Rechercher
Rechercher

Économie - Focus Liban

Restructuration bancaire : incursion au creux des vagues de licenciements

Auparavant deuxième employeur privé du pays et fleuron de l’économie libanaise, le secteur lutte à huis clos pour sa survie, tandis que les banques en seraient à leur quatrième phase de réduction des effectifs.

Restructuration bancaire : incursion au creux des vagues de licenciements

Le siège de l’Association des banques du Liban, à Beyrouth. Photo M.A.

Qu’il s’agisse de départs volontaires, assortis de packages plus ou moins « avantageux », ou de licenciements expéditifs, sinon abusifs, le secteur bancaire en serait à sa « quatrième » phase de réduction de ses effectifs, selon une source du secteur, alors qu’il tente depuis deux ans de survivre à la crise financière, laquelle a balayé son statut de deuxième employeur au Liban.

Cette réduction des effectifs s’accompagne également d’une diminution du nombre d’agences bancaires dans le pays, alors qu’elles y pullulaient, notamment à Beyrouth.

Signes du malaise, l’Association des banques du Liban (ABL) n’a ni publié les chiffres de 2020 concernant le nombre d’employés du secteur ni donné suite aux questions de L’Orient-Le Jour à ce propos. La Banque du Liban (BDL), elle, a rejeté toute responsabilité concernant les ressources humaines au sein des banques nationales, bien qu’elle les supervise de facto. « Les banques font ce qu’elles veulent en matière d’embauche. Ce n’est pas à la banque centrale de leur dicter le nombre d’employés nécessaires », a ainsi justifié une source en son sein. Une source souhaitant garder l’anonymat, comme toutes les autres interrogées sur ce sujet sensible.

Pour mémoire

Audit de la BDL : la saga d'un dossier mort-né

Au début de la crise, il y a deux ans, une source bancaire avait indiqué à L’Orient-Le Jour que le secteur envisageait une baisse de près de « 40 % » de ses effectifs, équivalant à près de 15 000 employés. Une autre avait, elle, été plus directe : « Il est préférable de virer tout le monde et en particulier la direction des banques qui n’est pas impactée par les licenciements bien qu’elle soit la cause des problèmes actuels, afin de rebâtir sur de meilleures bases. »

Face au manque de transparence qui règne au sein de ce secteur, dans le collimateur des déposants qui, depuis la fin de l’été 2019, subissent des restrictions illégales et informelles imposées sur leurs comptes en devises, L’Orient-Le Jour a voulu prendre le pouls de ce qui était considéré, il y a peu encore, comme le fleuron de l’économie nationale.

Ce que l’on connaît des chiffres

Selon les derniers chiffres publiés dans un rapport de l’ABL, le secteur bancaire employait 24 886 personnes à fin 2019, soit une baisse de 1 022 personnes (-3,9 %) par rapport à fin 2018 (25 908 employés). Ce rapport notait aussi qu’il s’agissait alors de la deuxième contraction annuelle successive de l’emploi dans ce secteur, alors que la baisse du nombre d’employés de banque en 2018 était une première depuis 2004.

L’actuel mouvement vers le bas n’est donc pas inédit, bien qu’il ait été marginal jusqu’en 2019, comparé à d’autres pays. Par exemple, entre 2010 et 2019, le nombre d’employés du secteur bancaire libanais a augmenté de 16,63 %, tandis que celui des banques européennes (l’Europe des 28) a connu une baisse de 15,48 % sur la même période, notamment en raison d’une numérisation des services bancaires pour les clients comme pour les employés, selon Statista. Depuis au moins 2017, la majorité des banques libanaises ont, elles aussi, commencé à tester de nouveaux logiciels destinés à faciliter le travail des salariés, ce qui s’est traduit par une réduction des effectifs, selon une source bancaire interrogée. Mais, à l’époque déjà, ce sujet était tabou.

Une autre source du secteur révèle, elle, que les établissements financiers « attendent que la tempête passe » pour publier le nombre d’employés dans le secteur afin d’éviter les scandales. Si, officiellement, « 4 000 employés » ont quitté ou ont été forcés de quitter le secteur, selon le président du syndicat des employés de banque, Georges Hajj, le chiffre réel oscillerait plutôt entre « 8 000 et 10 000 personnes », selon cette précédente source. Pour elle, le décompte du syndicat « ne tient compte que des licenciements et omet les départs volontaires, avec ou sans indemnités ».

Concernant le nombre d’agences bancaires, l’ABL se veut plus transparente. Leur nombre a baissé de 6,46 % entre septembre 2019 et mars 2021, selon nos calculs et les derniers chiffres disponibles, passant de 1 131 à 1 058 succursales.

Ce que l’on sait des phases de départs précédentes

Bien qu’elle se soit accélérée depuis quelques mois, cette réduction des effectifs s’est faite en « quatre phases », selon une source bancaire, et a commencé dès le début de la crise.

Lors de la première phase, de fin 2019 à début 2020, aucun licenciement n’a lieu mais les banques commencent à offrir des conditions de préretraite avantageuses à leurs employés de plus de 60 ans, tout en poussant ceux ayant dépassé l’âge de la retraite à arrêter de travailler, poursuit la source précitée. Ensuite, vers mi-2020, l’offre de « packages de départ attrayants » s’élargit à tous les employés souhaitant quitter leur emploi, sans qu’aucune plainte ne soit formulée, selon cette même source.

Des « packages » qui proposaient, selon Georges Hajj, des indemnités plafonnées à 24 mois, avec une compensation mensuelle comptabilisée suivant le salaire annuel. Par exemple, les employés recevant 16 mois de salaire dans l’année devaient diviser la somme annuelle par 12. Le syndicaliste indique également que certaines banques ont décaissé ces montants au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar, tandis que d’autres l’ont fait au taux de 3 900 livres par billet vert, à un moment où le taux dollar/livre oscillait sur le marché parallèle entre 6 000 et 10 000 livres.

Lire aussi

Discussions avec le FMI : la question des pertes hante toujours les banques

Mais, à fin 2020, la situation devient tout autre : ce taux dollar/livre avoisine alors les 9 000 livres, la capitale a été à moitié détruite par l’explosion survenue au port le 4 août de la même année et le gouvernement de Hassane Diab a démissionné sans sécuriser au préalable une assistance financière du Fonds monétaire international (FMI). En parallèle à cette période, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, n’arrive pas à former un gouvernement et la perspective d’une sortie de crise s’éloignait de plus en plus.

Au sein du secteur bancaire, l’effervescence est à son comble, le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, ayant averti les banques, fin août 2020, « d’une sortie du marché » si, à fin février 2021, elles n’avaient ni augmenté leurs capitaux propres ni placé auprès de leurs banques correspondantes 3 % de leurs liquidités en devises qu’elles possédaient à fin juillet 2020. Face à cette menace, couplée au début du mouvement de restructuration bancaire prévue alors pour mars 2021 – mais qui n’a finalement toujours pas eu lieu plus de sept mois après cette échéance–, les banques accélèrent la cadence des licenciements dans le but de présenter un bilan qui serait le plus propre possible, avec les charges les plus basses, pour être en position de force lors de cette réorganisation du secteur. Problème : ne possédant plus suffisamment d’argent pour offrir de larges compensations, elles se mettent à licencier les employés en invoquant des « problèmes de discipline et des erreurs », explique la source.

Dans le même temps, nombre d’employés décident eux-mêmes de démissionner de leur plein gré, sans compensations, ayant trouvé un travail mieux rémunéré au Liban ou à l’étranger.

Ce qui est en train de se passer

Cela ferait à peu près deux mois que les banques ont enclenché la quatrième phase dont le trait saillant serait de pousser les employés à la démission. Selon la source précitée, pour atteindre cet objectif, certaines banques demanderaient à l’employé de ne plus venir au travail, tout en continuant à le rémunérer. L’idée derrière cette stratégie étant que par peur d’un licenciement inopiné, l’employé se mette alors à chercher un nouvel emploi et finisse par démissionner, permettant à la banque de ne pas lui payer d’indemnités. D’autres banques auraient, elles, choisi de compliquer la vie personnelle de l’employé, en allongeant ses horaires de travail pour un même salaire empiétant dès lors sur l’organisation familiale.

Une autre source bancaire révèle, elle, que si certaines banques alpha (celles qui détiennent plus de 2 milliards de dollars de dépôts) versent des indemnités de transports suivant un calcul proportionnel à la distance entre le domicile et le lieu de travail, une grande partie d’entre elles ne paieraient plus que le minimum légal, soit 24 000 livres par jour.

Enfin, certaines banques pratiqueraient également des licenciements abusifs, en prévenant les employés du jour au lendemain et par téléphone, révèle une de ces sources. Selon celle-ci, si les nouveaux employés célibataires étaient la cible première de cette mesure dans un premier temps, les salariés ayant des enfants à charge et/ou dont le conjoint est au chômage seraient aussi touchés.

Il va sans dire que ces licenciements ne touchent pas tous les employés. Les banques privilégient les salariés les plus performants et compétents, quitte à les faire changer de département pour les garder au sein de la banque. Certains départements subissent en effet des coupes de la part de la direction, comme celui spécialisé dans les services aux entreprises (corporate banking), aux particuliers (personal banking), ou encore le service des prêts bancaires, des cartes, du comptoir ou encore du marketing et de la communication.

A contrario, le département de l’informatique (IT), par exemple, se vide de lui-même, ces compétences étant très demandées à l’international. Les banques doivent alors redoubler d’ingéniosité pour retenir leurs informaticiens, ce qui passe notamment par le paiement d’une partie du salaire en dollars frais (sur lesquels ne s’applique aucune restriction) ou l’octroi de facilités pour certains services bancaires. D’autres employés au sein de départements stratégiques, ou constitués d’un très petit nombre de personnes, se voient eux octroyer des augmentations et le paiement d’heures supplémentaires, ajoute une source informée.

À l’image de nombreux pans de l’économie libanaise, les employés qui ont été embauchés à l’aide de pistons et de connexions sont « en extrême majorité absolument improductifs », regrette une source bancaire, qui dénonce le fait qu’ils soient « invirables ». Une bonne partie de ces employés seraient d’ailleurs placés à de hauts postes au sein des directions et majoritairement constitués de proches des grands banquiers du pays et de leurs familles. Une autre source précise, elle, que ces grands dirigeants toucheraient « entre 10 000 et 15 000 dollars par mois » et présume qu’ils ne seraient jamais restés si au moins une partie de leur salaire n’était pas payée en dollars frais. Autre raison de retenir ce type de salariés : ils ont accès à des informations « sensibles ».

Enfin, les employés travaillant au sein des filiales des banques libanaises à l’étranger ne subissent pas, jusqu’à présent en tout cas, de licenciements et reçoivent leur salaire dans la monnaie du pays sans aucune restriction, selon une source contactée. Quant aux banques d’investissement, leur situation dépend de leur exposition à la dette souveraine. Globalement, cette filière subit moins de licenciements que dans les banques commerciales et certaines d’entre elles envisagent de se tourner vers un transfert d’employés à l’étranger.

Ce qu’il risque d’arriver

Si cette quatrième phase se serait, en outre, accélérée depuis deux mois, renchérit une source du secteur, ce serait non en raison d’une volonté de baisser les dépenses actuelles, mais plutôt par peur de l’avenir. En effet, « la masse salariale n’est actuellement pas très élevée », explique-t-elle, puisque les employés sont payés au taux de 3 900 livres/dollar. Mais la possibilité d’une hausse de ce taux appliqué aux dollars libanais (dits « lollars ») a été au cœur d’intenses discussions entre la commission parlementaire des Finances et du Budget, la BDL et l’ABL en septembre.

Si rien n’a encore été acté, cela constituerait une augmentation exponentielle des coûts salariaux pour les banques, vu qu’elles payent « entre 70 et 100 % des salaires en lollars », selon cette source. De plus, le patronat, les syndicats et le ministère du Travail débattent depuis quelques semaines sur la possibilité d’une revalorisation salariale face à l’inflation généralisée et la chute du pouvoir d’achat des Libanais en raison de la dépréciation de la monnaie (oscillant dernièrement autour de 22 000 livres le dollar sur le marché parallèle).

Pour mémoire

Capital et liquidités : les banques ont-elles toutes appliqué les consignes de la BDL ?

Enfin, la menace d’une restructuration du secteur, placée par de nombreux observateurs comme une des premières réformes à mettre en place, plane toujours sur les banques, qui essayent dès lors d’avoir le bilan le moins déficitaire pour être en position de force lors des éventuelles futures fusions-acquisitions.

La réduction du nombre d’agences s’inscrit également dans ce dernier objectif, ainsi que celui de se prémunir contre des ajustements salariaux. Selon une source, les banques se délestent des locaux dont elles ne sont pas propriétaires, soit en licenciant tous les employés, soit en leur donnant la possibilité d’un transfert vers d’autres agences. Toutefois, la source précitée précise que les banques évitent de licencier les directeurs qui possèdent de grands portefeuilles de clients, « ces derniers ayant tendance à suivre la personne et non la banque, causant alors une plus grande perte pour cette dernière », souligne-t-elle.

Qu’il s’agisse de départs volontaires, assortis de packages plus ou moins « avantageux », ou de licenciements expéditifs, sinon abusifs, le secteur bancaire en serait à sa « quatrième » phase de réduction de ses effectifs, selon une source du secteur, alors qu’il tente depuis deux ans de survivre à la crise financière, laquelle a balayé son statut de...

commentaires (1)

ce qui est inadmissible, ce qui est ignoble est qu'aucun responsable d'aucune banque n'a ete inculpe -par les actionnaires eux memes- de fraude, de corruption encore moins rendu coupable d'incompetence grave ayant mene a la ruine et des banques et du pays-sans parler des actionnaires eux-memes, bref ni poursuites, ni demission. des freres siamois aux Kellon en d'autres termes.

Gaby SIOUFI

08 h 59, le 16 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • ce qui est inadmissible, ce qui est ignoble est qu'aucun responsable d'aucune banque n'a ete inculpe -par les actionnaires eux memes- de fraude, de corruption encore moins rendu coupable d'incompetence grave ayant mene a la ruine et des banques et du pays-sans parler des actionnaires eux-memes, bref ni poursuites, ni demission. des freres siamois aux Kellon en d'autres termes.

    Gaby SIOUFI

    08 h 59, le 16 novembre 2021

Retour en haut