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Économie - Focus

Origine, utilité, prochaine levée (?) : ce qu’il faut savoir sur la parité officielle dollar / livre

Alors que l’unification des multiples taux de change et l’adoption d’un régime flottant sont de plus en plus évoquées dans le débat public, il reste qu’officiellement un dollar vaut toujours 1 507,5 livres libanaises, contre près de 20 fois son équivalent sur le marché parallèle.

Origine, utilité, prochaine levée (?) : ce qu’il faut savoir sur la parité officielle dollar / livre

Une fresque réalisée par Ghayath el-Roubeh et Nagham Abboud, à Tripoli, assimilant un billet de 100 000 livres libanaises à celui de 1 000. Ibrahim Chalhoub/AFP

Vestige d’une époque révolue pendant laquelle les Libanais jouissaient d’un niveau de vie artificiellement gonflé au moyen d’une monnaie nationale surévaluée, la parité officielle de 1 507,5 livres libanaises pour un dollar reste toujours maintenue, et ce malgré les nombreuses pressions locales et internationales visant à l’ajuster à la situation économique actuelle du pays. Cette donne pourrait toutefois changer dans le cadre des discussions à venir avec le Fonds monétaire international (FMI) qui préconise, lui, de faire flotter le taux de change.

Dans ce contexte, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé a reconnu fin décembre, dans un entretien accordé à l’AFP, que la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar n’était plus « réaliste », tandis que le taux dollar/livre oscillait alors autour de 28 000 livres sur le marché parallèle. Pendant que les Libanais tentaient tant bien que mal de jongler avec les multiples taux en vigueur établis par la BDL au moyen de circulaires lancées depuis que la monnaie nationale a commencé à sérieusement battre de l’aile en 2019, le gouverneur avait, lui, déjà affirmé la nécessité « d’unifier » le taux dollar/livre en janvier 2021 et de le laisser flotter. Il avait également jugé, fin décembre, que ce cap ne pouvait être atteint avant qu’un accord avec le FMI soit atteint et qu’une entente interne permette de stabiliser la situation politique dans le pays.

Peut-on alors considérer que les jours du taux de 1 507,5 livres/dollar sont désormais comptés ? Et en attendant ce nouveau rebondissement, qui semble inexorablement se rapprocher, à quoi sert encore cette parité ?

Pourquoi un ancrage de la livre au dollar

La fixation du « taux officiel » à 1507,5 livres pour un dollar remonte à décembre 1997. Cette décision marquera la fin d’une politique de change flottant qui aura notamment été témoin de l’effondrement, encore plus spectaculaire que celui en cours, de la livre durant la guerre civile de 1975 à 1990. De fait, alors que le dollar valait 2,25 livres en avril 1975, il s’échangeait contre plus de 2 500 en septembre 1992, selon l’historique de la BDL. Une tendance qui sera ensuite inversée lors des cinq années suivantes au moyen d’une politique de taux d’intérêt élevés faisant baisser la demande de monnaie en circulation, jusqu’à ce que la parité de 1 507,5 soit atteinte fin 1997. Concrètement, ce taux ne représente en réalité que le milieu de la fourchette établie par la BDL entre 1 500 et 1 515 livres pour le dollar dans le cadre de sa décision d’ancrage de la monnaie nationale au dollar.

Bien que l’un de ses principaux avantages consiste à stabiliser le taux de change afin d’encourager l’afflux de capitaux étrangers, cet ancrage peut aussi s’avérer très coûteux dans la mesure où le pays concerné est obligé de maintenir un niveau adéquat de réserves en devises pour ne pas laisser sa monnaie dérailler. Un scénario finalement devenu réalité avec l’effondrement économique, financier et monétaire entamé au second semestre 2019. Face à l’incapacité de la BDL d’injecter suffisamment de dollars sur le marché, la livre n’en finit plus de dévisser, la valeur de celle-ci ayant dépassé la barre de 30 000 pour un dollar mardi, avant de redescendre quelque peu hier, oscillant autour de 29 850 livres par dollar sur le marché parallèle.

À quoi sert encore ce taux

Conséquence de l’absence de réelle politique monétaire mise en place pour contrer les effets de la crise actuelle et des multiples mécanismes successifs mis en place par la BDL pour, officiellement, tenter de préserver un semblant de pouvoir d’achat aux Libanais, l’application du taux de 1 507,5 livres pour le dollar, bien qu’officiellement toujours en vigueur, n’est plus aujourd’hui utilisée que dans une palette restreinte de cas de figure.

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Au niveau des biens à la consommation, il n’est par exemple plus maintenu que pour les subventions de la BDL sur le prix en livres du blé servant à fabriquer le pain arabe.

Du côté des banques, les anciens dépôts en dollars (en référence à ceux datant d’avant avril 2020) sont désormais retirés au taux de 8 000 livres le dollar (contre 3 900 début décembre), en fonction des plafonds imposés par chaque banque. Les seules opérations bancaires qui se font aujourd’hui au taux officiel sont les remboursements de certains prêts octroyés en dollars, hormis ceux des entreprises, ainsi que les opérations de conversion ouvertes à certains employés de banque et déposants, indique une source bancaire sous couvert d’anonymat.

D’un autre côté, le taux de 1 507,5 livres/dollar est de facto adopté par l’État pour les transactions officielles et pour la collecte des impôts et des taxes, dont notamment les droits de douane et les impôts sur le revenu (la grande partie des salaires est toujours déclarée à ce taux, même s’ils sont encaissés en dollars).

Finalement, et en dehors de ce genre de transactions, ce taux est toujours employé par les comptables, que ce soit pour les comptes des entités publiques ou privées à l’image des bilans bancaires et la BDL, entre autres. Un maintien qui fausse logiquement les résultats présentés, contraignant les auditeurs externes de ces comptes à multiplier les réserves à l’issue du processus de vérification – les fameuses « adverse opinions » (opinions défavorables) notamment apposés sur les bilans annuels des banques du pays. La démarche permet en revanche « aux différents acteurs concernés d’embellir leurs bilans, aussi insensés soient-ils dans ce contexte », indique l’expert financier Mike Azar.

Pourquoi est-il toujours maintenu

De fait, si « le taux officiel n’a plus aucun sens aujourd’hui », comme le souligne un autre banquier contacté, pourquoi est-il toujours maintenu ?

Une des hypothèses évoquées est que cela permet de réduire la pression fiscale que subissent les résidents et les sociétés libanaises, dans la mesure où ces derniers paient des montants moindres en taxes et en impôts que ce qu’ils seraient supposés payer en temps normal. Et cela pour ne pas aggraver davantage les conséquences de l’effondrement économique actuel.

Mais la principale raison qui expliquerait le maintien actuel de la parité officielle serait d’éviter « la mise en faillite du secteur bancaire qui aura inévitablement lieu au cas où la parité officielle serait relevée sans que cette mesure ne soit accompagnée d’un plan de redressement économique global », précise un expert économique. « Or, ce plan, qui doit impérativement tenir compte du sort des dépôts bancaires (remboursés en quelle devise, à quel taux, impact de leur lirification, soumis ou pas à un éventuel contrôle des capitaux, …), d’une restructuration du secteur bancaire et de l’assainissement des finances publiques – toujours calculées au taux officiel –, n’a toujours pas été mis en place », explique Mike Azar.

D’ailleurs, l’une des principales requêtes du FMI, avec qui le Liban devra reprendre les discussions dans 10 jours, est l’unification des différents taux de change actuellement adoptés – dont notamment le taux officiel, et ceux des retraits à 8 000 et à 12 000 dans le cadre des circulaires n° 151 et n° 158, celui de la plateforme Sayrafa, mis à jour quotidiennement, et finalement celui du marché parallèle – et le fait de laisser flotter ce nouveau taux. « Bien que cela permette in fine de refléter la réalité du marché, libérer le taux de change aujourd’hui, en tant que tel, n’est pas une bonne idée », indique Nassib Ghobril, directeur du département de recherche de Byblos Bank. « Le Liban pourrait commencer par un régime de change de flottement administré avec des interventions continues de la BDL grâce aux fonds qui seront injectés par le FMI, jusqu’à éventuellement laisser sa monnaie nationale complètement flotter », continue-t-il. Mais pour en arriver là, « il faut que la BDL et le gouvernement se mettent d’accord sur ce nouveau taux avant qu›il ne soit validé par le FMI dans le cadre du plan de redressement », précise-t-il encore.

En attendant, le statu quo actuel permet aux dirigeants de retarder toute prise de décision qui serait mal accueillie, alors que les déposants continuent, eux, de retirer leur argent en acceptant un important « haircut ». En effet, et selon les derniers chiffres disponibles, le niveau des dépôts a baissé de 20,9 % en deux ans, passant de 173,2 milliards de dollars en octobre 2019 à 137 milliards en octobre 2021. Concrètement, et en tenant compte que le taux de dollarisation des dépôts s’élevait alors à 80 %, ceux en livres ne valent aujourd’hui que 1,4 milliard de dollars au taux du marché parallèle (contre 27,4 milliards au taux de 1 507,5), alors que ceux en dollars qui ne peuvent être retirés qu’au taux de 8 000 livres pour un dollar valent réellement 29,4 milliards de dollars. L’ensemble de ces dépôts, totalisant alors 30,8 milliards de dépôts, pèse ainsi beaucoup moins lourd que celui affiché dans le bilan du secteur bancaire.

Un autre constat qui permet aux banques de tirer profit de cette situation et « de mettre de l’ordre dans leurs finances », comme le précise un banquier, est le fait que les crédits précédemment octroyés par les banques ont énormément baissé. Ainsi, durant cette même période, les crédits au secteur privé ont diminué de 46,1 % (passant de 47,57 milliards à 25,66 milliards de dollars entre octobre 2019 et octobre 2021), alors que ceux concernant le secteur public ont baissé de 41,1 % (passant de 31,49 milliards à 18,54 milliards de dollars entre octobre 2019 et octobre 2021). Une situation qui a ainsi permis aux banques de « considérablement » réduire leurs créances douteuses et d’améliorer leurs bilans, continue ce banquier.

En fin de compte, la levée des subventions, l’assainissement des finances publiques et la libéralisation du taux de change, toutes des requêtes formulées il y a déjà plusieurs années par le FMI, sont déjà implicitement lancés. Mais, faute de prise de décision – ou plutôt à cause d’une décision délibérée de retarder cette prise de décision –, cet ajustement se fait aujourd’hui de la pire des façons et aux dépens des classes sociales les plus vulnérables.

Vestige d’une époque révolue pendant laquelle les Libanais jouissaient d’un niveau de vie artificiellement gonflé au moyen d’une monnaie nationale surévaluée, la parité officielle de 1 507,5 livres libanaises pour un dollar reste toujours maintenue, et ce malgré les nombreuses pressions locales et internationales visant à l’ajuster à la situation économique actuelle du...

commentaires (4)

Le mythe de Shylock revisité: On ressuscite les banques et les banquiers véreux en tuant les déposants.

Moussalli Georges

11 h 39, le 07 janvier 2022

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Commentaires (4)

  • Le mythe de Shylock revisité: On ressuscite les banques et les banquiers véreux en tuant les déposants.

    Moussalli Georges

    11 h 39, le 07 janvier 2022

  • QUAND ON DONNE AUX ANES ET AUX MULETS DES POUVOIRS, PLUS ANES ET PLUS MULETS SONT CEUX QUI LES ONT NOMMES OU DU MOINS ACCEPTES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 33, le 06 janvier 2022

  • LA, LES COMBINES ET LE BORDEL SONT DES JUMEAUX. LES COMBINES Y PREVALAVT. ET LES CITOYENS AFFAMES SE SOUMETTANT. AU LIEU DE SE SOULEVER COMME UN CYCLONE ET DE NETTOYER TOUTE LA PEGRE DES CLIQUES MAFIEUSES , LES TROIS PRESIDENCES INCLUSES ET AVANT TOUT. SEUL, LE PEUPLE PEUT IMPOSER LE REFORME, SAUVER LE PAYS ET JUGER, CONFISQUER LEURS BIEN MOBILES, IMMOBILES ET LIQUIDES DE TOUTES SORTES AUX MAFIEUX QUI ONT DETRUIT LE PAYS ET A LEUR TETE LA TRINITE DIABOLIQUE DU MAL ET SES PARAVENTS ET RAMIFICATIONS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 48, le 06 janvier 2022

  • Tout est dit dans cet article : l’oligarchie bancaire organise sa survie aux dépens des Libanais, avec la complicité de toute la classe politique, barbus y compris.

    AntoineK

    01 h 19, le 06 janvier 2022

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