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Société - Administration

Quand l’état d’une faculté de l’UL raconte l’effondrement du Liban

Un bâtiment de l’université publique à Dekouané, nécessitant des « rénovations majeures », a été évacué d’urgence cette semaine.

Quand l’état d’une faculté de l’UL raconte l’effondrement du Liban

Le bâtiment, dans un état déplorable, du doyenné de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise à Dekouané, dans le Metn, le 2 novembre 2021. Photo Layal Dagher

En ce mardi matin, à Dekouané, il règne une atmosphère étrange dans un bâtiment de l’Université libanaise. Pour le second jour consécutif, ce n’est pas à la mission d’éducation que s’active le personnel de la faculté des lettres et des sciences humaines, mais à vider les lieux. Depuis un moment déjà, le bâtiment présente de très inquiétantes fissures sur sa façade, et les autres murs des signes de délabrement avancé. Les plafonds, eux, sont constellés de larges taches qui témoignent d’une vaste infiltration d’eau dans la structure. Et c’est dans la précipitation que cinq employés multiplient des allers-retours entre l’ancien et le nouveau bâtiment du doyenné de la faculté des lettres, situés l’un en face de l’autre, après qu’un ordre d’évacuation urgente du plus ancien leur eut été communiqué comme mesure de précaution.

Dégageant meubles et dossiers, les employés, dont les traits trahissent une certaine panique, se heurtent les uns aux autres dans l’enceinte de l’immeuble, regrettant d’y avoir laissé en vrac des souvenirs tantôt amers, tantôt chaleureux. « Transportons les gros cartons au 5e étage en ascenseur tant qu’il y a de l’électricité », lance un sexagénaire en proie à la fatigue. « Je n’en peux plus », s’exclame une quinquagénaire, dont le visage trahit une inquiétude réelle. « L’état de cet immeuble ressemble au Liban : il nous oblige à un départ forcé », déplore-t-elle. « Mais bon, en fin de compte, le pays renaîtra de ses cendres, tout comme ce bâtiment sera restauré », tente-t-elle de se consoler.

« Combien d’années et de rêves allons-nous encore perdre avant de connaître la stabilité dans ce pays ? » se demande une autre employée. Elle aussi dresse un parallèle entre la vétusté du bâtiment de l’UL et la situation au Liban qui vit depuis plus de deux ans au rythme de la pire crise socio-économique de son histoire contemporaine. « Nous ne voulons plus construire nos espoirs sur des sables mouvants. Nous avons besoin d’avancer sur un chemin moins brouillé. La limite du supportable a été dépassée depuis longtemps », déplore-t-elle avant d’ajouter : « Quand on détruit l’éducation dans un pays, on détruit son avenir. »

Une salle de conférence au doyenné de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise à Dekouané, dans le Metn, le 2 novembre 2021. Photo Layal Dagher

« Nous appelons l’État à soutenir l’UL »
La faculté des lettres de Dekouané a la particularité d’être la seule à accueillir les étudiants en master 2 dans ces disciplines, et ils se comptent par centaines. Interrogé au sujet de l’état du bâtiment, le doyen de la faculté, le professeur Ahmad Rabah, revient sur les racines du problème. « Suite à d’abondantes pluies tombées il y a huit jours, de grandes taches d’humidité et des fissures sont apparues au niveau des plafonds de différentes salles. L’eau s’y est également infiltrée en grande quantité. Nous avons informé le recteur de l’UL qui a fait appel, le jour même, à des architectes afin d’inspecter les lieux et de prendre les mesures nécessaires », précise-t-il. Le doyen souligne qu’aucune opération de maintenance globale n’a été effectuée dans le bâtiment depuis 2015, mise à part une opération de restauration suite aux explosions du 4 août 2020. Après avoir examiné le bâtiment, ces derniers ont recommandé, le lendemain, une fermeture de la faculté par mesure de précaution. « Une étude de sol a été effectuée afin de s’assurer que les fondations du bâtiment sont en bon état », poursuit Ahmad Rabah. Des experts du parquet général ont également examiné les lieux. M. Rabah précise que les étudiants seront transférés vers d’autres sections de l’UL si le bâtiment ne peut pas être réintégré rapidement. « Nous appelons l’État à soutenir l’UL », plaide-t-il encore.

Un homme évacuant des vitres du bâtiment du doyenné la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université libanaise à Dekouané, dans le Metn, le 2 novembre 2021. Photo Layal Dagher

Les ennuis ne s’arrêtent pas là
Joëlle Moubarak, attachée au bureau du doyen, précise pour sa part qu’« un nouveau bureau des affaires estudiantines a été équipé dans l’urgence afin que les inscriptions, qui avaient été entamées dans le bâtiment évacué, puissent reprendre dès lundi prochain dans le nouveau bâtiment ». Mais les ennuis ne s’arrêtent pas là : le nouveau bâtiment n’est pas connecté à un générateur privé, et cela risque de causer d’énormes problèmes, alors que le pays vit au rythme des coupures de courant interminables. « Il faut assurer un approvisionnement en électricité et s’abonner aux réseaux téléphonique et internet », souligne Joëlle Moubarak, qui ne cache pas son inquiétude, le budget de l’UL étant limité.

Vendredi matin, le comité technique de l’UL et les experts du parquet général ont noté, dans un rapport, que « l’immeuble n’est pas menacé d’effondrement, mais nécessite des rénovations majeures ». Le rectorat de l’UL doit, pour sa part, prendre une décision finale quant aux locaux dans lesquels seront dispensés les cours en présentiel pour certaines matières pratiques. Entre-temps, l’enseignement s’effectue à distance.

Cet immeuble de l’UL, à l’instar de plusieurs bâtiments vétustes loués par l’État, occupés sans maintenance régulière, reflètent la situation d’un pays plombé par les crises et une incurie générale.

En ce mardi matin, à Dekouané, il règne une atmosphère étrange dans un bâtiment de l’Université libanaise. Pour le second jour consécutif, ce n’est pas à la mission d’éducation que s’active le personnel de la faculté des lettres et des sciences humaines, mais à vider les lieux. Depuis un moment déjà, le bâtiment présente de très inquiétantes fissures sur sa façade, et...

commentaires (2)

"L'effondrement" du secteur public de l'éducation est courant dans de très nombreux pays. Tout est question de moyens : l'entretien des installations, l'accès pour les enfants qui ont des besoins spéciaux ou encore la question des bourses d'études... Dans l'espoir que l'évolution académique se réalise sur des bases solides et dans un cadre en toute sécurité

Georges Olivier

23 h 38, le 06 novembre 2021

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Commentaires (2)

  • "L'effondrement" du secteur public de l'éducation est courant dans de très nombreux pays. Tout est question de moyens : l'entretien des installations, l'accès pour les enfants qui ont des besoins spéciaux ou encore la question des bourses d'études... Dans l'espoir que l'évolution académique se réalise sur des bases solides et dans un cadre en toute sécurité

    Georges Olivier

    23 h 38, le 06 novembre 2021

  • Espérons que la rénovation qui sera faite, soit bien surveillée pour ne pas avoir à recommencer de sitôt.

    Esber

    17 h 09, le 05 novembre 2021

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