
Un électeur montre son pouce taché d’encre après avoir voté lors des dernières élections législatives libanaises, à Jbeil, le 6 mai 2018. Joseph Eid/AFP
Le compte à rebours a commencé... ou pas ? Pour la seconde fois, le Parlement a adopté jeudi un amendement à la loi électorale fixant la tenue des élections législatives au 27 mars prochain, soit six semaines avant la date initialement prévue. Le ministre de l’Intérieur conserve cependant la possibilité de fixer une autre date, tandis que le président Aoun, notoirement opposé à ce calendrier, laisse encore planer la menace d’un recours en invalidation. Autant dire que le scrutin reste encore sujet à l’incertitude et la précarité qui régissent désormais quasiment toute la vie au Liban.
Ces élections seront pourtant cruciales dans le contexte d’effondrement économique et social, renforcé par la tragédie du 4 août 2020 et la pandémie de Covid-19. Ces crises simultanées ont caractérisé l’enfer de ces deux dernières années au Liban, mais, en réalité, notre système se dégrade depuis bien plus longtemps.
Depuis la fin de la guerre civile, une petite caste politico-confessionnelle a eu recours à la corruption, au clientélisme, au sectarisme et à la protection des armes illicites pour consolider un système économique inégal et inefficace. Durant toute cette période, cette caste a organisé des élections pour propager l’illusion que le Liban était une démocratie fonctionnelle – alors qu’en réalité, c’était elle qui détenait tous les leviers du pouvoir dans le pays.
Risques d’abus
Seul point positif des crises désastreuses qui se sont succédé ces deux dernières années, la prise de conscience sans précédent parmi le peuple libanais de la corruption du système et de l’urgence de le modifier. Et la tenue, l’an prochain, des élections municipales, parlementaires et présidentielle constitue une opportunité en or d’amorcer un véritable virage politique et un premier pas vers la redevabilité au Liban.
Les élections législatives sont sans doute les plus cruciales, car la prochaine législature devra voter des réformes économiques drastiques et des changements majeurs dans les structures de gouvernance, et élire le successeur du président Michel Aoun.
Mais ces élections sont également profondément viciées. Premièrement, elles demeurent régies par un mode de scrutin complexe qui a préservé un seuil électoral variable entre 9 % et 20 % pour que les candidats puissent percer. Ce seuil est l’un des plus élevés au monde – il est par exemple de 5 % pour certains scrutins en France et de 0,65 % aux Pays-Bas – et représente un redoutable obstacle pour tout candidat indépendant. Deuxièmement, ces élections sont toujours organisées par le ministère de l’Intérieur, ce qui laisse craindre un détournement des résultats pour protéger la mainmise de la caste politique sur le pouvoir. En d’autres termes, c’est la classe politique actuelle qui a rédigé le règlement et c’est elle qui arbitrera le match. Dans une étude publiée en janvier dernier, le Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) a ainsi estimé que lors des élections de 2018, près de la moitié des électeurs avaient fait l’objet d’achat de voix direct ou indirect, ce qui a entraîné une participation électorale artificiellement élevée au bénéfice des partis traditionnels.
Pour briser ce cycle, certains ont recommandé de modifier à nouveau la loi électorale libanaise. Mais se lancer maintenant dans un processus de réforme électorale est trop risqué compte tenu des échéances : cela provoquera inévitablement un débat interminable, complexe et alambiqué, dont la classe politique pourrait facilement tirer parti pour retarder indéfiniment les élections.
Pressions internationales
Pour garantir des élections libres et équitables qui se déroulent à temps, le Liban a par conséquent besoin d’un organe indépendant de gestion des élections (OGE). Ce modèle, particulièrement adapté aux périodes électorales sensibles, a fait ses preuves dans le monde entier, de la Palestine après la signature des accords d’Oslo à l’Afrique du Sud après la fin de l’apartheid, en passant par la Bosnie-Herzégovine. Un OGE indépendant du pouvoir exécutif minimise le risque d’ingérence et de fraudes. Il peut être structuré en fonction des besoins spécifiques de chaque pays, avec diverses équipes notamment chargées de superviser les questions logistiques, procédurales et juridiques ou le financement des campagnes. Autre avantage : un tel organe peut être mis en place en trois à quatre mois : lors du soulèvement tunisien en 2011, la création d’un OGE a pris deux mois (entre février et mars) pour préparer les élections qui se sont tenues en octobre de la même année.
Au Liban, l’OGE serait composé d’au moins cinq commissaires libanais indépendants connus pour leur intégrité, leur réputation professionnelle et leur indépendance vis-à-vis de tout parti politique. Ces commissaires géreraient un secrétariat plus large responsable de l’intégralité du processus de vote, y compris la formation du personnel électoral, l’impression des bulletins de vote, la gestion du vote des expatriés, l’inscription des candidats, les budgets de leurs campagnes et la couverture médiatique impartie à chacun. Ce dernier point est notamment crucial pour éviter les abus flagrants qui ont eu lieu dans le passé : lors des élections de 2018, de nombreux médias libanais ont vendu aux candidats du contenu journalistique qui n’a jamais été déclaré comme étant un espace publicitaire. Une propagande électorale estimée à plusieurs millions de dollars au mépris des plafonds de dépenses autorisés par la loi électorales (75 millions de livres libanaises à l’époque). Dans le cadre d’un OGE, de telles pratiques seraient étroitement surveillées et sanctionnées.
Le secrétariat comprendrait des experts internationaux pour façonner le processus électoral, garantissant que l’inscription, le vote et le dépouillement se déroulent en toute transparence et conformément aux normes internationales. Une fois les élections terminées, l’OGE devrait élaborer une nouvelle loi électorale juste et représentative pour tous.
L’OGE est la seule solution pour sortir du bourbier électoral au Liban et c’est la raison pour laquelle de nombreux partis d’opposition – les Kataëb, le Mouvement pour l’Indépendance, Minteshreen, Liqaa Teshreen, Khat Ahmar, Tahalof Watani, Nabad el-Janoub, la Coalition des révolutionnaires du Nord, Thouwar Akkar, The Lebanese Diaspora Network et le Collectif des Libanais en France – ont endossé la proposition de création d’un OGE rédigée par Taqaddom en juillet dernier. Créer une telle institution renforcerait la confiance des électeurs dans le processus électoral, générant une plus grande participation et renforçant la légitimité des nouveaux parlementaires.
Mais seuls, nous n’obtiendrons aucun résultat. Les partenaires internationaux du Liban doivent donc faire pression afin d’intégrer la création d’un OGE parmi les réformes exigées dans le cadre des négociations avec le FMI, la Banque mondiale ou l’UE, voire brandir la menace de sanctions tangibles si les autorités libanaises se refusent à le faire.
Des élections légitimes marqueront le début de la longue ascension vers la guérison du Liban, ne trébuchons pas dès la première marche.
Par Houssam EL-EID
Membre du bureau politique du parti Taqaddom.
commentaires (5)
Indeed, we need an independent management body to run the next elections. We do not want partisans to the major political Parties through the ministry of interior to conduct the elections as we cannot prevent cheating and box stuffing by the major political Parties.
Mireille Kang
06 h 59, le 07 novembre 2021