L’Orient-Express… au-delà de son crime

L’Orient-Express raconté par les écrivains de Blanche el-Gammal, Phebus, 2021, 352 p.

Les archives de la Compagnie internationale des wagons-lits ayant brûlé au cours des années 1930, les sources relatives à l’Orient-Express sont « lacunaires » et les travaux portant sur ce sujet incomplets. Le but de l’auteur n’était donc pas d’établir une vérité historique, mais bien d’appréhender ce train à travers la littérature.

Le fait est que nous connaissons l’Orient-Express sans le connaître. Inévitablement associé au Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie, il n’est, pour ainsi dire, associé à rien d’autre. Et pourtant, ce train de luxe reliant Paris à Constantinople a été, dès sa mise en service en 1883, « mythique » et a inspiré une abondante littérature. Les premiers « écrits enthousiastes » sont ceux de journalistes « invités ». À cela s’ajoutent des romans-feuilletons et des ouvrages de commande. Par conséquent, les éloges du train, « commandés et insincères », sont loin d’être convaincants.

Agrégée de lettres classiques et docteur en littérature comparée des universités de Strasbourg et de Bruxelles, Blanche el-Gammal s’est spécialisée dans les échanges culturels et littéraires. Déjà en 2017, elle avait décrit ce « désenchantement » dans un livre issu de sa thèse de doctorat : L’Orient-Express. Du voyage extraordinaire aux illusions perdues.

Son dernier ouvrage reflète, certes, cette désillusion, mais le but de l’auteur est surtout d’y révéler les nombreuses facettes d’un train dont l’histoire « n’a jamais été que plus ou moins fantasmée ». Elle y présente une trentaine d’extraits qui composent une littérature polymorphe : poèmes, extraits de romans, de pièces de théâtre, d’écrits journalistiques.

Parce que « la littérature de l’Orient-Express ne saurait être séparée de l’histoire du XXe siècle », notamment de ses guerres, Blanche el-Gammal a opté pour un plan « chrono-thématique » et a divisé son ouvrage en trois parties définies par les grands conflits de ce siècle : la première partie étant intitulée « Essor et imaginaires » (1883-1914), la deuxième « À l’épreuve de l’Histoire » (1918-1939) et la troisième « Expressions d’un déclin » ( les années post-1945).

Premier train international de luxe, l’Orient-Express a acquis sa renommée grâce à une importante publicité. Parmi les journalistes influents qui y ont contribué (après avoir reçu « de somptueuses invitations »), nous pouvons citer Henri Opper de Blowitz (journaliste au « Times »). Les principaux thèmes abordés par la littérature de l’Orient-Express sont la séduction, le banditisme, le crime… Les voyageurs de l’entre-deux-guerres sont « soucieux ou malheureux ». La « légende noire de l’Orient-Express littéraire » est confirmée durant ces années-là par l’omniprésence du crime. Cette omniprésence s’explique, entre autres, par une hausse des faits divers criminels dans la réalité, notamment dans ce train.

Parmi les auteurs (connus ou moins connus) qui ont consacré une œuvre à l’Orient-Express, nous pouvons citer, outre l’incontournable Agatha Christie, Jean Giraudoux, Abel Hermant, Alfred Capus, Apollinaire, Albert Londres, Jean Bommart, Valentin Williams, Maurice Level, Éric Ambler, Ian Flemming (auteur des James Bond, notamment de « Bon baisers de Russie »), Pierre Daninos, Graham Greene, le poète Jan Schepens et bien d’autres… Loin de se contenter d’une simple compilation de textes soigneusement sélectionnés, l’auteur les présente et les analyse de manière à les relier entre eux et à les rendre plus accessibles.

Ce remarquable ouvrage a la particularité de pouvoir être lu en entier ou en partie, dans l’ordre ou dans le désordre. Il serait toutefois préférable de le lire en entier d’un bout à l’autre. En effet, ces textes, indépendants mais complémentaires, forment un ensemble cohérent et racontent, chacun à sa manière, la même histoire : celle de l’Orient-Express.

C’est une « Invitation au voyage » que nous offre Blanche el-Gammal. Pas tout à fait celle de Baudelaire où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », mais celle qui s’en rapproche le plus, à la différence près que le calme y est souvent remplacé par l’aventure. À bien y réfléchir, il était naturel d’aborder l’histoire de l’Orient-Express à travers la littérature ; la lecture n’est-elle pas le plus merveilleux voyage et l’évasion la plus recherchée ?