Rechercher
Rechercher

Société - Enquête

Le moine libanais qui emporte ses lourds secrets dans la tombe

Panteleimon Farah, archimandrite du monastère de Hamatoura (Koura), est mort à 68 ans des suites du Covid-19. En 2013, il avait été jugé par l’Église grecque-orthodoxe pour comportements « indécents », puis exilé au mont Athos en 2017 après un procès en appel. Loukas, 22 ans aujourd’hui, avait porté plainte devant la justice civile, et son agresseur présumé devait comparaître devant la cour d’assises.

Le moine libanais qui emporte ses lourds secrets dans la tombe

La place du village de Kousba dans le Koura, où ont été affichés des portraits géants de l’archimandrite Panteleimon Farah décédé le 28 novembre. Photo Joao Sousa

Le soleil frappe sur le mont Athos en ce dernier jour de novembre. Une douzaine de moines orthodoxes suivent et filment le cercueil de l’un d’entre eux jusqu’à sa dernière demeure, au monastère de Vatopedi. La tradition monastique aurait voulu que le religieux soit enterré dans un tapis ancien. Mais l’archimandrite libanais, Panteleimon Farah, 68 ans, est mort du Covid-19, et reste donc potentiellement contagieux. Le défunt ne cachait pas son scepticisme quant au vaccin contre le coronavirus, affirmant devant des pèlerins libanais venus à sa rencontre le 24 octobre dernier et qui ont filmé la scène que la pandémie n’est autre qu’un « stratagème des puissants de ce monde pour tuer un maximum de personnes ». Le jour de la mort de Panteleimon Farah, le dimanche 28 novembre, Loukas*, 22 ans, témoigne devant des caméras à visage couvert auprès d’une ONG œuvrant pour la protection des enfants. L’interview est filmée dans une grotte et, lorsqu’il en sort, il découvre que celui dont il parlait quelques minutes plus tôt, et qu’il accuse de l’avoir abusé sexuellement à plusieurs reprises, vient de mourir. « La veille, j’étais avec mes amis et je priais pour qu’il ne meure pas », raconte le jeune homme, qui a vu s’envoler l’espoir de voir celui qu’il désigne comme son bourreau condamné par la justice.

Lire aussi

Au procès de Mansour Labaky, des mots sur l’indicible

Panteleimon Farah emporte à jamais ses secrets dans ce haut-lieu de l’orthodoxie où il avait été envoyé en exil en 2017, à la suite d’une décision du Conseil de discipline d’appel de l’archidiocèse du Mont-Liban de l’Église orthodoxe d’Antioche, pour comportements « indécents ». Après une plainte déposée en 2016 devant le juge d’instruction de Tripoli, Nagi Dahdah, il est inculpé par ce dernier et renvoyé devant la chambre d’accusation du Nord en 2019 pour un délit d’attentat à la pudeur sur mineur. Un mandat d’arrêt avait été émis en juin 2018 alors que ce dernier se trouvait déjà en Grèce. Panteleimon Farah n’a jamais plus remis les pieds sur le territoire libanais, et n’aurait eu « aucune intention de rentrer », selon son représentant, l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Nord Fadi Ghantous, alors que la sentence de l’Église arrivait bientôt à son terme.

Après l’affaire du prêtre maronite Mansour Labaky condamné par le Vatican en 2013, puis par la justice française en octobre dernier pour agressions sexuelles et viols sur mineures, la mort de ce moine qui n’aura pas été jugé à temps par la justice civile ravive les débats sur la gestion des cas de pédophilie au sein des Églises orientales.

Ces dernières semaines, ses partisans ont abreuvé les réseaux sociaux d’hommages et de photos en l’honneur de celui qu’ils considèrent comme un saint, victime d’un complot tour à tour « judéo-maçonique » ou de la main de l’Église grecque-orthodoxe elle-même. En 2013, c’est la chaîne LBCI qui dévoile l’affaire au grand public, provoquant l’ire d’une partie de cette communauté chrétienne et de l’Église, habituée, comme bien d’autres institutions, à régler ses affaires entre quatre murs.

« Tu es mon fils préféré »

Loukas et ses quatre frères et sœurs grandissent dans une famille traditionnelle, autour d’un père curé d’une église grecque-orthodoxe dans le caza de Aley. Alors que leurs camarades profitent de leurs vacances scolaires en allant à la plage, eux font la tournée des monastères. « Panteleimon m’a rencontré pour la première fois lorsque j’étais dans le ventre de ma mère », raconte Loukas. Son frère aîné, Michaël*, 33 ans aujourd’hui, va être la première victime présumée, au sein de la famille, de la manipulation de l’archimandrite.

C’est la première fois que les deux frères livrent leur témoignage à un média. Pour eux, l’exercice relève d’une forme de catharsis. Mais parce qu’ils ont été victimes de harcèlement et de menaces de mort depuis qu’ils ont porté l’affaire devant les tribunaux ecclésiastiques il y a 10 ans, ils ont souhaité garder l’anonymat, ce que L’Orient-Le Jour a accepté.

Lire aussi

Mansour Labaky face aux démons du passé

Michaël rencontre pour la première fois le moine en 1997, « le jour de la mort de Diana » (la princesse de Galles, morte le 31 août à Paris). Il se souvient d’un homme extrêmement gentil et tendre avec les enfants, à qui il apprend à tisser des chapelets. Panteleimon Farah est alors le Yeronda (en grec, l’ancien, le sage) à la tête du monastère de Hamatoura, près de Kousba, dans le Koura. Né en 1953 à Kousba, Ibrahim Farah, de son vrai nom, suit des études de sciences sociales à l’Université libanaise puis de théologie à Balamand. Selon les dires de ses disciples, saint Jacques de Hamatoura, un moine du XVIIe siècle décapité par les Mamelouks, lui serait apparu en lui ordonnant de reconstruire le monastère détruit. Panteleimon, qui s’attribue ce nom en référence au saint éponyme considéré comme un guérisseur, va créer sa communauté de moines à Hamatoura au début des années 1990. Le religieux va rapidement faire de ces ruines un haut-lieu de pèlerinage orthodoxe où les croyants accourent de toutes parts pour prier devant les reliques de saint Jacques et devant une icône de la Vierge à l’enfant, aux vertus miraculeuses. La communauté est fascinée par la voix et l’aura de ce personnage charismatique. « Du temps de Panteleimon, nous avions énormément de visiteurs, notamment des enfants, des familles », raconte un moine chargé de faire la visite guidée aux pèlerins et aux touristes. Aujourd’hui, le monastère à flanc de rocher ne compte plus que sept religieux, plus de la moitié ayant suivi Panteleimon dans son exil en 2017 en Grèce. Le jeune moine précité, arrivé à Hamatoura il y a 16 ans, n’a de cesse de répéter le nom de son fondateur, en soulignant son charisme et ses actions. Mais il se garde d’en dire davantage. « Il a été envoyé en exil il y a quelques années parce que nous avons eu des problèmes. Il est mort la semaine dernière au mont Athos », dit-il, tout en faisant visiter l’église aux fresques anciennes, taillée dans la roche.

Michaël se souvient très bien des passages exigus et des cellules du monastère de Hamatoura.

En juillet 2000, Panteleimon Farah le désigne comme son « fils spirituel » et l’invite à monter le voir dans son ermitage. Selon ses dires, le prêtre se montre très tactile et pose des questions indiscrètes, notamment sur la masturbation, à ce jeune adolescent, âgé alors de 12 ans. Un soir, il aurait invité Michaël dans sa maison familiale située dans le vieux souk de Kousba, devenue une dépendance (un skite en grec) du grand monastère. « Il m’a dit que j’étais tendu et qu’il devait me faire un massage avec de l’huile sainte. Mais il m’a conduit dans sa chambre et en entrant, je n’ai vu que des huiles commerciales de type Baby oil. Il m’a demandé d’enlever mon T-shirt, a enlevé sa soutane et s’est affalé sur moi en me léchant le visage et les tétons. Je suis devenu un bloc de béton. Terrorisé. Je ne sais plus si je l’ai repoussé ou s’il est parti », raconte Michaël, qui restera au monastère les jours suivants. Lorsqu’il lui demande pourquoi il a agi de la sorte, le moine aurait répondu : « Quand une mère change son enfant, elle l’embrasse, et toi, tu es mon fils préféré ».

Selon la légende, Saint Jacob de Hamatoura, martyrisé au XIIIe siècle, serait apparu devant Panteleimon Farah en lui ordonnant de reconstruire son monastère. Photo Joao Sousa

« J’ai fini à l’hôpital sous calmants »

Michaël enfouit la scène dans sa mémoire pendant neuf ans, tout en continuant à fréquenter le lieu mystique. « C’était attirant comme projet, cette reconstruction d’un monastère ancien, atteignable après une randonnée », raconte-t-il aujourd’hui. La rumeur court pourtant, notamment parmi les prêtres, que le Yeronda aurait des comportements « inappropriés ». En 2006, Michaël aperçoit un moine se faire tabasser par ses pairs, pour avoir pensé tout haut « certaines choses » sur Panteleimon. Devenu adulte, il part en 2010 poursuivre ses études de théologie en Europe et conserve des liens avec ce « père spirituel » qu’il qualifie aujourd’hui de « gourou », qui lui interdit d’avoir des relations avec des filles « même orthodoxes et pieuses ». « J’étais totalement sous son emprise, prêt à le défendre devant des détracteurs exposant ses abus sexuels. Et puis le 2 janvier 2011, en me couchant le soir, après des discussions houleuses, tout m’est revenu à la figure et j’ai fini à l’hôpital sous calmants », confie-t-il. S’il prend alors conscience de son déni, il est loin de s’imaginer que l’un des siens figure aussi parmi les autres victimes. Deux ans plus tôt, en 2009, son petit frère, Loukas, devient à son tour un « invité privilégié » du monastère, et développe au fil des mois une relation ambiguë avec ce prêtre qu’il adule. « Il me faisait sentir que j’étais quelqu’un de spécial, et je n’aimais pas qu’il regarde d’autres enfants. Il préparait le terrain pour me manipuler à sa guise », raconte Loukas. Il n’a que 11 ans lorsque Panteleimon l’aurait embrassé sur la bouche lors de la confession. Le jeune garçon interprète alors cela comme quelque chose de « normal », comme « ces parents qui embrassent leurs enfants sur la bouche dans les séries tv occidentales ». Sur une photo, l’on aperçoit un Loukas, 10 ans, haut comme trois pommes, le visage joufflu de l’enfance visiblement heureux d’être enlacé par cet adulte en soutane noire et à la barbe blanche esquissant un sourire.

Quelque temps avant sa rentrée scolaire, en 2011, l’adolescent de 13 ans remonte au monastère passer quelques jours. Selon Loukas, le moine l’invite à passer la nuit dans sa chambre. Ils s’engouffrent dans le même lit, nus, et les abus sexuels commencent. Le garçon se voit alors comme « l’élu » et pense, sur le coup, que cet « enseignement » de « l’ordre de l’intime » n’a rien de problématique. À la même époque, le clan familial est dévasté par l’annonce du cancer du père. L’archimandrite connaît ce contexte et profite, jusqu’en avril 2012, de la vulnérabilité du garçon pour, toujours selon ses dires, l’agresser sexuellement à plusieurs reprises, au monastère mais aussi et surtout dans son skite, à l’abri des regards. « Je n’arrivais pas à identifier la nature de la relation. C’était paternel, mais il y avait des actes sexuels. C’était un religieux, ça ne pouvait donc pas être mon amoureux », dit-il. « Les moines là-bas, notamment ceux qui nous apprenaient les chants byzantins, savaient ce qu’il se passait, j’en suis persuadé. Ils m’ont vu dormir dans sa chambre ou aller au skite passer la nuit. Ils sont complices », accuse Loukas. C’est en tombant sur une émission télévisée d’al-Jadeed traitant d’abus sexuels que le jeune garçon va comprendre ce qu’il lui est arrivé et qu’il s’éloigne de son prédateur présumé en ne répondant plus à ses sollicitations. La mère, désemparée, ne comprend pas ce qui se trame.

Michaël, revenu de l’étranger au chevet de son père malade en août 2012, détecte le comportement « étrange » de Loukas, de 10 ans son cadet. « J’ai réuni mes deux frères et je leur ai dit : même si Jésus-Christ revient sur terre, il n’a pas le droit de vous toucher. Et là, Loukas m’a répondu : “mais ton père spirituel fait ça…” » raconte Michaël. Le rideau tombe sur l’homme « saint », le confesseur, l’intime de la famille, qui a osé souiller des enfants.

Le chemin menant au skite, la demeure familiale de l'archimandrite Panteleimon Farah, à Kousba. Photo Joao Sousa

« Les maronites et les musulmans vont se moquer de nous »

Alors que d’autres potentielles victimes se seraient murées dans le silence, la famille, elle, a le courage de porter plainte en décembre 2012 auprès de l’autorité ecclésiale du Mont-Liban, à l’époque dirigée par l’archevêque Georges Khodr. L’actuel métropolite, monseigneur Selouane Moussi, n’a pas donné suite aux sollicitations de L’Orient-Le Jour. En ouvrant la boîte de Pandore, les deux frères découvrent, selon eux, que Panteleimon Farah n’en était pas à son premier méfait. « C’était connu. Les plus hauts placés au sein de l’Église savaient que c’était un pédophile depuis bien longtemps et ils l’ont couvert », accusent Michaël et Loukas. Durant le premier procès canonique, les garçons seront entendus sans représentant légal et vont être traités comme des « accusés » et non comme des victimes. « Panteleimon, lui, pavoisait avec son avocat, le bâtonnier de Tripoli, qu’il avait les moyens de se payer », raconte Michaël. Dans le compte rendu du procès en première instance, dont L’Orient-Le Jour a obtenu une copie, deux autres jeunes hommes viennent appuyer l’accusation, en révélant avoir été eux aussi abusés sexuellement par Panteleimon Farah. Plusieurs prêtres sont également mentionnés, déclarant avoir récolté sous le sceau de la confession plusieurs témoignages allant dans le même sens. « Il y aurait des dizaines de victimes, mais qui oserait parler dans la communauté ? », déplore Michaël. Ce tournant jette l’opprobre sur sa famille. Pendant des mois, ses membres vont être menacés afin que les deux garçons retirent leur plainte, au téléphone d’abord, mais aussi lors de visites impromptues de partisans de l’archimandrite. Tous les moyens sont bons pour étouffer l’affaire. Des prélats n’hésitent pas à dire à Michaël de « la boucler », parce que Panteleimon est « quelqu’un de dangereux ». « On m’a dit : tu sais qu’il a beaucoup de fils spirituels, notamment au sein de l’armée. Et il connaît bien les moukhabarate syriens, tu ne coûtes qu’une balle, et ils feront passer ta mort pour un accident », relate Michaël.

La réputation du monastère est évoquée, mais aussi celle de toute la communauté. On leur demande de faire « une croix sur le passé », sinon « les maronites et les musulmans vont se moquer de (nous) ». Mais les deux frères ne lâchent rien.

Le 26 novembre 2013, l’archevêché grec-orthodoxe du Mont-Liban condamne Panteleimon Farah à une vie de pénitence, reclus dans son monastère, pour avoir commis des violations « contraires à la vie chrétienne », sans plus de détails. Mais dans les documents confidentiels obtenus par L’Orient-Le Jour, qui appuient la décision, l’Église établit le fait qu’il « est atteint de déviance sexuelle, homosexuelle, depuis ses vingt ans », et « que ce comportement grandissant l’a incité à agresser des mineurs ».

Le verdict provoque un déchaînement de la part de ses partisans qui invoquent un complot orchestré par le Mouvement de la jeunesse orthodoxe. « Ils sont considérés comme les Frères musulmans ou des membres de Daech au sein de l’Église. Ce sont eux qui ont trahi Panteleimon Farah en lui collant de fausses accusations sur le dos », explique son avocat, Me Fadi Ghantous. « Il accueillait des enfants et se montrait chaleureux, mais ça relève de nos traditions orientales! Ce n’est pas comme ça en Occident certes, mais ça ne fait pas de lui un criminel. Et puis tout reposait sur un seul témoignage, ce qui ne tient pas, regardez le procès Labaky ou ce qui se passe avec Nicolas Hulot en France (l’ancien ministre français est accusé d’agressions sexuelles), on parle de dizaines de cas ! » lance Me Ghantous. Pour ce dernier, Loukas aurait été manipulé alors que sa famille traversait une situation très difficile, afin d’empêcher l’archimandrite d’accéder au titre d’évêque du Mont-Liban. Face à la furie des partisans de Panteleimon Farah, Mgr Khodr se verra contraint d’affirmer dans une vidéo en février 2014 que le jugement émane bel et bien de lui.

Panteleimon Farah était à la tête du monastère de Hamatoura avant d'être exilé en 2017. Photo Joao Sousa

« De chrétien à chrétien »

Le 2 juillet 2014, le père de Michaël et Loukas meurt des suites de sa maladie, et la famille est quasiment jetée à la rue. Du jour au lendemain, elle se retrouve dans le dénuement le plus total et dans une détresse psychologique immense. En 2015, une plainte est déposée auprès du juge d’instruction du Nord, Nagi Dahdah, pour des faits d’agressions sexuelles sur Loukas, alors qu’il était âgé de 13 ans, faits qui ne sont pas prescrits par la loi. « C’est un cas très rare où une victime d’abus sexuels va devant les tribunaux libanais. La famille avait insisté pour faire les deux parcours, religieux et judiciaire. Et le travail fait par ce juge a été assez professionnel. Il a tout fait pour mettre Loukas à l’aise », explique son avocate Ghida Frangié. Tout au long de l’enquête, Panteleimon Farah ne prend pas la peine de se rendre aux audiences, invoquant, à tort, le fait qu’il n’est pas contraint de se soumettre à la justice civile. Pendant ce temps, le tribunal ecclésial saisi en appel rend le 22 août 2017 un second verdict, signé par le métropolite de Beyrouth, élias Audi, qui le condamne à l’exil au mont Athos pour une durée de deux ans, selon le document obtenu par L’Orient-Le Jour. En revanche, le conseil de discipline estime ne « pas avoir de preuves tangibles pour prouver un abus sexuel sur mineur », mais indique « que les comportements publics de l’archimandrite sont de nature à semer le doute sur l’éventualité d’un abus sexuel ». Contacté par L’OLJ, le bureau du métropolite de l’archidiocèse grec-orthodoxe de Beyrouth s’est contenté de dire que de « chrétien à chrétien », il est « dommageable – même si vous êtes libre – de publier un article sur un mort », rejetant par la même occasion la demande d’interview. « Il est évident que le verdict du tribunal ecclésial, compte tenu de sa faible expérience en termes de pédophilie, a contribué à renforcer les doutes plutôt qu’à les dissiper dans un sens ou dans un autre, après avoir occulté ou déformé des faits très importants dans l’affaire dont il était saisi », fustige maître Ghida Frangié. « Durant le procès en appel, même l’avocat général me criait dessus, alors qu’il est censé être de mon côté, et il me demandait pourquoi j’avais suivi Panteleimon dans sa chambre, me reprochant de ne pas avoir saisi que c’était mal. C’est dire combien ils sont ignorants sur la question de la pédophilie », regrette Loukas.

La sentence rendue publique va, une fois encore, alimenter le schisme entre les partisans du moine et le reste de la communauté grecque-orthodoxe soucieuse de préserver son intégrité. Quelques mois plus tard, le 11 novembre 2017, une vidéo circulant sur Facebook montre le patriarche grec-orthodoxe d’Antioche, Jean X Yazigi, qui pénètre dans l’église Notre-Dame de Balamand devant des fidèles lançant des « gheir moustaheq » (indigne). Les campagnes de diffamation vont causer des dommages considérables aux deux frères dont les noms seront jetés en pâture sur les réseaux sociaux.

Le « simulacre de procès en appel », selon les victimes, où l’Église elle-même reprend les éléments d’un complot brandi par les partisans de l’archimandrite, convainc les deux frères que seule la justice civile sera en mesure de se montrer impartiale. Mais puisque Panteleimon Farah a décidé de s’y soustraire, un mandat d’arrêt in absentia est émis contre lui en 2018, alors qu’il se trouve déjà en Grèce.

« La grève des juges, le soulèvement du 17 octobre 2019, la pandémie de coronavirus, la crise économique ont ralenti le processus judiciaire. On planifiait le moment où Loukas se présenterait enfin face à Panteleimon devant la cour d’assises, mais avec sa mort, ce moment-là lui a été dérobé », déplore Me Frangié. « Si nous étions des fils d’une des grandes familles grecques-orthodoxes du pays, c’est certain que nous aurions été traités différemment. Mais nous sommes pauvres… » déplore Michaël.

Sur la place centrale de Kousba ainsi que dans les ruelles qui mènent à sa demeure familiale, des portraits géants de Panteleimon Farah ont été affichés. En apparence, le défunt est considéré comme un saint dans son village natal. Aucune des personnes interrogées sur place ou au monastère ne semble pourtant le regretter comme il est de coutume de le faire lorsqu’une personne décède. « Il a fait certaines choses que je ne vais pas nommer, mais clairement ce n’était pas net », déclare une voisine. Sur Instagram ou sur Facebook, des milliers de personnes chantent encore ses louanges. « Je vois des jeunes de mon âge en dire du bien et j’ai envie de leur crier : “mais vous auriez pu être à ma place” », confie Loukas.

*Les prénoms ont été changés.

Le soleil frappe sur le mont Athos en ce dernier jour de novembre. Une douzaine de moines orthodoxes suivent et filment le cercueil de l’un d’entre eux jusqu’à sa dernière demeure, au monastère de Vatopedi. La tradition monastique aurait voulu que le religieux soit enterré dans un tapis ancien. Mais l’archimandrite libanais, Panteleimon Farah, 68 ans, est mort du Covid-19, et reste...
commentaires (9)

Eh bien dites-donc, messieurs les Orthodoxes, vous voulez imiter les Catholiques maintenant? Alors à quand le filioque???

Georges MELKI

14 h 50, le 20 janvier 2022

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Eh bien dites-donc, messieurs les Orthodoxes, vous voulez imiter les Catholiques maintenant? Alors à quand le filioque???

    Georges MELKI

    14 h 50, le 20 janvier 2022

  • Enquête éclairante et brûlante comme une flamme, douloureuse et indispensable pour l'enseignant et pasteur retraité que je suis. Rigueur de l'investigation, recoupement et confrontation des sources, respect des personnes... Qualité et sobriété d'écriture qui rendent évidentes sa clarté et sa nécessité. Votre travail, Madame, est un hommage à votre profession - consacré par le prix Albert Londres -, au quotidien qui le publie, à l'éthique si souvent piétinée. C'est un témoignage qui parle auprès comme au loin (je ne connais du Liban que son apport à la vie, incarné par les Libanais(e)s qui comme vous ne renoncent pas à partager leurs expériences et leurs réflexions. Par delà le condensé de ce que l'humanité peut avoir de pire et offrir de meilleur, vous invitez à un refus de la fatalité et une volonté d'espérer qui me/nous rendent mieux humain(s). Merci, Madame. Philippe Rochat CH 1422 Grandson (Vaud, Suisse)

    Rochat Philippe

    15 h 15, le 15 décembre 2021

  • Le moins qu’on puisse dire est que Caroline Hayek n’a pas volé le prix Albert Londres! La qualité, l’exigence et le courage de cette enquête font honneur à l’OLJ. Merci un grand merci aux témoignages des personnes qui ne se sont pas tues après avoir été abusées. Leur parole et leur dignité contribuent à faire la différence entre la résilience et la résistance. Vive la seconde, vive la leur!

    Eddé Dominique 4037

    13 h 23, le 11 décembre 2021

  • Un grand merci pour cette enquête de qualité. Cette famille a bien du courage. C’est grâce à ces témoignages que d’autres oseront parler et briser l’omerta qui règne autour de certaines figures publiques et religieuses.

    Amélie Zaccour

    10 h 55, le 11 décembre 2021

  • Merci de cet article dénué de toute passion, sanctifiant le Père Pantéléimon ou le diabolisant. Même revêtu de l'habit monastique et de ses ornements liturgiques, même tenant entre les mains les espèces consacrées, un homme reste un homme, un être de chair et de sang. S'il commet un acte incompatible avec son statut, que ses autorités de tutelle appliquent le châtiment disciplinaire qui s'impose. Si se même acte est un délit ou un crime, que ces mêmes autorités alertent la justice civile et pénale. C'est apparemment ce qui n'a pas été fait. On a préféré, comme dans le cas du Père Labaky, régler cette affaire "entre soi". Le durcissement des poursuites disciplinaires ne transformera pas le clergé, ou tout autre groupe fermé, en une assemblée d'anges. Eradiquer le mal est une utopie qui nécessite d'exterminer l'humanité ou de lobotomiser tous les humains. Tant le Bien que le Mal sont deux pôles inséparables de la conscience de tout homme. On se doit surtout de veiller sur les plus faibles, ceux qui pourraient devenir des victimes de pédophiles, de violeurs, de pervers narcissiques, de sadiques, de professionnels du harcèlement des autres etc. Que soient brisés les murs du silence dans les domaines de la vie religieuse, de la vie éducative, de l'éducation mais également du scoutisme. C'est là précisément que la tentation d'abuser des plus faibles est la plus répandue. Sans oublier le harcèlement sexuel dans les milieux professionnels. Un crime demeure un crime.

    COURBAN Antoine

    07 h 58, le 11 décembre 2021

  • Il faut que toutes les églises encouragent l'ordination de prêtres mariés. Cela réduirait de beaucoup les problèmes de ce genre.

    Youssef Najjar

    01 h 26, le 11 décembre 2021

  • Bravo . Aujourd’hui, enfin on lève le voile, ouvrant la boîte de Pandore dont sortent des milliers de témoignages : des âmes broyées, des corps souillés qui sont enfin entendus. Et le ciel seul sera le grand juge

    Antoine Sabbagha

    19 h 26, le 10 décembre 2021

  • Et pourquoi en faire tout un plat de ce pédophile ? Il n y a pas d'autres nouvelles à commenter aujourd'hui ?

    TrucMuche

    10 h 12, le 10 décembre 2021

  • L'omerta et la protection par l'Église de ces pédophiles sont innacceptables. Ces gens-là devraient tous être trainés et jugés dans des tribunaux de droit commun.

    K1000

    02 h 58, le 10 décembre 2021

Retour en haut