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Économie - Réformes

Contrôle des capitaux : une nouvelle proposition de loi bien mal embarquée

Le texte accorde un certain nombre de prérogatives à la Banque du Liban.

Contrôle des capitaux : une nouvelle proposition de loi bien mal embarquée

Une devanture de banque à Sin el-Fil. Photo P.H.B.

Une dernière mouture de la proposition de loi, a priori revêtue du caractère de double urgence et instaurant un contrôle formel des capitaux, a fuité la semaine dernière en amont d’une réunion des commissions mixtes prévue aujourd’hui, avant une séance ordinaire du Parlement convoquée mardi. S’inspirant en partie des textes qui ont déjà été étudiés en commission parlementaire – notamment celle des Finances et du Budget présidée par Ibrahim Kanaan (Courant patriotique libre) et celle de l’Administration et de la Justice de Georges Adwan (Forces libanaises) –, le texte fait l’objet de nombreuses critiques.

Version non signée... puis signée

Contacté, Georges Adwan rejette toute filiation avec la nouvelle proposition. « Elle a été distribuée pendant la séance des commissions mixtes mercredi dernier. Le vice-président du Conseil Saadé Chami nous a affirmé qu’il s’agissait d’une version préparée par le gouvernement, donc nous nous attendions à ce qu’elle fasse l’objet d’un projet ou d’une proposition de loi signée par un député », raconte Georges Adwan avant d’ajouter : « J’ai pour ma part appris samedi que le texte avait été déposé sous forme de proposition de loi au secrétariat général du Parlement par le député Nicolas Nahas, qui l’a signée. »

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Selon le député Amal Yassine Jaber, membre de la commission des Finances, la version signée par Nicolas Nahas (député de Tripoli, membre du groupe parlementaire du Premier ministre Nagib Mikati) comporte certains amendements par rapport à la version qui circule depuis mercredi dernier. « Celle-ci a été rédigée de manière précipitée et il y a eu des changements depuis, après consultation avec le Fonds monétaire international (FMI). D’autres modifications substantielles seront apportées en commission », a-t-il insisté.

Georges Adwan assure pour sa part être fermement opposé au contenu de la proposition, une position qu’il ne manquera pas d’appuyer lors de la réunion des commissions mixtes. « La proposition ne correspond pas du tout à ce qui devrait être mis en place pour atteindre les objectifs d’un tel dispositif, y compris aux yeux du FMI, qui appelle en premier lieu à intégrer la loi à un ensemble de réformes devant permettre au Liban de sortir de la crise », a-t-il ainsi assuré. Il ajoute que les propositions élaborées par chacune des deux commissions ont été transmises il y a plusieurs mois au secrétariat du Parlement. Sollicités, ni Ibrahim Kanaan ni Nicolas Nahas n’ont répondu à nos appels. Selon des sources parlementaires, le président de la commission des Finances est également opposé au texte.

Nicolas Nahas fait, lui, partie (officieusement du moins) du groupe de négociateurs désignés par le gouvernement de Nagib Mikati pour participer aux discussions techniques avec le FMI, lesquelles doivent déboucher sur les négociations devant permettre au Liban d’adhérer à un programme d’assistance financière, ce qu’il avait sollicité pour la première fois au printemps 2020. Outre Saadé Chami, ce groupe inclut notamment le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé et le ministre des Finances Youssef Khalil (un ancien cadre de la BDL). Une première série de discussions techniques lancée en mai 2020 avait été suspendue par le FMI deux mois plus tard, suite à un désaccord entre le gouvernement de Hassane Diab, d’un côté, la BDL, l’Association des banques du Liban (ABL) et certains députés, de l’autre, sur l’approche à privilégier pour comptabiliser ces pertes et les répartir.

Les dispositions générales

Qu’elle ait été transmise au Parlement telle qu’elle ou avec des amendements, la proposition de loi qui circule depuis mercredi dernier mérite d’être passée au crible, au regard des questions qu’elle soulève.

Au niveau des dispositions générales, le texte met en place un contrôle des capitaux (des limites à la liberté de transférer des fonds vers le pays ou à partir de celui-ci) qui s’étend sur un an, comme ce qui était prévu dans les autres propositions. Cette période peut être également renouvelée par une décision du Conseil des ministres, qui devra se baser sur les recommandations du gouverneur de la BDL et du ministre des Finances. Le texte reconnaît ensuite la distinction entre les fonds frais – qui désignent les devises déposées sur des comptes spéciaux et dont la disponibilité est protégée par la circulaire n° 150 de la BDL du 9 avril 2020 – et les autres dépôts en devises qui ont été assujettis à des restrictions illégales des banques.

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La référence à cette circulaire est une nouveauté, dans la mesure où dans la version de la commission des Finances par exemple, la distinction avait été opérée en prenant pour repère le 17 octobre 2019, les fonds frais en devises désignant alors celles déposées après cette date sur des comptes spéciaux. Cette date, qui correspond au début de la contestation populaire contre la classe politique, avait également marqué le début d’une période de près d’un mois pendant laquelle les banques avaient fermé leurs portes en invoquant les troubles à l’ordre public. Elles les avaient brièvement ouvertes le 1er novembre suivant, puis pour de bon le 17 du même mois juste après que l’Association des banques ne publie une première liste de restrictions harmonisées, que certains établissements continuent d’appliquer jusqu’ici.

Au niveau des effets, le texte interdit les transferts vers l’étranger depuis des comptes bancaires au Liban en devises ou en livres, que ceux-ci soient créditeurs ou débiteurs. Il prohibe également les opérations de conversions de livres en devises ou inversement, à moins que le client ne fournisse lui-même les fonds en espèces ou via des transferts depuis l’étranger. Le texte souligne explicitement qu’en dehors des transactions réalisées à partir des comptes accueillant des fonds frais, les retraits d’argent au Liban ne pourront être effectués qu’en livres au taux fixé par la plateforme Sayrafa mise en place par la BDL et dont le taux a toujours été inférieur à celui du marché parallèle. De plus, les modalités et plafonds de retraits en livres autorisés seront eux fixés par la Banque du Liban, contrairement à ce que prévoyaient d’anciennes versions qui fixaient elles-mêmes certaines limites.

Les exceptions

Comme cela avait été suggéré dans de précédentes propositions, les nouvelles dispositions ne concernent pas les comptes appartenant aux ambassades, aux organisations internationales, qu’elles soient « financières » ou pas, précise le texte. En revanche, les comptes de la BDL et de l’État ont été retirés de cette liste d’exceptions, alors que d’anciennes versions les avaient inclues.

En dehors de ces catégories spécifiques, le texte élabore une liste de transferts qui peuvent être autorisés, à condition que le client qui demande à les exécuter ne possède pas de compte à l’étranger (une donnée qui peut être vérifiée via les procédures d’échanges d’informations fiscales), ni de compte d’argent frais au Liban. Le problème avec ce critère c’est qu’il peut être interprété comme une obligation implicite pour les déposants entrant dans ce cas de figure à renoncer à recouvrer leurs dépôts en devises bloqués pendant au moins la durée d’application de la loi.

Pour revenir aux aménagements prévus, le prétendant à l’exception doit en outre : posséder un compte bancaire débiteur sur lequel le montant qu’il souhaite transférer est déjà déposé ; accepter la levée du secret bancaire (la proposition ne précise pas si c’est sur le compte à partir duquel le transfert va être effectué) vis-à-vis de la « Centrale » qui sera créée par la BDL quinze jours maximum après la publication de la loi au Journal officiel, et participera à son pilotage. En bref, cette structure semble similaire à la centrale des risques qui existe déjà pour le contrôle des crédits ou encore celle créée dans le cadre de la mise en œuvre de la circulaire n° 158 du 8 juin 2021 (qui institue, à certaines conditions, la possibilité de retirer 400 dollars en espèces et son équivalent au taux de 12 000 livres pour un dollar depuis des comptes bloqués, dans certaines limites).

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Seront autorisés les transferts destinés à : payer « des frais d’études et de vie » des étudiants universitaires ; régler des commandes de matières premières ou d’équipements effectués par des acteurs des « secteurs productifs » (sans préciser lesquels) ou jugés « prioritaires relevant du domaine social » ; ou encore les transferts englobant des dépenses de « santé et l’éducation » sans plus de précisions. Si la liste est moins détaillée que celles qui avaient pu être intégrées dans d’autres propositions de loi, c’est parce que celle-ci donne au conseil central de la BDL la prérogative de décider lui-même de la catégorie d’acteurs qui pourront transférer de l’argent à l’étranger et dans quelles proportions. Le texte impose également aux bénéficiaires des exemptions qui exportent une partie de leur production à rapatrier une partie des fonds, sans préciser de montant ou de ratio.

Certains transferts pouvant être autorisés, qui avaient été prévus dans les autres propositions, ont enfin disparu de cette nouvelle version, à l’image de ceux devant servir à régler les impôts et taxes dus à un pays étranger, les engagements financiers (les crédits en devises, par exemple), ou encore certains paiements en ligne.

La procédure

La banque saisie d’une demande de transfert pouvant être autorisée disposera d’un délai de dix jours pour réagir. Passé ce délai et en l’absence de réaction de l’établissement, la demande sera considérée comme acceptée, sans précision sur le temps de réaction maximum de la banque dans ce cas de figure.

En cas de feu vert, l’argent du transfert sera viré depuis un compte de la banque auprès de sa banque correspondante, selon les termes du texte. En cas de refus, la banque devra transférer le dossier à la Centrale spécialement créée qui disposera à son tour d’un délai de cinq jours pour répondre. Un nouveau délai au-delà duquel la demande sera également considérée comme acceptée, là aussi sans plus de détail.

En cas de refus du transfert par la banque et de la Centrale, le client aura enfin dix jours de plus pour déposer une plainte auprès d’un tribunal spécial créé par le Conseil supérieur de la magistrature, laquelle devra réagir dans les cinq jours. À défaut, la demande sera considérée comme valide. Si en revanche elle est rejetée, le client n’aura plus aucun recours possible.

La Commission de contrôle des banques aura, elle, la charge de vérifier que la loi est bien appliquée. Des sanctions ont été prévues pour les banques comme pour les clients qui présentent de « faux documents ». La haute autorité bancaire (une autre création introduite dans les précédentes propositions de loi) devra également être constituée dans les deux semaines suivant la publication du texte au Journal officiel.

Autre point important, la dernière version de la loi réintègre le très polémique article 8 qui figurait dans une des versions élaborées au cours des mois précédents. Celui-ci affirme qu’une fois adoptée, la loi instituant un contrôle des capitaux primera sur toutes les dispositions contraires au Liban. Elle offrira en outre une couverture légale et rétroactive à tous les transferts refusés, même ceux visés par des actions en justice au Liban comme à l’étranger et sur lesquelles il n’y a toujours pas eu de décision ayant autorité de la chose jugée (définitive et non susceptible d’appel). Le seul dispositif de contrôle fixé par la loi oblige la BDL à transmettre chaque trimestre un listing des transferts effectués à l’étranger au « ministre des Finances ».


Une dernière mouture de la proposition de loi, a priori revêtue du caractère de double urgence et instaurant un contrôle formel des capitaux, a fuité la semaine dernière en amont d’une réunion des commissions mixtes prévue aujourd’hui, avant une séance ordinaire du Parlement convoquée mardi. S’inspirant en partie des textes qui ont déjà été étudiés en commission...

commentaires (7)

Je remarque qu'une circulaire apparaît soudainement sans présentation ni transition. Bien joué! Bon sinon le mal est déjà fait et tous les détournements ont déjà été réalisés mais certains sont toujours en cours oui. De plus, vous avez au moins une centaine de personnes qui touchent tous les mois leur salaire sans faire grand chose. Cela est une autre forme de fraude oui. On cherche à mettre en place un système coercitif et complexe pour freiner l'activité dans le pays au lieu d'un système repressif à l'encontre des compagnons d'Ali Baba. Diviser pour mieux régner, isoler pour mieux exclure

Georges Olivier

16 h 59, le 06 décembre 2021

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Commentaires (7)

  • Je remarque qu'une circulaire apparaît soudainement sans présentation ni transition. Bien joué! Bon sinon le mal est déjà fait et tous les détournements ont déjà été réalisés mais certains sont toujours en cours oui. De plus, vous avez au moins une centaine de personnes qui touchent tous les mois leur salaire sans faire grand chose. Cela est une autre forme de fraude oui. On cherche à mettre en place un système coercitif et complexe pour freiner l'activité dans le pays au lieu d'un système repressif à l'encontre des compagnons d'Ali Baba. Diviser pour mieux régner, isoler pour mieux exclure

    Georges Olivier

    16 h 59, le 06 décembre 2021

  • Encore une tentative d'absoudre les fuites de capitaux des canailles politichiennes et des crapules bancaires et de faire suporter aux deposants les fruits de leur rapines. Avec la complicite active du FMI semble-t'il ???

    Michel Trad

    11 h 52, le 06 décembre 2021

  • Ils ne tarissent pas de propositions de lois pour continuer leur hold-up et le mènent jusqu’à l’assèchement total des institutions et des poches et tiroirs caisse des libanais tout en fructifiant leurs larcins. Tout ça aux vu et au su de tous les citoyens libanais et des médias. Une conférence a eu lieu le 3 du mois courant avec tous les éminents avocats et spécialistes des fraudes et des malversations à et aucun média n’a trouvé utile de le relayer et de prendre le relais de cette commission pour en faire un LEBANESE PAPER préférant s’intéresser à ce qui se passe au Mozambique. L’attitude de tous les médias libanais est plus que déroutante, à se demander s’ils ne sont pas de mèche avec ces voleurs qui gouvernent le pays. Malheureusement je ne vois pas d’autres raisons pour ne pas saisir cette opportunité pour mettre à nu tous ces charlatans voleurs vendus. Ça s’appelle de la collaboration avérée pour tuer notre pays. HINTE A VOUS TOUS.

    Sissi zayyat

    11 h 48, le 06 décembre 2021

  • Apres avoir fait table rase du gros des avoirs du commun des mortels, ils s'acharnent maintenant a priver ceux-ci des maigres deniers restants, si toutefois il en reste encore, tout en essayant de se disculper de leurs honteuses malfaisances. Tonton la Foret

    Tayeh Antoine

    10 h 51, le 06 décembre 2021

  • Vivement que les enquêtes internationales dévoilent ne serait qu’une infime partie de la corruption qui a sévi durant les 30 dernières années au Liban

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 25, le 06 décembre 2021

  • Je lis que le texte accorde des prérogatives à la BdL. Autant nommer un loup gardien de la bergerie. Le chef des voleurs chargé de garder l’argent des déposants, only in Lebanon

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 24, le 06 décembre 2021

  • En résumé, les députés et autres politiciens qui ont volé l’argent public en enfonçant l’Etat dans une dette phénoménale que ce dernier refuse d’honorer à présent, veulent légaliser ce vol en se servant de notre épargne. Tous les présidents, premiers ministres, ministres, députés, politiciens, hauts fonctionnaires et leurs proches des 30 dernières années sont des incompétents, corrompus, voleurs et maintenant insolents. Introduire un contrôle des capitaux créera un marché noir florissant pour les gangsters qui permettra aux libanais d’échanger leur monnaie de singe en devises. C’est exactement ce qui c’est passé en Syrie dans les années 60. Tous les responsables de cette situation doivent être jugés illico pour leurs méfaits quel que soit leur bord politique sinon il y aura une véritable révolution comme celle de 1789 en France et des têtes tomberont

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 41, le 06 décembre 2021

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