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Économie - Monnaie

La livre libanaise dans une nouvelle phase de dérapage contrôlé

La circulaire n° 151 aurait surtout pour effet d’encourager des déposants à se dépêcher de convertir leurs « lollars » en livres.

La livre libanaise dans une nouvelle phase de dérapage contrôlé

Le taux dollar/livre a dépassé la barre des 29 000 livres pour un dollar hier. Joseph Eid/AFP

Il y a un peu plus d’un an, la Banque mondiale (BM) accusait les autorités libanaises dans leur ensemble de maintenir le pays dans une « dépression économique délibérée », selon les termes employés par les rédacteurs de son Lebanon Economic Monitor (LEM) de 2020.

Si l’édition 2021 de ce rapport se fait toujours attendre, l’évolution de la situation en un an rend difficile toute contestation sincère et argumentée de cette conclusion, surtout au regard des derniers développements en date. Dans la foulée d’une tentative aussi précipitée que grossière de faire adopter une loi de contrôle des capitaux accordant une amnistie aux banques ainsi que des quasi pleins pouvoirs à la BDL, cette dernière a subitement décidé de doubler le taux de retrait en livres des « dollars bancaires » ou « lollars », soit ceux sur lesquels les banques ont limité l’accès au commun des déposants depuis 2019.

L'éditorial d'Issa Goraïeb

Poings d’interrogation

Concrètement, la BDL a fait passer de 3 900 livres à 8 000 livres le taux auquel les déposants peuvent retirer une partie de leurs dollars selon le mécanisme consacré par la circulaire n° 151 du 21 avril 2020. L’effet de levier sur la masse monétaire ne s’est pas fait attendre et le taux dollar/livre, qui était relativement stabilisé en dessous de 25 000 livres, a commencé à enchaîner les contre-performances historiques. Au dernier top, le taux de change avait dépassé les 29 000 livres pour un dollar hier, un seuil qui correspond à une perte de plus de 94,5 % de la valeur de la monnaie nationale.

Indifférence quasi totale

À ce rythme, la barre symbolique des 30 000 livres, que certains experts s’exprimant sur les réseaux sociaux anticipaient à la fin de l’année, pourrait être atteinte dans les prochains jours, avec des effets encore plus spectaculaires sur l’inflation, déjà à trois chiffres chaque mois depuis plus d’un an (+173,57 % à fin octobre en glissement annuel). Certains commerces ont d’ailleurs décidé de fermer leurs portes hier en attendant que le taux se stabilise, comme cela avait déjà été le cas par le passé. S’il semble pour l’instant s’agir d’un événement isolé, le fait qu’une attaque à main armée ait eu lieu hier contre une branche de la Byblos Bank à Zalka (Metn) n’est pas non plus de bon augure, dans un pays où les salaires en livres, qui n’ont pas été réévalués dans le privé et le public, ne valent presque plus rien.

Pour compléter ce tableau, la parité officielle de 1 507,5 livres n’a toujours pas été formellement abandonnée. Les « dollars libanais » côtoient enfin les « dollars frais », soit ceux déposés en espèces ou via un transfert de l’étranger. Leur disponibilité est en principe protégée par la circulaire n° 150 du 9 avril de la BDL. Ils peuvent dès lors être retirés en espèces, convertis au taux du marché ou encore transférés à l’étranger. Cette coexistence entre plusieurs taux de change offre un terreau plus que fertile aux spéculateurs.

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Le plus grave enfin, c’est que ces récents développements s’enchaînent dans l’indifférence quasi totale des autorités dont les seules réactions se sont résumées à constater le lien entre la mise à jour de la circulaire et le dévissage de la livre, tantôt pour sauver les apparences, tantôt pour alimenter des discours électoralistes à quelques mois des législatives prévues au printemps prochain. Un absentéisme qui donne encore plus de poids au constat fait par la BM fin 2020.

L’organisation évoquait alors, avec ses propres termes, un « ajustement financier » contraint et déréglementé. En bref, l’objectif consisterait à liquider et/ou lirifier – en surfant sur une brutale dépréciation de la livre – un maximum d’engagements financiers en devises inscrits au bilan des banques du pays, en amont d’une nécessaire restructuration de la dette publique et du secteur sans cesse repoussée depuis au moins début 2020. Les pertes liées à la dépréciation sont, elles, inscrites au bilan de la BDL. Cette dernière, en tant que banque centrale, a le droit de les étaler sur plusieurs années, selon la Banque des règlements internationaux (le bilan de la BDL est de toute façon dans le rouge depuis un certain temps).

Calculs des pertes

Comme il a été souligné par une partie des experts dans le débat public la semaine dernière, le timing de la décision de la BDL rappelle furieusement celui du lancement de la circulaire n° 151. Le dispositif avait en effet été activé au moment où le gouvernement de Hassane Diab, qui venait d’annoncer le défaut sur le remboursement des obligations d’État en devises (les eurobonds, dans lesquels les banques avaient beaucoup investi), était en train d’élaborer son plan de redressement du pays incluant les pertes ainsi que l’approche pour les répartir. Le document devait servir de base pour des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), alors sollicité par le Liban pour débloquer une assistance financière.

Or l’envolée du taux dollar/livre qui s’était produite dans le sillage de la publication de la circulaire avait fini par fausser le travail de l’exécutif mené par Hassane Diab, et du cabinet Lazard qu’il avait mandaté. Les discussions avec le FMI avaient ensuite été suspendues en raison d’un désaccord entre l’exécutif et le secteur bancaire (BDL et certains députés en soutien inclus) sur le montant des pertes et leur répartition. Il est possible aujourd’hui de faire un parallèle avant la décision de relever le taux de la circulaire n° 151, même si aucun brouillon ou ébauche de plan n’a pour le moment circulé pour pouvoir le confirmer.

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Cette mise en perspective est d’autant plus légitime que les récentes prises de parole du secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL), Makram Sader, ont alimenté l’idée que les banques ne comptent pas céder de terrain sur la question des pertes. M. Sader a notamment rejeté le modèle « good bank, bad bank », une option discutée selon lui au cours du processus d’élaboration du nouveau plan de redressement du gouvernement de Nagib Mikati, dont la finalité consiste à remodeler le secteur bancaire avec deux catégories d’établissements : ceux regroupant les actifs devant être restructurés ou liquidés, et ceux devant servir de base au secteur bancaire effectif et assaini.

Classe moyenne

Le timing de la BDL n’est pas le seul élément qui appuie l’analyse de la BM. La banque centrale a toujours soutenu que l’existence même de la circulaire n° 151 et des dispositifs voisins (dont la n° 158 du 8 juin 2021) sont autant de moyens de limiter la décote des dépôts bloqués, décote provoquée par le jeu combiné des restrictions et de la dépréciation. Mais leur effet principal semble, sauf paramètres inconnus, se situer ailleurs, d’autant que le bénéfice de la hausse du taux a été déjà presque totalement absorbé par la dépréciation de la livre.

Pour un expert s’exprimant sous couvert d’anonymat, « la circulaire a surtout pour effet d’encourager des déposants à se dépêcher de convertir leurs “lollars” en livres », ce qui permet aux banques de supprimer autant de comptes en devises que possible. Une analyse qu’il appuie en rappelant que la BDL avait publié en avril 2020 un texte similaire à la circulaire n° 151 mais qui visait spécifiquement les petits comptes : la circulaire n° 148 du 4 avril 2020 concernant les déposants dont le total cumulé de l’ensemble des comptes dans une même banque ne dépasse pas 5 millions de livres ou 3 000 dollars (au taux officiel). Après avoir liquidé les petits comptes, les banques seraient ainsi en train d’accélérer le processus pour les comptes en devises cette fois détenus par la classe moyenne. Le but pourrait alors être, toujours selon l’expert, de dégraisser les portefeuilles de dépôts en devises jusqu’à ce que le ratio permette de restructurer le secteur bancaire en limitant les mises en faillite des grandes banques. De fait, il s’agit pour l’heure de la seule piste de redressement concrète envisageable, vu que rien ne semble soutenir la possibilité d’un accord politique interne pouvant ouvrir la voie aux réformes et à une éventuelle aide financière extérieure dépassant le stade de la perfusion humanitaire.

Ce qui est certain, c’est que ces dispositifs – y compris celui de la circulaire n° 158 qui autorise depuis juin 2021 des retraits mensuels de 400 dollars frais et l’équivalent au taux de 12 000 livres pour un dollar, suivant certaines conditions – finissent tous par conduire à des retraits de liquidités en livres. Une importante partie de ces livres sont ensuite échangées en dollars, ce qui contribue à déprécier encore la monnaie nationale. Cet ajustement financier destiné à sauver les bilans de quelques banques et de leurs actionnaires – dont une partie est composée des mêmes hommes politiques qui font mine de regarder ailleurs – est aussi extrêmement destructrice sur le plan socio-économique dans un pays où trois Libanais sur quatre vivent dans la pauvreté, selon un rapport de l’Escwa publié en septembre dernier. Enfin, il est important de rappeler que les restrictions bancaires ne semblent pas avoir empêché les banques de transférer hors du Liban plusieurs milliards de dollars appartenant à de grands déposants depuis 2019.

Nouvelle hausse des prix des carburants

Les prix des carburants ont une nouvelle fois été revus à la hausse, faisant suite à une augmentation vendredi, et ce en raison d’une nouvelle dépréciation de la monnaie nationale, le dollar s’échangeant à plus de 27 000 livres lundi, un taux utilisé par le ministère de l’Énergie et de l’Eau pour la fixation du prix. Ces précisions ont été fournies par le porte-parole du syndicat des propriétaires de stations-service Georges Brax.

Selon les nouveaux tarifs désormais publiés deux fois par semaine, le prix du bidon d’essence à 95 octane a augmenté de 10 800 livres, passant de 308 000 livres à 318 800 livres. Les 20 litres d’essence à 98 octane, produit quasi introuvable sur le marché depuis des mois, se vendent désormais à 329 800 livres, contre 318 600 livres vendredi dernier, soit une hausse de 11 200 livres. Les 20 litres de mazout s’échangent dorénavant à 338 900 livres, contre 321 100 livres il y a quatre jours, leur prix ayant augmenté de 17 800 livres. Enfin, le prix de la bonbonne de gaz, qui s’élevait à 279 800 livres, est passé à 293 500 livres, soit une majoration de 13 700 livres.

Depuis la semaine dernière, le ratio de fourniture de devises de la part de la Banque du Liban (BDL) a été modifié, passant de 90 % de la facture à 85 %, poussant alors les importateurs à acheter le reste au taux du marché parallèle, soit près de 29 000 livres pour un dollar hier. Le taux de change adopté par la banque centrale est lui passé de 20 400 livres à 21 300 livres, soit le taux de la plateforme Sayrafa de lundi soir.

Il y a un peu plus d’un an, la Banque mondiale (BM) accusait les autorités libanaises dans leur ensemble de maintenir le pays dans une « dépression économique délibérée », selon les termes employés par les rédacteurs de son Lebanon Economic Monitor (LEM) de 2020.Si l’édition 2021 de ce rapport se fait toujours attendre, l’évolution de la situation en un an rend...

commentaires (11)

PROVOQUE OU INCONTROLE ? OU RESULTAT DES CONNERIES DE L,IGNORANCE ET DE L,INCOMPETENCE ? OU DE LA MAFIOSITE POLITIQUE PARTENAIRE DE LA PREDATION BANCAIRE QUI ACCAPARE LES ECONOMIES DU PEUPLE RESIDENT ET DE LA DIASPORA ? CA C,EST CERTAIN.

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 05, le 16 décembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • PROVOQUE OU INCONTROLE ? OU RESULTAT DES CONNERIES DE L,IGNORANCE ET DE L,INCOMPETENCE ? OU DE LA MAFIOSITE POLITIQUE PARTENAIRE DE LA PREDATION BANCAIRE QUI ACCAPARE LES ECONOMIES DU PEUPLE RESIDENT ET DE LA DIASPORA ? CA C,EST CERTAIN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 05, le 16 décembre 2021

  • Le circulaire 158 est excellent ! Cela permet au déposant de régler les factures en Dollars. Les générateurs n'acceptent pas les livres libanaises.Vous voulez qu'on vivent sans électricité? Le reste on peut payer soit en libanais soit en dollars. Ne soyez pas égoïste et trouver des fautes sur les nouvelles lois.

    koulajian arpie

    14 h 18, le 15 décembre 2021

  • MON SECOND COMMENTAIRE N,EST QUE LE PLUS VRAI. AYEZ L,AMABILITE DE LE PUBLIER. MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 01, le 15 décembre 2021

  • EL BOUTA KELLA WEHDE. MAFIEUX POLITICIENS ET PREDATEURS BANQUIERS. KELLON EBREEN EL CHEIKH ZINGUI SAWA !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 38, le 15 décembre 2021

  • IL Y A 3/4 JOURS J,AVAIS DIT : DANS QUELQUES JOURS LE DOLLAR A 30.000.- LL ET DANS QUELQUES AUTRES JOURS A 35000.- LL ET TRES PROCHAINEMENT A 50.000.- LL TANT QUE LES CONNERIES DES IGNARES ET INCOMPETENTS CONTINUENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 33, le 15 décembre 2021

  • Ils continuent de se payer la tête des citoyens en sortant des circulaires aussi nulles les unes que les autre. La dernière était pour fixer le cours du dollar à 8000 LL ALORS QUE SUR LE. ARCHE IL S’échangeait à 26.000. De qui ils se moquent ces malotrus. Tout ce qui sort de leur bouche et de leur cerveau, si on croit qu’ils en ont un est aussi humiliant pour le peuple qu’ils continuent de prendre pour des idiots alors qu’il s’avère de jour en jour que les seuls idiots de service sont eux mêmes qui croient qu’ils peuvent malmener à vie ce pauvre peuple sans jamais être inquiétés. libanais reveillez-vous et faites en sorte que tous malotrus soient dégagés le plus tôt possible au lieu de tomber dans leur piège en vous précipitant sur les produits qu’ils rendent inaccessibles pour créer une crise volontairement que les seuls citoyens encouragent avec leur peur du lendemain sombres qu’ils n’arrêtent pas de leur promettre pour promouvoir et faire fructifier leurs tours de passe-passe . La blague n’a que trop duré. Hier c’était le gaz, carburant, les denrées alimentaires et les médicaments, pour revenir tous les quelques mois sur le cours du dollar qu’ils s’acharnent à changer sans aucun motif créant ainsi une crise qui n’a pas lieu d’être sans leurs manigances et la naïveté de tout un chacun.

    Sissi zayyat

    12 h 23, le 15 décembre 2021

  • IL EST FAUX DE DIRE QUE LA DERNIERE CIRCULAIRE RELEVANT LE TAUX DE CHANGE DU $ A LL 8000-ACCROIT LA CIRCULATION DE LA MASSE MONETAIRE DE FACON IRREVOCABLE. SIMPLEMENT PAR CE QUE LES MONTANTS MAX DE RETRAITS AUTORISES EN LL N'ONT PAS AUGMENTE CE QUI A CHANGE EST MOINS DE $ A CHANGER vs LE TOTAL EN LL. DANS QUEL BUT ? POUR LE BENEFICE DE QUI ? $ QUESTION A L'ADRESSE DE QUI ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 23, le 15 décembre 2021

  • Selon le NY Times, les politiciens libanais , mikati inclus, possedent plus de 40 pour cent du secteur bancaire, alors on ne sait plus qui est plus voleur, nos politiciens ou nos banquiers.

    Goraieb Nada

    07 h 37, le 15 décembre 2021

  • « Dérapage controlé »?

    Evariste

    01 h 06, le 15 décembre 2021

  • L'Etat peut repayer ses dettes soit en se restructurant, avec des mesures impopulaires qui vont exposer les partis politiques a leurs ouailles, mais qui préserveront le taux de change. Soit il les efface par la dévaluation et les libanais sacrifiés en masse ne sauront pas a quel saint s’adresser, a part le méchant M. Salameh. Le choix est déjà fait...

    Mago1

    00 h 51, le 15 décembre 2021

  • Excellent papier, expliquant très clairement les dessous des cartes et les enjeux dex gesticulations politiciennes.

    Marionet

    00 h 44, le 15 décembre 2021

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