Le Trésor américain a imposé jeudi des sanctions contre le député libanais Jamil Sayyed, proche du régime Assad, et les entrepreneurs Jihad el-Arab et Dany Khoury, accusés d'avoir "contribué au délitement de l'Etat". Il s'agit de la première salve de sanctions contre des responsables libanais sous l'administration de Joe Biden. Si des personnalités proches ou alliées au Hezbollah ont toujours été dans la ligne de mire de Washington dans une volonté d'isoler la formation chiite pro-iranienne, les mesures annoncées jeudi ont ciblé pour la première fois un proche de l'ancien Premier ministre sunnite Saad Hariri, le promoteur Jihad el-Arab.
Accusations de corruption
Le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control – OFAC) du Trésor a indiqué dans un communiqué que les actions de ces trois hommes ont "contribué au délitement de la bonne gouvernance et de l'Etat de droit au Liban". Ils ont "personnellement profité de la corruption généralisée et du népotisme" dans le pays et se sont "enrichis aux dépens du peuple et des institutions de l'Etat". "Les Libanais méritent qu'un terme soit mis à la corruption endémique des hommes d'affaire et des responsables politiques qui ont mené le pays vers une crise sans précédent, a déclaré à ce sujet la directrice de l'OFAC, Andrea Gacki. Il est désormais temps de lancer des réformes économiques et de mettre un terme aux pratiques de corruption qui érodent les fondations du Liban. Le Trésor n'hésitera pas à utiliser les outils à sa disposition pour stopper l'impunité au Liban". L'OFAC précise encore que les actions prises ce jeudi contre MM. Sayyed, Khoury et Arab "visent à demander des comptes à l'élite économique et politique qui ont bénéficié de pratiques d'appels d'offre inadéquates afin de gonfler des contrats. Les éventuels avoirs aux Etats-Unis des personnes visées par des sanctions de l'OFAC sont gelés et l'accès au système financier américain leur est barré.
Pourquoi Jihad el-Arab
Le Trésor souligne que les "connexions politiques" de cet entrepreneur lui ont permis de remporter de nombreux contrats publics "en échange du paiement de commissions à des responsables gouvernementaux". Il cite notamment les contrats relatifs à la rénovation d'un pont de Beyrouth pour lequel "des questions relatives au coût du projet et à sa sécurité ont été rapidement ignorées, très certainement grâce à ses relations avec de puissants politiciens", ainsi que le contrat pour la construction en 2016 de la décharge de Costa Brava, qui n'a pas permis de résoudre à long terme la crise des déchets dans le pays. "Des rapports ont révélé que l'entreprise de Jihad el-Arab ajoutait de l'eau aux conteneurs de déchets afin d'en gonfler le poids, et donc d'augmenter la facture", souligne l'administration US, qui fait encore état d'une médiation entreprise par l'homme d'affaires "entre deux hauts responsables", en 2014, qui a mené à un compromis politique, en amont de l'élection présidentielle de 2016, "en échange d'accords concernant deux contrats gouvernementaux".
Pourquoi Dany Khoury
L'OFAC soulève que les liens de ce "riche homme d'affaires" avec Gebran Bassil", lui-même sous le coup de sanctions américaines, lui ont permis de remporter de grosses adjudications qui lui ont rapporté des millions de dollars, "sans qu'il ne respecte les conditions" des appels d'offres établis. Le texte cite notamment la question de la gestion de la décharge de Bourj Hammoud (Metn), accusant l'entreprise de M. Khoury d'avoir "rejeté des déchets toxiques dans la Méditerranée, ce qui a pollué des zones de pêche et les plages du Liban sans toutefois résoudre la crise des déchets".
Réagissant aux sanctions américaines contre M. Khoury, Gebran Bassil a assuré ne pas avoir de lien politique ni d'affaires avec lui. "Je suis habitué à l'injustice (...) mais l'injustice internationale est sans pitié", a-t-il dénoncé dans un tweet. "Dany Khoury n'est pas mon partenaire en politique tout comme je ne suis pas son partenaire en affaires. Je ne l'ai jamais aidé dans son travail tout comme il n'a jamais bénéficié du fait qu'il me connaît depuis l'université", a noté M. Bassil. "Les États oppriment les peuples, mais un jour viendra où la liberté innocentera toute personne opprimée", a-t-il enfin souligné.
Pourquoi Jamil Sayyed
Le Trésor accuse le député Jamil Sayyed d'avoir "contourné des réglementations bancaires locales, avec l'aide d'un haut-responsable gouvernemental" afin de transférer 120 millions de dollars pour des investissements à l'étranger "présumément pour s'enrichir et enrichir ses associés". Il lui est également reproché d'avoir appelé à ce que les forces de sécurité tirent sur des manifestants rassemblés devant son domicile pendant le soulèvement populaire de 2019.
M. Sayyed a annoncé, peu après la publication du communiqué de l'OFAC, qu'il tiendrait une conférence de presse vendredi midi au Parlement concernant ces sanctions.
"Promouvoir la reddition des comptes"
Dans un tweet, le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, a estimé que ces sanctions constituaient "une étape importante pour promouvoir la reddition des comptes au Liban". "Les responsables libanais doivent mettre fin à la corruption et prendre des mesures urgentes pour résoudre la crise" que traverse le pays depuis deux ans, a-t-il écrit.
The United States is imposing sanctions on two corrupt Lebanese businessmen and a member of Parliament – an important step in promoting accountability in Lebanon. Lebanese officials must end corruption and take urgent action to address the crises the Lebanese people face.
— Secretary Antony Blinken (@SecBlinken) October 28, 2021
Commentant ces sanctions, Maha Yehya, directrice du Carnegie Middle East Center, a estimé que "les Américains envoient un message à la totalité de la classe politique, pas seulement à ceux soutenus par l'Iran, et au peuple libanais, pour dire qu'ils ne les abandonnent pas". Dans une réaction à Reuters, elle ajoute que Washington "se fait l'écho des Libanais dans la rue qui scandent que "Tous veut dire tous", en référence à un slogan populaire du soulèvement d'octobre 2019.
Washington impose régulièrement des sanctions à des cadres et membres du Hezbollah, ainsi qu'à des personnes considérées comme lui apportant un soutien financier et logistique, et à des dirigeants accusés de corruption. C'est dans ce cadre que les anciens ministres Gebran Bassil (chef du Courant patriotique libre, fondé par le chef de l'Etat Michel Aoun) avait été placé sur la liste noire de l'OFAC il y a quasiment tout juste un an, le 6 novembre 2020. M. Bassil était accusé d'actes de corruption dans le secteur de l'énergie, qui ont "aidé et encouragé" les opérations du Hezbollah. Quelques mois plus tôt, les anciens ministres Youssef Fenianos (Marada) et Ali Hassan Khalil (mouvement Amal, du président de la Chambre Nabih Berry), tous deux alliés au Hezbollah, avaient également été mis sous le coup de sanctions pour "corruption" et soutien au parti chiite.
commentaires (17)
Bande de vermines. Puissiez- vous pourrir. En enfer!
Robert Moumdjian
12 h 13, le 29 octobre 2021