
Pour les électeurs proches ou issus de la thaoura, la véritable bataille est celle du changement. Photo Wissam Moussa
Les Libanais de l’étranger « jubilent », pour reprendre les termes du président de l’Association des hommes d’affaires libanais en France (Halfa) Antoine Menassa, après le vote par le Parlement hier d’un amendement de la loi électorale permettant aux émigrés libanais de voter pour les 128 députés de la Chambre, et non pour seulement six représentant les six continents, comme le prévoyait le texte initial.
Appliqué pour la première fois pendant les élections de 2018, ce vote semblait jusqu’à hier menacé. Les Libanais de l’étranger étaient supposés élire cette année uniquement 6 députés censés les représenter, conformément à la loi de 2017 applicable au scrutin de 2022. Ils redoutaient parallèlement que leur participation au scrutin ne soit annulée « même après l’enregistrement des électeurs auprès des ambassades », confie Diana Abbas, membre de Sawti, une initiative regroupant des expatriés et rattachée à l’ONG Impact Lebanon qui milite pour l’implication des émigrés dans le développement au Liban.
L’enregistrement des électeurs à l’étranger a été lancé le 1er octobre et se poursuivra jusqu’au 20 novembre. Environ un million d’émigrés sont éligibles pour voter en 2022, selon des statistiques publiées par Sawti. En 2018, seuls 82 965 émigrés s’étaient enregistrés dans leurs ambassades respectives. Et seulement 46 799 d’entre eux s’étaient effectivement rendus aux urnes. Des chiffres particulièrement bas donc.Une partie de la classe politique craint, pour diverses raisons, le vote de la diaspora. Le tandem chiite évoque notamment des chances inégales entre les candidats, à cause des sanctions américaines et européennes contre le Hezbollah. Mais il y a surtout le soulèvement populaire d’octobre 2019, la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, suivie des efforts politiques de bloquer l’enquête, et la terrible crise économique qui gangrène le pays, lesquels peuvent orienter le vote des expatriés vers les forces hostiles à la classe au pouvoir. Il ne faut pas oublier que plusieurs parmi ces émigrés n’avaient pas hésité en 2019 à se rendre au Liban afin de prendre part aux multiples manifestations antipouvoir.
« Il est important que les Libanais de la diaspora votent dans leur circonscription, car nous voulons contribuer au changement à l’intérieur du Liban », explique Diana Abbas, basée à Londres et dont l’association, comme Meghterbin Mejtemhine, une autre ONG active dans une dizaine de villes à travers le monde, encourage inlassablement les Libanais de l’étranger à s’enregistrer auprès de leurs ambassades respectives. « Nous étions un peu dubitatifs au début, car la date des élections et les modalités du vote des émigrés n’étaient pas connues, puis nous avons compris que le maintien du flou à ce sujet était une manière pour le pouvoir de saboter le vote des expatriés », confie Marc Tuéni, un membre de Meghterbin Mejtemhine, installé en France. « Cela fait deux ans que les Libanais de l’étranger sont plus que jamais mobilisés. Le soulèvement populaire a secoué de nombreux expatriés qui étaient partis contre leur gré et qui aspiraient au changement. La diaspora se réapproprie aujourd’hui son appartenance libanaise », explique-t-il.Marc Tuéni révèle par ailleurs que le groupe coordonne depuis plus d’un an avec le Bloc national, Mouwatinoun wa Mouwatinat, Li Hakki et Beirut Madinati. Il travaille aussi avec trois réseaux de Libanais en France : Agir pour la démocratie au Liban, le Collectif libanais de France et Justice et égalité pour le Liban.
Pour tous ces collectifs, le feu vert donné aux émigrés libanais de voter pour les 128 députés de la Chambre est une véritable victoire. « C’est une victoire de la démocratie », commente Antoine Menassa qui presse les Libanais expatriés de s’enregistrer sans tarder auprès des ambassades dans leurs lieux de résidence respectifs.
Nombreux sont ceux qui préfèrent malgré tout faire le déplacement jusqu’au Liban pour participer au scrutin. C’est le cas de Van Meguerditchian, militant de la société civile installé en France, qui veut être sûr que sa voix sera prise en compte. « Au Liban même, on redoute des fraudes. Alors que penser des risques qui pèsent sur le vote depuis l’étranger ? » lance cet activiste de la première heure, venu spécialement à Beyrouth en 2018 pour déposer son bulletin dans l’urne. « C’est le minimum que je puisse faire : venir au Liban pour soutenir ceux qui sont menacés dans leurs régions et qui ont peur de voter comme leur dicte leur conscience », ajoute-t-il.
« Je compte voter à Paris, s’ils nous laissent le faire. Je suis toujours pessimiste car je pense que la classe politique peut toujours réussir à torpiller les élections. Les Libanais voteront pour les candidats issus de la thaoura, ce qui n’est pas en faveur de cette classe », estime un médecin d’origine libanaise sous le couvert de l’anonymat.
Les jeunes électeurs partagés
Si de nombreux jeunes expatriés qui viennent d’atteindre leur majorité électorale (21 ans) ont hâte de s’exprimer pour la première fois à travers les urnes, d’autres restent circonspects. Mélissa Kreiker, étudiante de 21 ans, est arrivée en France il y a deux mois et s’apprête à s’enregistrer auprès de l’ambassade du Liban à Paris. Elle ne compte pas manquer ce rendez-vous. « Je voterai en 2022 pour la première fois, et c’est important. Je considère que chacun de nous doit prendre part au changement. Je suis persuadée que nous pourrons faire bouger les choses. D’ailleurs, cela a déjà commencé », ajoute-t-elle.
Un avis qui n’est pas partagé par Maya, une étudiante de 21 ans, qui vient de débarquer en Suisse. « Même si nous votons pour les 128 députés, je ne pense pas que cela changera grand-chose. Les courants indépendants ne sont pas unis, et ce sont les partis traditionnels qui reviendront au pouvoir, estime cette jeune femme. Je ne voterai que si je suis sûre que ma voix servira à quelque chose. Je veux être sûre que ce sera démocratique. »
Maya avoue par ailleurs avoir complètement perdu ses illusions et compte rester en Suisse après ses études. « Je planifiais depuis un moment de partir pour continuer mes études à l’étranger, et il faut dire que la situation au pays m’a encouragée à le faire. Je ne pense pas que je rentrerai au Liban de sitôt », confie-t-elle.
Les Libanais de l’étranger « jubilent », pour reprendre les termes du président de l’Association des hommes d’affaires libanais en France (Halfa) Antoine Menassa, après le vote par le Parlement hier d’un amendement de la loi électorale permettant aux émigrés libanais de voter pour les 128 députés de la Chambre, et non pour seulement six représentant les six...
commentaires (6)
Que veut dire voter? C’est une opinion exprimée. En dépit de la présence des armes et contournement de la loi et des règles, vaut mieux exprimer son opinion que de rester sans voix.
Georges S.
18 h 52, le 20 octobre 2021