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Politique - Décryptage

Le Hezbollah et le juge Bitar : qui a peur de l’autre ?

Un mois à peine après sa formation, le gouvernement a connu sa première grande crise, qui a d’ailleurs failli le faire sauter... Cette crise a en tout cas montré que derrière la cohésion apparente, les clivages traditionnels restent présents. Au cœur du problème, l’enquête sur la tragique explosion du port de Beyrouth et la compétence judiciaire du juge d’instruction Tarek Bitar.

Tout a commencé par un échange violent entre le ministre de la Culture Mohammad Mortada (chiite) et celui de l’Environnement Nasser Yassine (sunnite). Alors que le premier exigeait que le juge Bitar soit dessaisi du dossier faute de quoi les partisans d’Amal et du Hezbollah auraient recours à la mobilisation dans la rue, le second a protesté en accusant son collègue de menacer le Conseil des ministres. Finalement, le chef de l’État a décidé de lever la séance. Depuis, les contacts se multiplient pour tenter de trouver une issue à ce conflit qui risque de provoquer l’éclatement du gouvernement. Certes, le Conseil des ministres n’a pas le droit de dessaisir un juge d’un dossier quel qu’il soit, en raison du principe de la séparation des pouvoirs en vigueur (théoriquement) au Liban. La balle est donc dans le camp du Conseil supérieur de la magistrature. En principe, les différentes parties tentent de trouver un compromis, parce que, selon des sources diplomatiques bien informées, l’heure du départ de l’actuel gouvernement n’a pas encore sonné. Cette crise a toutefois mis le Hezbollah sur la sellette.

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En effet, les critiques de plus en plus en plus claires du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, à l’encontre du juge Bitar, notamment lorsqu’il l’a accusé de « politiser l’enquête », soulèvent de nombreuses questions.

D’abord, il s’agit de savoir pourquoi le Hezbollah monte ainsi ouvertement au créneau, alors que jusqu’à présent, le juge Bitar n’a incriminé aucun de ses membres. Ensuite, les discours successifs de Nasrallah dans lesquels il s’en est ouvertement pris au juge Bitar ainsi que l’épisode de la visite du cadre de ce parti Wafic Safa au Palais de justice et ses rencontres avec le président du CSM et le procureur général près la Cour de Cassation, montrent une intervention directe (et inhabituelle) de la formation chiite dans le cours de l’enquête judiciaire. Or le Hezbollah réagit rarement à chaud et ses propos et actes sont en général bien étudiés.

Pourquoi adopte-t-il dans ce cas une telle attitude, surtout vis-à-vis d’un dossier aussi délicat qui touche tous les Libanais ? S’agit-il simplement d’une volonté du Hezbollah de protéger ses alliés (Amal et le courant des Marada), le juge Bitar voulant engager des poursuites contre trois de leurs anciens ministres ? Ou bien est-ce le signe d’une peur de la part du Hezbollah, qui dépasse ces considérations et serait liée à son rôle supposé dans l’explosion du port de Beyrouth ? À ces questions justifiées, il n’y a pas encore de réponses claires, mais des sources proches du Hezbollah considèrent que ce parti a choisi de devancer les décisions du juge Bitar. Il aurait donc décidé de réclamer son dessaisissement du dossier avant qu’il n’ait eu le temps d’engager des poursuites contre trois cadres du parti, dont Wafic Safa. Toujours selon les mêmes sources, le Hezbollah détiendrait des informations précises selon lesquelles le juge Bitar aurait l’intention de lui faire assumer en grande partie la responsabilité de l’explosion du port, notamment en ce qui concerne l’arrivée du nitrate d’ammonium à Beyrouth et de son utilisation pour fabriquer des explosifs. Selon ces mêmes sources, le Hezbollah aurait aussi appris que le juge Bitar comptait sanctionner Wafic Safa, responsable de l’unité de coordination au Hezbollah, pour ce qu’il considère être ses interventions répétées dans le dossier du port. C’est pourquoi le Hezbollah aurait décidé de réagir en réclamant qu’il soit dessaisi du dossier ou alors qu’il cesse de « politiser son enquête », selon les termes de Nasrallah.

Toujours selon les sources proches du Hezbollah, les « ennemis du parti » voudraient donc, par le biais de cette enquête et des poursuites que compterait engager le juge Bitar, porter un coup à l’image de la formation chiite en l’impliquant dans une des pires tragédies vécues par les Libanais, tout en cherchant sur le plan politique à provoquer une crise entre le Hezbollah et son principal allié chrétien, le CPL, qui ne cache pas son appui au juge. Ce que toutes les tentatives menées depuis la conclusion de l’accord de Mar Mikhaël entre le CPL et le Hezbollah (février 2006) et même les menaces de sanctions américaines n’ont pas réussi à faire, la démarche du juge Bitar et la réaction du Hezbollah pourraient donc réussir à l’obtenir... De plus, pour les sources proches du Hezbollah, les poursuites que pourrait engager le juge Bitar tomberaient à la veille des élections législatives et elles auraient ainsi un impact certain sur les électeurs. C’est pourquoi il devait réagir rapidement.

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Si le juge Bitar garde le silence et ne répond pas à ces accusations, des sources judiciaires qui suivent le dossier les réfutent totalement. Pour ces sources, le juge travaille avec méthode, et s’il prend son temps, c’est bien pour respecter les procédures légales et ne pas faire de faux pas. Lorsqu’il engage des poursuites contre une personnalité, c’est qu’il possède des éléments concrets qui l’incriminent. De plus, les poursuites judiciaires ne signifient pas une condamnation, celle-ci relevant du tribunal. Elles indiquent plutôt une certaine responsabilité dans le crime, sachant que ces responsabilités ne sont pas les mêmes pour toutes les personnes incriminées. De toute façon, ces mêmes sources sont convaincues que l’attitude du Hezbollah est un indice de sa vulnérabilité et de ses craintes au sujet de l’impact de ce dossier sur les électeurs.

Mardi, le Parlement entre en session ordinaire et l’immunité des députés sera de nouveau effective, mais la crise entre le Hezbollah et le juge Bitar n’en sera pas réglée pour autant. Au point qu’on se demande qui, des deux, a le plus peur de l’autre...

Un mois à peine après sa formation, le gouvernement a connu sa première grande crise, qui a d’ailleurs failli le faire sauter... Cette crise a en tout cas montré que derrière la cohésion apparente, les clivages traditionnels restent présents. Au cœur du problème, l’enquête sur la tragique explosion du port de Beyrouth et la compétence judiciaire du juge d’instruction Tarek Bitar....

commentaires (12)

Quelque soient les craintes du Hezbollah, il est en train de s'attaquer à l'un des fondements de l'état de droit: la séparation des pouvoirs. Je ne connais pas les calculs du secrétaire général du parti de Dieu. J'étais admiratif jusqu'à maintenant devant son intelligence et ses analyses fines. Mais depuis quelques mois, c'est la déception: instiller de discours en discours le doute sur le travail du juge , l'accuser de politisation (sic) , ... Tout cela indique une volonté d' ingérence dans le travail de la justice. Or le magistrat, d'après sa biographie, semble être est un homme intègre et professionnel , Le Sayed aurait-il perdu ses capacités intellectuelles? S'obstine-t-il coûte que coûte à commettre une grave erreur d'analyse? Au risque de perdre le soutien d'une (autre) frange de la population libanaise? Le dicton le dit bien : Ghaltet Esshater Bi Alf.

Stephane W.

22 h 25, le 15 octobre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • Quelque soient les craintes du Hezbollah, il est en train de s'attaquer à l'un des fondements de l'état de droit: la séparation des pouvoirs. Je ne connais pas les calculs du secrétaire général du parti de Dieu. J'étais admiratif jusqu'à maintenant devant son intelligence et ses analyses fines. Mais depuis quelques mois, c'est la déception: instiller de discours en discours le doute sur le travail du juge , l'accuser de politisation (sic) , ... Tout cela indique une volonté d' ingérence dans le travail de la justice. Or le magistrat, d'après sa biographie, semble être est un homme intègre et professionnel , Le Sayed aurait-il perdu ses capacités intellectuelles? S'obstine-t-il coûte que coûte à commettre une grave erreur d'analyse? Au risque de perdre le soutien d'une (autre) frange de la population libanaise? Le dicton le dit bien : Ghaltet Esshater Bi Alf.

    Stephane W.

    22 h 25, le 15 octobre 2021

  • Christian Samman: Giovanni Falcone et après son collègue Paolo Borsellino et, avant, le juge Rosario Livatino, proclamé bienheureux cette année.

    Ulivi Emanuela

    22 h 35, le 14 octobre 2021

  • Espérons que notre juge ne subira pas le sort d'un autre imminent juge italien: Giovanni Falcone...

    Christian Samman

    21 h 37, le 14 octobre 2021

  • Qui a peur de l’autre? Un juge qui déclare ouvertement la guerre aux criminels et se rend à son travail tous les jours sans trembler ou celui qui est terré sous des tonnes de gravats depuis des années et qui se permet de lever le pouce et menacer en sachant qu’il est inaccessible dans son bunker grâce à ses gorilles armés et ses alliés vendus au pouvoir? La réponse est évidente pour une question qui ne se pose même pas.

    Sissi zayyat

    15 h 09, le 14 octobre 2021

  • AU LIBAN IL NOUS MANQUE BEAUCOUP DU SAVOIR FAIRE DIPLOMATIQUE . ON EST TROP IMBU DE SOI- MEME !! DOMMAGE. SANS AUCUNE PRETENTION , J’AI MENTIONNE HIER : Il faut savoir monter ou descendre les échelons de la hiérarchie au lieu de monter sur la tête des autres : on peut tirer un ÂNE avec une FICELLE sans LE pousser . MEILLEURS VŒUX DE SUCCES AU JUGE BITTAR .

    aliosha

    12 h 16, le 14 octobre 2021

  • rien a redire a part que l'affirmation suivante """derrière la cohésion apparente, les clivages traditionnels restent présents."" est TRES FAUSSE CAR HORS DU COMMUN DES CLIVAGES TRADITIONNELS: nasrallah et ses menaces interviennent dans un domaine jamais encore TOUCHE, qui menacent l'essence meme de tout pays qui se respecte -le peu de respect qui lui en reste encore -

    Gaby SIOUFI

    10 h 48, le 14 octobre 2021

  • Le Hezbollah est coupable et cherche a sauver sa peau. Étonnamment ce sont vos sources pro Hezbollah qui le confirme. Le parti n'est pas seulement propriétaire de l’ammonium mais il l'a fait sauter pour coller l'acte a ceux qui défendent la société civile et sont la colonne vertébrale de la thaoura. Ce faisant, il détruisait les velléité du peuple en les décourageant et cherche a stigmatise le noyau dur pour limiter la casse dans les prochaines élections. Sauf que... Ça a foiré car les juges, cette fois, ont fait leur boulot.

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 14, le 14 octobre 2021

  • Si le Hezbollah n’a rien à se reprocher dans l’explosion du port qui a coûté le vie a plus de 200 libanais, qui a blessé plus de 6000 personnes et qui a détruit la partie chrétienne de la capitale, il n’a qu’à se présenter sereinement devant le juge avec ses arguments juridiques réels et les preuves de son innocence. Alors que le Hezbollah ne fait que menacer le juge et au delà la paix civile dans le cas où il serait incriminé dans cette explosion. Votre article biaise, comme d’habitude, oublié d’éditer qui était le propriétaire de ce nitrate d’ammonium et qui avait utilisé des centaines de tonnes avant l’explosion. Le Hezbollah et ses armes dont un groupe terroriste qui veut imposer son hégémonie sur tout le Liban. Nous, résistance libanaise véritable, avons le droit de nous défendre, pour notre survie et notre vie selon notre culture, bec et ongles contre ces terroristes quitte à s’allier avec le diable si nécessaire

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 04, le 14 octobre 2021

  • Voila le resultat de la soumission servile de nos politiciens corrompus a une milice, sectaire, retrograde et illegale . A force de plier l’echine pour des raisons bassement politiciennes, les gouvernants se sont volontairement mis sous la botte du hezbollah et de ses agents. Alors pourquoi s’etonner de la demande d’eviction du juge intrepide qui , et le doute n’est plus permis, a visiblement decouvert qui est a responsable de la terrible catastrophe du port. En attendant celui de la justice, le verdict du peuple est tombe. Honte a ceux qui appuient encore ces criminels.

    Goraieb Nada

    07 h 53, le 14 octobre 2021

  • Qui, du juge et du Hezbollah a le plus peur de l'autre? Poser la question, c'est y répondre. Malgré les menaces dont il a été l'objet, Bitar poursuit sereinement son travail tandis que Nasrallah s'excite, gesticule, menace: "Est-ce le signe d’une peur de la part du Hezbollah, qui (...) serait liée à son rôle supposé dans l’explosion du port de Beyrouth ?". La réponse semble évidente. L'innocent n'a rien à craindre de la justice.

    Yves Prevost

    07 h 43, le 14 octobre 2021

  • LE CRIMINEL A PEUR DE LA JUSTICE. VOTRE ARTICLE MADAME POURRAIT ETRE CONSIDERE OBJECTIF SI VOUS N,ASSEYEZ PAS INDIRECTEMENT D,INNOCENTER LE HEZBOLLAH CAR VOUS NE MENTIONNEZ POINT LES PAYS QUI ONT ARRETE DES LIBANAIS PARTISANS TERRORISTES DU HEZB AVEC DES QUANTITES DE NITRATE IMPORTEES AVEC EUX DE BEYROUTH DANS CES PAYS POUR DES ACTES TERRORISTES. MOI JE CONSEILLE AVEC REPETITION AU JUGE BITAR DE COMMENCER PAR LE PROPRIETAIRE ET UTILISATEUR DU NITRATE. LE CRIME FUT COMMIS PLUS D,UN AN AVANT LES ELECTIONS LES CRIMINELS DEVRAIENT Y PAYER LE PRIX. C,EST NORMAL. LE BARBU ET LE PATRON DES VOYOUS ONT TOUS DEUX PEUR DU JUGE ET POUR RAISON. LES LIBANAIS SAVENT TOUS A QUI APPARTIENT LE NITRATE. IL A EXPLOSE PAR ACTE AGRESSIF AVEC INTERVENTION PLUTOT DU CIEL OU PEUT ETRE DE TERRE PAR ROQUETTE VOLANTE OU UNE A DEUX PIEDS POUR INCRIMINER LE HEZBOLLAH. MAIS CA N,INNOCENTE PAS CELUI QUI A STOCKE CETTE MATIERE ET BIEN D,AUTRES EXPLOSIVES DANS LES HANGARS DU PORT QU,IL CONSIDERAIT AVEC L,AEROPORT SA PROPRIETE ET COMMIS TOUS LES TRAFICS IMAGINABLES AU DETRIMENT DES CAISSES DE L,ETAT. LE NITRATE N,EST QU,UNE PETITE PARTIE DE L,ICEBERG. LA VERITE DOIT ECLATER. CETTE GANGRENE QUI RONGEA ET RONGE ENCORE LE CORPS BLIBANAIS DOIT EN ETRE AMPUTEE POUR QUE LE CORPS REVIVE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    04 h 26, le 14 octobre 2021

  • Le Hezbollah a besoin d’ennemis, sinon comment mobiliserait-il sa base? Et les américains, les sionistes, le parti de l'argent, l’état profond, les califes de l'Islam, les cartels, les médias vendus a l'occident, les tribunaux internationaux, le congres américain, l’économie des services, le patriarche Rai, les banques, le Bahrain, les hôtels, les tribus arabes, et la MTV, les journalistes indépendants, les ONG, les ambassades, les expatriés, les talons aiguilles. Et maintenant la goutte qui fait déborder le vase: l'autiste Juge Bitar qui ne comprend même pas les "conseils" qu'on lui donne. Il est grand temps de sortir les motocyclettes puisqu'il ne pleut pas encore!

    Mago1

    02 h 29, le 14 octobre 2021

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