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À l’écoute des juges

En réclamant la tête des Forces libanaises qu’il accuse d’œuvrer à une hypothétique guerre civile, Hassan Nasrallah commet la même et magistrale erreur que les milices palestino-progressistes du siècle dernier : lesquelles, dès les toutes premières heures du très réel conflit de 1975/90, décrétaient la mise au ban de la nation du parti Kataëb. Or dans un cas comme dans l’autre, on ne pouvait imaginer plus sûr moyen de faire jouer à fond les vieux réflexes sectaires : de rassembler au contraire, autour des ostracisés, les communautés apeurées.


Et cela d’autant que dans son discours de lundi, le chef du Hezbollah, sous couvert de mises en garde, ne s’est pas fait faute de souffler lui-même sur la braise en citant ses cent mille combattants prêts à en découdre et même à se rendre maîtres des cimes libanaises. Une telle outrance ne pouvait être réparée par l’évocation de la protection des populations chrétiennes, à laquelle se serait pieusement vouée la milice dans le passé récent. Cette dernière assertion ne convaincra en effet que les convaincus d’office, les inconditionnels d’un Courant présidentiel fidèle bien sûr à son aversion viscérale pour Samir Geagea mais tenu de ménager sa propre base populaire, de plus en plus réfractaire aux options les plus radicales de l’allié chiite.


Bien anecdotique paraît toutefois le grand écart auquel se livre actuellement le gendre et dauphin du chef de l’État, face aux époustouflantes contradictions qui émaillent les propos de Hassan Nasrallah. S’érigeant en infaillible donneur de leçons, celui-ci prêche ainsi le respect des institutions, celles-là mêmes qu’il n’a cessé pourtant de neutraliser ou d’asservir, l’une après l’autre. Il réclame justice pour les victimes des incidents de Tayouné mais s’évertue à torpiller l’enquête sur les terribles explosions au port de Beyrouth. Il rend hommage à l’armée mais n’omet pas de rappeler, sans avoir l’air d’y toucher, les frictions survenues avec elle dans le passé. Cette lointaine réminiscence ne trouve d’autre explication qu’un clip vidéo où l’on voit un militaire ouvrir le feu sur un manifestant armé à Tayouné : élément d’importance qui augure d’orientations nouvelles dans l’enquête sur ce triste épisode.


Toujours est-il que l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Pour gravissime que soit cette affaire, pour impérative et légitime que soit la nécessité de l’éclaircir et d’en châtier les coupables, elle ne saurait être prétexte à ce pernicieux tour de passe : enflammer à loisir un débat judiciaire, aller même jusqu’à le lester de poudre à canon, à seule fin d’en étouffer un autre encore plus lourd d’implications. Il s’agit là, on l’aura deviné, de l’énorme et meurtrier scandale du port qui réunit, en un seul mégacrime, tous les maux dont souffre le Liban. Déclarer forfait face à l’hécatombe serait renoncer, du même coup, à tout espoir de sanctionner un jour tous les autres méfaits commis par les responsables barricadés dans leur immunité, parlementaire ou autre. Hors le port, on ne le répétera jamais assez, il sera vain de parler encore de justice, comme s’obstine à le montrer un juge d’instruction insensible aux menaces dont il est l’objet. Jouissant du large soutien de l’opinion publique, c’est toutefois de la solidarité sans faille du corps judiciaire qu’aura surtout besoin Tarek Bitar.


En attendant, il est bien triste de constater à quel point un simple maroquin ministériel peut monter à la tête d’un magistrat de carrière et lui faire oublier les fondements même du droit. À quelques jours d’intervalle, ce phénomène aura été décliné en trois exemplaires par des membres du cabinet Mikati. Il y eut d’abord un ministre de la Culture se disant dûment mandaté par Nasrallah et le président de l’Assemblée Nabih Berry pour sommer le gouvernement de dégommer le juge Bitar ; il a fini par se dédire hier, mais on frémit rétrospectivement à l’idée des jugements sur ordonnance qu’il a pu prononcer du haut de sa chaire. Il y eut ensuite un ministre de l’Intérieur endossant sur l’heure les accusations du tandem Amal-Hezbollah relatives au drame de Tayouné, avant de rectifier le tir lui aussi. Last but not least, c’est le ministre de la Justice en personne qui, triturant et tourmentant la loi, propose la création d’une chambre d’accusation spéciale appelée à statuer sur les recours en récusation portés contre le juge Bitar : et qui, par trois fois, ont été rejetés par les instances adéquates.

À l’école, Excellences, pour une très urgente remise à niveau !


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

En réclamant la tête des Forces libanaises qu’il accuse d’œuvrer à une hypothétique guerre civile, Hassan Nasrallah commet la même et magistrale erreur que les milices palestino-progressistes du siècle dernier : lesquelles, dès les toutes premières heures du très réel conflit de 1975/90, décrétaient la mise au ban de la nation du parti Kataëb. Or dans un cas comme dans...