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Deux frères en Amérique

L’ancien président des États-Unis Barack Obama et la rockstar planétaire Bruce Springsteen publient l’intégralité de leurs entretiens de l’été 2020, superbement mis en livre.

Deux frères en Amérique

D.R.

Born in the USA de Barack Obama et Bruce Springsteen, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, 2021, 320 p.

uel que soit le pays, quel que soit le régime, quel que soit le dirigeant, les rapports entre les politiques (au sens large) et les créateurs (intellectuels, artistes…) vont rarement de soi, nourris de trop d’arrière-pensées mutuelles. Les uns comptent sur la célébrité, la popularité des autres pour leur amener des électeurs ; les autres, du moins ceux qui, par leur art, rêvent de « changer la vie », peuvent se montrer grisés d’approcher le pouvoir et, partant, faire preuve d’une indulgence coupable à l’égard de leurs puissants amis. Il y a quelques exceptions, bien sûr, de ces « couples » célèbres où, en dépit de la sympathie, chacun conserve sa liberté de penser. L’artiste surtout.

C’est le cas de Bruce Springsteen, dans sa relation avec Barack Obama. Ce qui ne surprendra guère ses fans. Il se définit lui-même comme un « col bleu », un prolo du New Jersey (où il vit toujours), un « working class hero » sorti du rang et parvenu au sommet, conforme en tous points à ce modèle d’ascenseur social dont les Américains sont si fiers. Dans leur esprit, leur pays est toujours celui du « tout est possible ». Et, à sa façon, Barack Obama, le gamin noir d’Hawaï devenu 44e président des États-Unis et le premier « de couleur » dans une société où le racisme et la violence intercommunautaires ne sont jamais très loin de resurgir (ainsi que le règne de son successeur à la Maison Blanche, jamais nommé dans ce livre, l’a amplement et dramatiquement démontré), de surcroît prix Nobel de la Paix, en est aussi un exemple probant.

Au fil de sa longue carrière, depuis 1973 et son premier album, Greetings From Asbury Park, N.J., l’auteur-compositeur-interprète est resté fidèle à ses racines, à son milieu, à ses convictions « de gauche », pour faire simple. On se souvient qu’il a consacré un album en 1995 aux Raisins de la colère de John Steinbeck, intitulé The Ghost of Tom Joad. Springsteen chante et incarne l’Amérique profonde, celle des campagnes et des petites villes, d’une jeunesse de « petits blancs » qui n’a souvent comme distraction, le samedi soir, que les virées en voiture, la bière, et le rock’n’roll.

Ces deux-là se sont rencontrés en 2008, lorsque Springsteen, comme nombre d’artistes américains majeurs, s’est engagé aux côtés du candidat démocrate, acceptant de participer à des concerts-meetings, comme ça se fait là-bas. Puis une vraie amitié est née entre eux. En France, même s’il y a eu des équivalents, par exemple du temps de François Mitterrand, pareille chose n’est plus très bien vue. Il y a sans doute eu trop de déceptions, trop de politiques qui n’ont pas tenu leurs belles promesses. Obama, d’ailleurs, a-t-il accompli tous ses chantiers annoncés, mené les réformes qu’il avait promises, réussi à rendre l’Amérique plus juste ? L’histoire jugera. En particulier à l’aune de ses successeurs.

Ensuite les deux hommes ont continué de se fréquenter, en privé, en famille. Et puis, à l’été 2020, en pleine crise de la Covid-19 calamiteusement gérée par « l’occupant de la Maison-Blanche à ce moment-là », comme écrit Obama dans son introduction, l’ancien président a proposé à son ami, lequel a accepté après un temps d’hésitation, de se livrer à une série d’entretiens enregistrés dans le propre studio de Bruce Springsteen, pour être diffusés en podcast. L’exercice, apparemment, mené en toute liberté, leur a plu, ainsi que le résultat. Ils en publient aujourd’hui l’intégralité du texte, sous le titre springsteenien de Born in the USA – devenu, presque à contresens, un hymne patriotique –, en huit vastes chapitres, où se mêlent leurs histoires personnelles et quelques grands thèmes de réflexion. Le tout est illustré d’une somme impressionnante de photos, de documents rares ou inédits: par exemple des tapuscrits de discours de Barack Obama corrigés de sa main, ou bien des textes de chansons de Springsteen, manuscrits et raturés, sur des pages de carnets ou de bloc-notes, émouvants.

C’est passionnant, plein d’humour et de bons sentiments bien sûr, américanissime, et, à la toute fin, les deux complices se donnent du « mon frère ». Amen.


Born in the USA de Barack Obama et Bruce Springsteen, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, 2021, 320 p.uel que soit le pays, quel que soit le régime, quel que soit le dirigeant, les rapports entre les politiques (au sens large) et les créateurs (intellectuels, artistes…) vont rarement de soi, nourris de trop d’arrière-pensées mutuelles. Les uns comptent sur la...

commentaires (1)

Le traducteur a omis le mot principal du titre: Renegades! D'où le titre complet: Renegades Born in the USA...

Georges MELKI

11 h 53, le 30 décembre 2021

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Commentaires (1)

  • Le traducteur a omis le mot principal du titre: Renegades! D'où le titre complet: Renegades Born in the USA...

    Georges MELKI

    11 h 53, le 30 décembre 2021

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