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Poings d’interrogation

De quel Liban parle-t-on ?


Cette question figurait en bonne place dans l’éditorial de samedi dernier, à seule fin d’illustrer le fossé qui ne cesse de se creuser entre un État pataugeant dans ses suicidaires dérives et le pays réel : le Liban profond, le Liban ligoté, bâillonné, et qui n’aspire qu’à vivre dans la normalité et la dignité. Le même jour cependant, c’est une interrogation encore plus cruciale que posait, dans une allocution, le numéro deux du Hezbollah. Quel Liban voulons-nous ? demandait ainsi le cheikh Naïm Kassem. Énumérant une série de slogans bien connus, il n’éprouvait aucune gêne à y ajouter l’exigence d’une indépendance et d’une souveraineté sans faille : stupéfiante revendication, en vérité, que celle-ci, émanant d’un parti qui se glorifie de devoir obédience, et même subsistance, à son géniteur iranien.


Oui, quel Liban veut l’écrasante majorité du peuple, tout écrasé qu’il puisse être lui-même par les fléaux résultant de l’arbitraire, de l’incompétence et de la corruption installés au pouvoir ? Il faut d’abord constater que le débat n’est guère nouveau. Déjà lors de la proclamation de l’État du Grand Liban, la controverse se soldait par une sorte de match nul, un laborieux compromis (ni protection occidentale ni union avec la Syrie) qui allait s’avérer bien fragile. La question se posait dramatiquement à nouveau au milieu du siècle dernier, avec la déferlante unioniste arabe de Nasser ; une décennie plus tard, c’est l’implantation sur notre sol de la résistance armée palestinienne qui menait, pour le coup, à une catastrophique guerre de quinze ans.


Hong Kong ou Hanoï alors, notre bonne ville de Beyrouth? Monaco ou Sparte, le Liban ? La vieille, la coriace, l’entêtante alternative offrait, naguère, le choix entre un pays voué aux services et au tourisme, ou bien alors à l’activisme guerrier face à l’ennemi israélien ; mais du moins n’allait-elle pas jusqu’à remettre en cause la raison d’être du Liban, sa vocation pluriculturelle, son modèle de société libérale, et encore moins son appartenance arabe. Est-ce bien toujours le cas ?


Parti religieux dûment dirigé par des hommes de religion, massivement armé de surcroît, le Hezbollah assure être revenu de ses premières chimères, parfaitement consignées sur vidéo par un Hassan Nasrallah en début de carrière : à savoir une République islamique libanaise édifiée sur le modèle iranien. Mais se gagner, des années durant, une ombrelle chrétienne ne l’a pas détourné un instant d’une démarche résolument, outrageusement sectaire, au prix de tensions souvent violentes au sein de l’islam libanais ; elle ne l’a jamais empêché non plus d’œuvrer à un isolement arabe du pays et à son ancrage à l’Iran. Or voilà que ce funeste parapluie chrétien, notoirement déployé en échange d’un fauteuil présidentiel, est, depuis quelque temps déjà, criblé de trous. Le plus gros de ceux-ci apparaissait hier même, avec la claire condamnation, par le chef de l’État, de la paralysie imposée au gouvernement par la milice, comme des manœuvres qu’elle multiplie pour entraver le cours de la justice. Le tout était prudemment dit sous la rubrique entre amis. N’empêche qu’il était grand temps de se résoudre à le dire…


Au vu de tout ce qui précède, la question brandie par le cheikh Kassem n’a franchement rien d’une devinette ; le seul problème est que pour y répondre, on ne sait trop par où commencer, si encombré en effet est le cahier de doléances. À défaut de décrire la patrie de leurs rêves, les citoyens puiseront dans leurs cauchemars vécus pour désigner le Liban dont ils ne veulent surtout pas : un Liban défiguré, dénaturé, livré au chantage armé à la guerre civile, aux menaces visant ouvertement les juges, aux dépôts de munitions aménagés dans les zones d’habitation, aux plus extravagantes des équipées guerrières, à la béante fiction des frontières nationales qui autorise toutes sortes de trafics.


Faute d’espace, ici doit s’achever la liste. Mais tous les espoirs de rallonge restent permis, dans l’attente d’autres questions aussi aimablement proposées à la réflexion des citoyens.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

De quel Liban parle-t-on ? Cette question figurait en bonne place dans l’éditorial de samedi dernier, à seule fin d’illustrer le fossé qui ne cesse de se creuser entre un État pataugeant dans ses suicidaires dérives et le pays réel : le Liban profond, le Liban ligoté, bâillonné, et qui n’aspire qu’à vivre dans la normalité et la dignité. Le même jour cependant, c’est...