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Nos Lecteurs ont la Parole

J’y vais, oui, j’y vais !

– T’y vas où pour les vacances ?

– Beyrouth ?

– Beyrouth ? Liban ? C’est pas la cata en ce moment ?

– Si, mais j’y vais.

Combien d’entre nous, expats, ont eu droit à cette réflexion ces derniers jours, semaines, mois. Et combien d’entre nous, expats, y vont malgré tout ?

Comment expliquer à des centaines de personnes qu’on croise au quotidien, dans tous les pays dans lesquels nous vivons, cette obsession de rentrer au Liban pour Noël ?

Je prends ce vol, EK953 plein à craquer, même pas un siège vide, autour de moi des Libanais impatients, excités, ils représentent toutes les catégories de ces Libanais de Dubaï. Je prends ce vol et j’écris ces quelques mots pour essayer d’expliquer pourquoi j’y vais.

J’y vais pour mon père qui n’a pas voyagé depuis deux ans, qui est là, à nous attendre, sur BOTIM, Facetime et WhatsApp. À attendre impatiemment les photos de nos enfants, nos nouvelles, nos visages et qui a toujours son sourire, sa bonne humeur malgré les problèmes de ce pays.

J’y vais pour ma mère qui a déjà prévu le menu et l’agenda des deux semaines à venir, qui a changé les draps, préparé les tapis, allumé les radiateurs et choisi minutieusement les « koussas » au centimètre près.

J’y vais pour l’aînée qui avance malgré tout, qui y croit encore, qui nous a poussés à nous inscrire sur les registres des élections, parce qu’il faut bien qu’il y ait encore des gens qui croient au changement.

J’y vais pour mon frère qui a eu le courage de fonder une famille dans un pays au passé simple.

J’y vais pour ma sœur qui vient de DC, qui a le mal du pays, chaque jour, et qui vit pour ces vacances.

J’y vais pour mes nièces et neveux qui grandissent, beaucoup trop vite et qui, au milieu du chaos de ce pays, existent quand même. Ils existent derrière leurs masques, les instabilités de leurs quotidiens. Ils existent et ils ont le droit de vivre normalement, comme tous les enfants de leurs âges.

J’y vais pour ces retrouvailles familiales avec la plus grande famille, les tantes, les oncles, les cousins, les cousines, les clichés des repas, les traditions, les tables de fêtes, les festivités.

J’y vais pour ces potes qui viennent des quatre coins du monde, qui ont déjà planifié les dix jours, qui ont passé des heures à jongler sur leur Excel Sheet pour bien caler leurs agendas. Qui ont même appelé, de l’autre bout de monde, pour réserver leurs tables aux restaurants branchés.

J’y vais pour me déguiser en père Noël le 24 décembre et voir l’immense sourire sur les visages des enfants de la famille.

J’y vais pour me faire avoir dans les magasins, les restaurants, les boîtes de nuit et penser profondément que, malgré tout, je contribue à la vie de centaines de familles.

J’y vais pour la dinde, la bûche de Noël, le plateau de fromage, les serviettes rouges de mam et les couverts en argent qui nous feront l’honneur pour le réveillon.

J’y vais pour ces bouteilles de vin que pap a gardées précieusement le jour où tous ses enfants seront réunis autour de la même table. Et pour nos réflexions, pas trop bienveillantes : « Pap, elle est bouchonnée, ouvre une autre. »

J’y vais pour ceux qui restent, qui y sont encore, par choix ou par défaut, ceux qui combattent au quotidien, qui essayent de partir mais n’y arrivent pas, par manque de chance, de courage ou par pur attachement.

J’y vais pour être bloquée dans les embouteillages et me plaindre à chaque seconde de l’insécurité, de la pollution, de l’inflation, de tout… Mais j’y vais pour les retrouver tous, tous, tous, dans une seule ville, la ville de toutes les fêtes, notre Ville Lumière à nous, Beyrouth.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

– T’y vas où pour les vacances ? – Beyrouth ? – Beyrouth ? Liban ? C’est pas la cata en ce moment ? – Si, mais j’y vais.Combien d’entre nous, expats, ont eu droit à cette réflexion ces derniers jours, semaines, mois. Et combien d’entre nous, expats, y vont malgré tout ? Comment expliquer à des centaines de personnes qu’on croise au quotidien, dans tous les pays...

commentaires (1)

Émouvant !

Torbey marianne

09 h 49, le 28 décembre 2021

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Commentaires (1)

  • Émouvant !

    Torbey marianne

    09 h 49, le 28 décembre 2021

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