Le président libanais Michel Aoun a estimé dimanche soir, dans un discours prononcé à la veille des célébrations du 78e anniversaire de l'Indépendance du Liban, que la solution à la crise gouvernementale actuelle résidait dans "le principe de séparation des pouvoirs", une manière de rejeter les revendications des ministres chiites, qui boycottent le gouvernement jusqu'à ce que celui-ci prenne la décision d'écarter le juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur le drame du 4 août 2020 au port de Beyrouth, et les tractations politiques entourant cette affaire.
M. Bitar, qui a lancé des poursuites contre une série de responsables, et notamment deux députés du mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry, est accusé par le tandem chiite (Amal-Hezbollah) de politiser l'enquête. Cette question constitue le nœud de la nouvelle crise gouvernementale, le cabinet de Nagib Mikati ne s'étant plus réuni depuis le 12 octobre.
Rappelant que le gouvernement Mikati doit faire face à "d'énormes défis", et notamment "une crise financière et monétaire sans précédent, et une crise socio-économique et sanitaire étouffante", qui ont provoqué une hausse du chômage, de la pauvreté et de l'émigration, Michel Aoun a déploré la "nouvelle crise" qui a mis un terme au travail du cabinet en mêlant "la justice, la sécurité et la politique". "La sortie de cette crise gouvernementale n'est pas insurmontable et pourrait se trouver au point E. du préambule de la Constitution, qui stipule que le régime libanais est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs", a-t-il ajouté. Avec ce point, M. Aoun écarte toute éventualité d'une décision du gouvernement concernant le sort de l'enquête sur la double explosion au port de Beyrouth et se positionne également contre les tractations en cours concernant une "solution politique" à la crise, telle qu'elle avait été discutée fin octobre entre le patriarche maronite, Béchara Raï, et le chef du Parlement, Nabih Berry, et qui consistait à ce que les responsables politiques poursuivis dans l’enquête du port soient jugés devant la Haute Cour formée à cette fin, comme le veulent Amal et le Hezbollah. Aucune suite n'a toutefois été jusqu'à présent donnée à cette initiative.
Le chef de l'Etat a encore exprimé l'espoir que l'équipe gouvernementale puisse revenir rapidement au travail et accomplir ses missions "dans les circonstances pressantes" actuelles qui risquent d'empirer si le blocage se poursuit, selon lui. "Cette situation ne peut plus durer", a-t-il lancé.
Les tensions empêchant au cabinet de se réunir se sont en outre aggravées avec la crise diplomatique avec les pays du Golfe, provoquée par des déclarations du ministre de l'Information Georges Cordahi, concernant la guerre au Yémen et le rôle de la coalition menée par Riyad.
Critique contre les juges
Abordant cette crise, le chef de l’État a déploré qu'elle a eu "des répercussions négatives sur de nombreux plans, notamment sur la situation gouvernementale", le Hezbollah rejetant notamment la démission du ministre Cordahi, qui est réclamée par certains de ses collègues et par le président du Conseil. Il a dans ce cadre espéré une "solution prochaine" à cette crise, rappelant que le Liban tient à conserver les meilleures relations possibles avec tous es pays arabes et ceux du Golfe. Il a toutefois réitéré son appel à "effectuer une distinction entre les positions de l’État libanais et les déclarations qui peuvent être faites par certains individus ou groupes, surtout dans le cadre du régime libanais qui garantit la liberté d'opinion et d'expression". Les propos polémiques de Georges Cordahi avaient été enregistrés avant qu'il ne soit nommé ministre. Suite à leur diffusion, plusieurs pays du Golfe, Arabie saoudite en tête, ont décidé de rappeler leurs ambassadeurs à Beyrouth et de renvoyer les diplomates libanais présents sur leur territoire. Riyad a également interdit toutes les importations en provenance du Liban, alors que les producteurs peinent déjà à écouler leurs produits.
Le président Aoun a en outre admonesté les juges libanais, estimant que s'ils "avaient respecté leurs obligations et si les responsables politiques et autres n'avaient pas mis la main sur la justice", le pays ne connaîtrait pas une telle "mêlée d'accusations" lancées dans tous les sens et qui "menacent la stabilité et la paix civile". "La justice peut encore prendre l'initiative et se distancier de toutes les ingérences et respecter les textes de loi", a-t-il exhorté.
Chance de changement
Évoquant les futures élections législatives de mars 2022, initialement prévues en mais de la même année mais dont la date précise a provoqué des tensions politiques, M. Aoun a souligné que cette échéance "allait offrir une chance de changement" aux Libanais, les appelant à ne pas permettre aux dirigeants dont ils réclament le départ depuis le soulèvement populaire de 2019 de "revenir sous de nouveaux masques, avec de l'argent politique qui n'apporte rien de bon". "Vous allez bientôt avoir une chance de vous débarrasser de la classe dirigeante corrompue, ne gâchez pas cette opportunité", a-t-il insisté.
Si le Parlement a adopté des amendements à la loi électorale, et notamment l'avancée de la date du scrutin au 27 mars 2022, le chef de l’État refuse cette initiative et a laissé entendre qu'il ne signerait pas de décret de convocation du corps électoral pour cette date, mais seulement pour des dates en mai 2022. Le refus de cette date est également porté par le parti qu'il a fondé, le Courant patriotique libre, qui a d'ailleurs présenté un recours en invalidation des amendements apportés à la loi électorale.
En ce qui concerne l'exploitation des hydrocarbures offshore et les négociations "indirectes" avec Israël, sur la frontière-sud contestée, le président a évoqué des "signaux positifs qui ont commencé à apparaitre concernant un accord qui entre dans l'intérêt du Liban et de sa souveraineté sur ses eaux et ses ressources naturelles". Sans donner plus de détails à ce propos, il a souligné qu'un tel accord permettrait "de reprendre les opérations d'exploration".
Michel Aoun a en outre appelé les citoyens à "ne pas laisser le désespoir les envahir" face à la crise, qui a poussé 78% de la population sous le seuil de pauvreté et connaît chaque fois de nouveaux rebondissements, notamment au fur et à mesure que sont supprimées les subventions sur les importations de produits de première nécessité, comme dernièrement les médicaments. "Le début de la solution repose sur la coopération avec les institutions internationales et les préparatifs à cela ont commencé", a-t-il rappelé, en allusion aux discussions en cours avec le Fonds monétaire international. Il a finalement mis en garde les Libanais contre les "discours de haine qui se multiplient avec l'approche de législatives", ainsi que contre les informations mensongères propagées par "certains médias" afin de saper la confiance entre les gens.
commentaires (27)
ce type parle comme s'il etait un commentateur, invité dans un talk show. A pleurer. Les elections ! vite !
Lebinlon
09 h 32, le 23 novembre 2021