Proposé à une maison d’édition ou à une boîte de production, le scénario aurait certainement été jugé trop loufoque. Comment en effet imaginer qu’un jeune Libanais chiite, originaire de Tyr, se retrouve devant le FBI pour avoir prétendu être juif pendant des années, au point de tromper tout le monde, y compris sa femme ? Cette histoire à dormir debout est pourtant réelle et a été rapportée par la presse anglo-saxonne et israélienne ces derniers jours. C’est celle de Ali Hassan Hawila, 23 ans, né à Tyr le 25 décembre 1997, dénoncé par son beau-père auprès des autorités américaines et suspecté, dans un premier temps, d’être un « agent à la solde du Hezbollah ». Pourquoi s’inventer, sinon, une autre vie, s’infiltrer ainsi au sein de la communauté juive et mentir à tout son entourage ? Par amour, si l’on en croit sa version des faits, sachant que le FBI a écarté toute piste le liant au Hezbollah. Par amour pas seulement pour sa femme, mais pour le judaïsme en général. « J’ai été attiré par la Torah parce qu’en la lisant, tout prend son sens », dit-il aujourd’hui à L’Orient-Le Jour.
Ali a grandi dans le quartier de Bourj el-Chemali, dans une petite famille qui implosera par la suite. Il fréquente plusieurs établissements scolaires : l’école privée évangélique, l’école internationale d’anglais et l’école publique de Abbassiyé. « J’étais un très bon étudiant, surtout en maths et physique », affirme-t-il. Adolescent, il vit avec sa mère qui « a fait des études d’archéologie à l’Université libanaise, mais ne travaille pas ». « Elle n’est pas vraiment pratiquante », ajoute-t-il. Son père, qui « détient la nationalité américaine depuis les années 90, vend des vêtements à Houston ». Il est pratiquant, et le manque d’intérêt qu’a son fils pour l’islam le met en colère. Il lui reproche de ne pas se rendre à la mosquée et de ne pas célébrer Achoura, la commémoration de la mort de Hussein, événement fondateur de l’islam chiite. « Il me disait : tu me fais honte, les gens parlent de toi ! » se souvient le jeune homme. Et comme s’il lui répondait, il lance en haussant le ton : « Laisse-moi tranquille, je ne crois pas en l’islam. Laisse-moi être ce que je veux ! » « Il a même dit à ma mère de me mettre à la rue à deux reprises ! » lâche-t-il.
À 16 ans, Ali commence à s’intéresser au judaïsme. Il se met à apprendre l’hébreu en ligne et se fabrique même une kippa à l’aide d’un petit carton découpé en cercle et recouvert d’un bout de tissu noir. S’il ne porte sa kippa « qu’à la maison », il ne cache pas son intérêt pour le judaïsme en public. Mais dans un pays encore officiellement en guerre avec Israël, dans une famille chiite du Liban-Sud qui a vécu de près l’occupation israélienne, cela ne passe pas. Il se fait traiter de « chien de juif ! » et reconnaît aujourd’hui qu’il « vivait dans la peur ».
« C’est là que le mensonge a commencé »
Le jeune homme quitte le Liban en 2015, à 18 ans, pour les États-Unis. Quelques mois après son arrivée à Houston, il cherche à se convertir. Mais ses mails et appels restent sans réponse. « J’avais le sentiment de mourir parce qu’on ne me répondait pas », assure-t-il. Se sentant rejeté, il décide de ne plus chercher à se convertir et considère qu’il n’en a pas besoin pour être juif. « Lorsqu’on me demande ma religion, je réponds : juif. » « C’est là que le mensonge a commencé », reconnaît Ali.
En 2017, il s’inscrit à l’Université A&M du Texas pour faire des études d’ingénierie aérospatiale. C’est à ce moment-là qu’il se rapproche de la communauté juive. « Eliyah » voit le jour et Ali disparaît petit à petit. « Eliyah. Je m’appelle Eliyah. Je n’utilise pas l’autre prénom », assure-t-il aujourd’hui.
Après s’être inscrit sur un site de rencontre dédié aux célibataires juifs, il apprend, « le 3 janvier 2021 », qu’une entremetteuse lui a trouvé une âme sœur. C’est Sally, de quelques années son aînée. La jeune femme, qui est née et vit à Brooklyn, est juive de parents syriens. Vingt jours plus tard, Ali prend l’avion pour New York pour leur premier rendez-vous. « J’étais fou d’elle », raconte-t-il. Cinq mois après, il abandonne son cursus et s’installe à Brooklyn. Il la demande en mariage le 1er août, les fiançailles ont lieu le 10 du même mois. « Après avoir rencontré Sally, je suis né à nouveau. Rien au monde ne peut décrire mon bonheur de commencer une nouvelle vie avec ce bijou, la meilleure fille au monde », dit-il dans un discours le jour de ses fiançailles. Il est fou de joie, et Sally à ses côtés semble comblée.
« Tout ce que je craignais, c’était de perdre ma femme »
Le couple se marie le 17 octobre 2021 à la synagogue Ohel David & Shlomo à New York. Sally pense épouser un Américain d’origine libanaise et de confession juive. Elle n’a jamais rencontré sa famille. Ali a réussi à lui faire croire qu’il est en mission pour l’agence de renseignements NSA (National Security Agency) et a présenté un faux arbre généalogique pour prouver ses origines juives.
Dans la vidéo de leur mariage, l’on voit Ali Hassan Hawila, en costume noir, kippa sur la tête et cravate blanche, et Sally, robe blanche à manches longues ornée de dentelle, bouquet d’orchidées à la main, embarquer dans une limousine blanche. Entourés de juifs orthodoxes, ils se disent oui, et comme le veut la tradition, le marié écrase un verre de son pied droit. Mais « l’imposteur libanais », comme le surnomme une partie de la presse, finit par être rattrapé par son mensonge.
Le 5 novembre, le père de Sally frappe à la porte de la maison du couple. Il est en colère. Il vient de découvrir la supercherie après avoir réussi à contacter le père du jeune marié. Sa fille a épousé Ali, un chiite, alors que sa communauté interdit les mariages avec les « convertis ». Inconcevable pour le beau-père. « Sally s’est mise à pleurer », raconte le jeune homme. Son épouse quitte le domicile conjugal. Trois jours plus tard, la presse orthodoxe dévoile l’affaire. Ali est licencié de son emploi d’informaticien. Suivant le conseil de ses amis, il quitte Flatbush avec 1 500 dollars en poche et s’installe dans un hôtel dans le Upstate de New York.
Certains médias rapportent que c’est Sally qui a découvert le véritable nom sur le passeport de Ali et a prévenu ses proches. Chose que l’intéressé dément. Pour lui, elle « est toujours mon épouse », même si leur mariage n’a jamais été inscrit. Le FBI et la police de New York (NYPD) ouvrent une enquête et affirment plus tard que le jeune homme « n’avait aucun lien avec des groupes terroristes ». « Il n’y a aucune menace crédible pour la communauté juive, et il n’y a aucun lien entre cette situation et le terrorisme », déclare un représentant du NYPD au Yeshiva World News.
« Je n’avais pas peur d’aller en prison ; tout ce que je craignais c’était de perdre ma femme », assure pour sa part Ali. « Je l’aime et j’espère qu’elle va me donner une autre chance », ajoute-t-il, assurant avoir des remords. De sa chambre d’hôtel, il donne aussi des interviews à la presse israélienne. Dans un entretien avec Roi Kais, journaliste à la chaîne gouvernementale israélienne Kan, il apparaît en pleurs et brandit son passeport libanais.
Ali prévoit de se rendre en Israël et se convertir enfin au judaïsme. Parler du Liban le fait grincer des dents. « Je vais bientôt présenter une demande de renonciation à la nationalité libanaise. Tant que le Hezbollah se trouve au Liban, je ne vais pas y mettre les pieds », assure-t-il.
commentaires (13)
"« J’ai été attiré par la Torah parce qu’en la lisant, tout prend son sens », dit-il aujourd’hui à L’Orient-Le Jour." Evidemment, puisque la Torah est à l'origine des mythes fondateurs des deux autres religions "abrahamiques"...
Georges MELKI
10 h 52, le 06 décembre 2021