Le député libanais Jamil Sayyed, proche du régime syrien de Bachar el-Assad et du Hezbollah et sanctionné par les Etats-Unis jeudi pour avoir "contribué au délitement de l'Etat de droit" au Liban, a démenti vendredi ces accusations et appelé Washington à fournir des preuves pour les étayer. L'ex-patron de la Sûreté générale libanaise est allé jusqu'à défier les Etats-Unis, en leur demandant de lui accorder un visa pour s'y rendre et assurer sa défense.
Le Trésor américain a imposé, jeudi, pour la première fois sous l'administration de Joe Biden, des sanctions contre M. Sayyed et deux entrepreneurs libanais, Jihad el-Arab, proche de l'ancien Premier ministre sunnite Saad Hariri, et Dany Khoury, proche de Gebran Bassil, accusés d'avoir "contribué au délitement de la bonne gouvernance et de l'Etat de droit au Liban". Washington a accusé le député Sayyed d'avoir "contourné des réglementations bancaires locales, avec l'aide d'un haut responsable gouvernemental", afin de transférer 120 millions de dollars pour des investissements à l'étranger, "présumément pour s'enrichir et enrichir ses associés". Il lui est également reproché d'avoir appelé à ce que les forces de sécurité tirent sur des manifestants rassemblés devant son domicile pendant le soulèvement populaire de 2019.
"L’homme le plus respectueux"
"Tous les Libanais témoignent du fait que j’ai sauvegardé la loi. Les Nations unies et des ambassades étrangères, notamment l’ambassade américaine, en témoignent aussi", a affirmé M. Sayed sur un ton défiant, lors d'une longue conférence de presse. Selon lui, l'ancien ambassadeur des Etats-Unis au Liban, Jeffrey Feltman, l'avait même qualifié de "l’homme le plus respectueux de l’administration libanaise (...), malgré notre désaccord politique".
L'ancien directeur de la Sûreté générale a estimé que les sanctions américaines ont été émises à son encontre en raison de ses prises de position contre Israël. "Vous prétendez être contre le crime, mais combien de vos alliés et de vos émissaires serrent la main de ceux qui ont du sang libanais sur leur conscience", s'est interrogé M. Sayyed. "Votre seul souci est de savoir qui est avec Israël et qui est contre Israël", a-t-il lancé en apostrophant Washington.
Jamil Sayyed a, dans ce contexte, appelé les Etats-Unis à lui accorder un visa, assurant être prêt à s'y rendre pour se justifier et s'assurer de l'authenticité des documents dont les Américains disposent. "Je défie les Etats-Unis de me donner un visa pour entrer sur leur territoire, afin que je puisse examiner le dossier et je compte porter plainte", a -t-il prévenu.
Sayyed demande des preuves
Le général à la retraite n'a pas directement démenti avoir transféré 120 millions de dollars en contournant des réglementations bancaires locales pour s'enrichir et enrichir ses associés. Il a toutefois réclamé à Washington d'apporter des preuves."Si l'on trouve quelque part dans le monde 120 millions de dollars en mon nom, je n'en veux pas. Je donnerai 60 millions pour financer la carte d'approvisionnement (aux familles libanaises les plus pauvres, ndlr) et 60 autres millions aux habitants de Baalbeck-Hermel", a ajouté Sayyed, député de cette région.
"Il n’est pas clair dans le texte (des Etats-Unis, ndlr) si j’ai aidé quelqu’un à transférer son argent ou si l’argent transféré me revient", a souligné le parlementaire, avant d'appeler les Etats-Unis à fournir des preuves pour étayer leurs accusations. "Vous avez la responsabilité de nous fournir de tels détails", a-t-il affirmé.
Le député chiite a rappelé qu’il avait fait l’objet d’une levée du secret bancaire sur ses comptes entre 2005 et 2009 après avoir été détenu dans l'enquête sur l’attentat qui a coûté la vie à l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, et a assuré "ne pas disposer de comptes non déclarés".
M. Sayyed a démenti, en outre, avoir demandé aux forces de sécurité de tirer sur des manifestants rassemblés devant son domicile pendant le soulèvement populaire de 2019, notant qu’aucune mobilisation n’a eu lieu devant son domicile cette année-là. Il a toutefois reconnu qu'en juin 2020, "14 personnes" se sont rassemblées devant son domicile, et ont essayé, selon lui, de défoncer la porte d’entrée avant de l'insulter publiquement. Ses gardes du corps ne s'en sont pas pris aux manifestants, a-t-il dit assurant disposer de vidéos pour le prouver.
Le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control – OFAC) du Trésor américain avait indiqué, jeudi, que Jamil Sayyed, Dany Khoury et Jihad el-Arab ont "personnellement profité de la corruption généralisée et du népotisme" et se sont "enrichis aux dépens du peuple et des institutions de l'Etat". Les éventuels avoirs aux Etats-Unis des personnes visées par des sanctions de l'OFAC sont gelés et l'accès au système financier américain leur est barré.
Dany Khoury se défend
M. Khoury s'est également défendu des accusations lancées contre lui, via un communiqué publié par ses avocats. Dans ce texte, ils ont démenti le fait que l'entreprise dirigée par ce dernier ait remporté des adjudications grâce à ses relations avec M. Bassil et ont assuré que l'entreprise n'a pas rejeté de déchets dans la Méditerranée. Ils ont rappelé que la société avait déjà été confrontée à des accusations similaires avancées par des parties américaines, dont le New York Times, qui n'ont toutefois jamais été avérées, selon eux. Le communiqué précise également que l'entreprise de M. Khoury est spécialisée dans les adjudications publiques depuis plus de trente ans, bien avant la formation du Courant patriotique libre (CPL), dirigé par le député Bassil. Les avocats ont enfin affirmé être entrés en contact avec l'OFAC afin de défendre M. Khoury à travers les moyens légaux à leur disposition.
L'OFAC avait précisé que les liens de M. Khoury avec Gebran Bassil, lui-même sous le coup de sanctions américaines, lui ont permis de remporter de grosses adjudications qui lui ont rapporté des millions de dollars, "sans qu'il ne respecte les conditions" des appels d'offres établis. Le texte cite notamment la question de la gestion de la décharge de Bourj Hammoud (Metn), accusant l'entreprise de M. Khoury d'avoir "rejeté des déchets toxiques dans la Méditerranée, ce qui a pollué des zones de pêche et les plages du Liban sans toutefois résoudre la crise des déchets".
Les "circonstances" des sanctions
Réagissant à l'annonce du Trésor, le président libanais, Michel Aoun, a chargé vendredi le chef de la diplomatie, Abdallah Bou Habib, de se renseigner auprès des ambassades américaine à Beyrouth et libanaise à Washington sur les "circonstances" de l'imposition de ces sanctions, pour que l'Etat libanais puisse, à son tour, prendre toute mesure jugée nécessaire.
Washington impose régulièrement des sanctions à des des dirigeants accusés de corruption, ainsi qu'à des personnes considérées comme apportant un soutien financier et logistique, et à des dirigeants accusés de corruption. C'est dans ce cadre que l'ancien ministre Gebran Bassil (chef du Courant patriotique libre, fondé par le chef de l'Etat Michel Aoun) avait été placé sur la liste noire de l'OFAC il y a presque un an, le 6 novembre 2020. M. Bassil était accusé d'actes de corruption dans le secteur de l'énergie, qui ont "aidé et encouragé" les opérations du Hezbollah. Quelques mois plus tôt, les anciens ministres Youssef Fenianos (Marada) et Ali Hassan Khalil (mouvement Amal, du président de la Chambre Nabih Berry), tous deux alliés au Hezbollah, avaient également été mis sous le coup de sanctions pour "corruption" et soutien au parti chiite.
Encore un mafieux épinglé. Aux suivants !
23 h 21, le 30 octobre 2021