Trois juges ont démissionné au Liban pour protester contre l'ingérence du pouvoir politique dans la justice, notamment dans l'enquête sur l'explosion dévastatrice au port de Beyrouth le 4 août 2020.
L'information a été rapportée par l'AFP puis confirmée à L'Orient-Le Jour. Des sources judiciaires ont indiqué à L’Orient-Le Jour que trois juges ont présenté leur démission au président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) Souheil Abboud et que leur motif principal était de protester contre l’état déplorable de la justice et sa perte de crédibilité. Il s’agit des juges Jeannette Hanna, présidente de la 5e chambre civile de la cour de cassation, Roula Husseini, présidente d’une chambre de cour d’appel de Beyrouth, et Carla Kassis, avocate générale près la cour de cassation.
Toujours selon ces sources, les trois juges se seraient entretenues il y a une dizaine de jours avec Souheil Abboud, qui leur aurait demandé de patienter avant d’officialiser leur démission, en attendant d’avoir discuté de leurs motifs avec l’ensemble des membres du CSM. Selon les informations disponibles, leur démission n’aurait toujours pas été acceptée à ce jour d'autant plus que Souheil Abboud reconnaît en eux des juges de grande probité.
Dans un pays où les dirigeants politiques déterminent les nominations judiciaires, y compris dans les plus hautes juridictions, la marge de manœuvre de la justice est faible. L'enquête sur la gigantesque explosion du 4 août 2020 a montré l'ampleur des ingérences politiques dans la justice, de hauts responsables s'acharnant sur le juge d'instruction Tarek Bitar, en recourant à des manœuvres juridiques pour entraver son travail. Des tribunaux libanais ont néanmoins rejeté jeudi des poursuites bloquant l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth, ouvrant ainsi la voie à la reprise de l'enquête.
Selon la source judiciaire citée par l'AFP, les trois juges en question ont présenté leur démission "pour protester (...) contre les ingérences politiques dans le travail de la justice et les atteintes aux décisions émises par les juges et les tribunaux".
Des responsables politiques de tous bords refusent d'être interrogés par le juge Bitar, même si les autorités ont reconnu que l'explosion, qui a fait plus de 200 morts, 6.500 blessés et détruit le port ainsi que des quartiers entiers de Beyrouth, était due au stockage sans mesures de précaution d'énormes quantités de nitrate d'ammonium. Les politiciens mis en cause ont déposé une quinzaine de plaintes contre le juge Bitar, qu'ils cherchent à écarter de l'affaire de l'explosion.
"Le questionnement permanent des décisions de justice ternit sa réputation", a affirmé à l'AFP la source judiciaire s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.
L'affaire de l'explosion de Beyrouth n'est pas la seule faisant l'objet d'ingérences politiques. Une enquête sur des accusations d'évasion fiscale et d'enrichissement illicite portées contre le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, a également été suspendue après des poursuites lancées contre le juge d'instruction Jean Tannous.
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La justice est un autre domaine où le changement et la réforme ont – hélas! – manqué à l'appel.
Youssef Najjar
08 h 25, le 27 novembre 2021