou celui dont la fortune était inférieure à 500'000 dollars ? Beaucoup de questions, pas de réponses suffisamment claires, une seule série de certitudes. Nos politiciens corrompus vont perdurer, avec ou sans élections. La livre va continuer de tomber, l’inflation d’exploser et le libanais d’émigrer.

    TrucMuche

    10 h 18, le 10 janvier 2022

  • le liban n'a pas besoin des milliards mentionnes dans cet articel. le liban a besoin de responsables honnetes ET capables. POINT !

    Gaby SIOUFI

    09 h 50, le 10 janvier 2022

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