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Nos Lecteurs ont la Parole

Les slogans laïcs au service du fondamentalisme

À Amchit, sur les pentes du Liban, Ernest Renan écrivit dans la Vie de Jésus que le Christ fonda le vrai sens de la religion lorsqu’il rendit à César ce qui est à César. C’est dans la dualité, en concevant la laïcité, que la religion chrétienne s’est définie. Ce concept purement chrétien ne peut être forcément compris ou adopté par d’autres formes de pensées cultuelles. Il ne peut donc pas s’imposer de manière radicale et se doit de ménager les subtilités et les nuances. C’est ainsi que le système libanais permet la laïcité dans tous les domaines juridiques qui assurent l’équité entre les citoyens, tout en préservant les spécificités au niveau du statut personnel. Les groupes qui exigent aujourd’hui la laïcité au Liban font preuve d’amateurisme en ce qui concerne à la fois le sens de la laïcité et l’esprit de la Constitution libanaise qu’ils semblent ignorer. Par ailleurs, demander un État civil dans un pays qui l’est déjà est une absurdité puisque le Liban n’a pas de religion d’État. Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est de les voir opposer la laïcité au christianisme qui, en réalité, l’assimile dans son esprit. Ailleurs encore ils se définissent comme séculiers, sans se douter de l’origine chrétienne du terme.

Dans leur insouciance, ces groupes révolutionnaires refusent le soutien de l’Église et des forces chrétiennes face à une milice fondamentaliste totalitaire dont ils ne perçoivent nullement le danger. Se réclamant de gauche, progressistes, libéraux ou laïcs, ils sont persuadés de pouvoir régler tous leurs problèmes par un coup de baguette magique. Ce sont malheureusement des sommes énormes que la diaspora met entre leurs mains afin d’accomplir des desseins complètement utopiques. Les effets commencent à se faire sentir dans les universités et laissent présager de ce qui nous attend aux élections législatives dans quelques mois. Cela ne va pas sans rappeler des situations analogues qui eurent lieu dans l’Iran des années 70 et 80, confronté à une entité ultrareligieuse identique à celle qui nous menace et qu’elle a d’ailleurs engendrée.

Les désirs de progrès et d’égalité peuvent facilement mobiliser la jeunesse. On rêve d’un monde meilleur et d’une société parfaite. Pour cela il faut abattre tous les piliers de la société actuelle. Ce fantasme fut celui de la gauche iranienne depuis les années 1920, mais surtout après la fondation du Hezb-e Toudeh (le parti des Masses) en 1941. Ce mouvement politique constitua le rassemblement des élites et intellectuels de gauche, auxquels vinrent se joindre les masses ouvrières. Son idéologie fut définie comme communiste et marxiste-léniniste. Fermement implanté à Ispahan, Hezb-e Toudeh prit les universités comme foyer de son militantisme révolutionnaire. C’est donc là que la gauche, considérée comme force du progrès et du changement, remporta ses premières batailles contre le système traditionnel. Le tout était de ne pas se retrouver en confrontation avec le clergé chiite. Cela mena à la victoire de la révolution qui, en janvier 1979, réussit à chasser le chah du pays. Les premiers temps furent des moments d’euphorie avec la libération des prisonniers politiques et avec des promesses de modernisation. Cependant, dès 1981, le Parti islamique républicain destituait le président Bani Sadr partisan de la laïcité. C’est là que les pasdaran (comités révolutionnaires armés) lancèrent la chasse aux sorcières contre des milliers de jeunes et de militants de gauche. Presque tous furent exécutés.

Ayant accepté de fermer les yeux sur le clergé chiite considéré anti-impérialiste, le parti Toudeh a inconsciemment collaboré avec les islamistes. Cette attitude se solda par l’incarcération de toute sa direction en 1982. Par la suite, 5 000 membres et partisans de Toudeh furent arrêtés et exécutés. Ce fut la mise en place du régime totalitaire fondamentaliste qui soumet jusqu’à nos jours le peuple iranien dans la terreur. Les exécutions se poursuivirent encore jusqu’en 1988. Ceux qui purent échapper aux arrestations et aux purges durent choisir entre l’exil et la soumission à l’islamisme radical des mollahs.

Dans la confrontation actuelle, les universités du Liban revivent un scénario similaire. Là où les partisans de la laïcité et du changement marquent des victoires face aux forces séculières de la droite chrétienne, ils assainissent le terrain et le balisent au profit, souvent malgré eux, de l’avancée de la République islamique.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

À Amchit, sur les pentes du Liban, Ernest Renan écrivit dans la Vie de Jésus que le Christ fonda le vrai sens de la religion lorsqu’il rendit à César ce qui est à César. C’est dans la dualité, en concevant la laïcité, que la religion chrétienne s’est définie. Ce concept purement chrétien ne peut être forcément compris ou adopté par d’autres formes de pensées cultuelles....

commentaires (2)

Cher Amine Une femme libanaise n’hérite pas de la même manière si elle est sunnite, chiite ou chrétienne. Voilà qui remet en cause le fondement même de votre article qui prétend que le Liban est un état civil. Le Levant entier a été vérolé par le communautarisme. Nos divisions sur base religieuse ont empêché l’arrivée de leaders légitimes et compétents un peu partout dans cette région et surtout au Liban. Je vous concède une chose: Il est vrai que la vraie laïcité est encore très difficile à imposer en terre d’Islam mais elle l’était tout autant en chrétienté il y a à peine deux siècles. Jules Ferry c’était il n’y a pas si longtemps.Je pense que le seul salut pour notre civilisation viendra justement de notre jeunesse laïque qui créera peut être une nouvelle Nahda. C’est la seule façon de s’en sortir. Il n’y aura pas de petit Liban chrétien autonome, ce petit rêve est mort depuis belle lurette et s’y accrocher (plutôt que tendre la main aux autres communautés) nous fera sombrer avec lui.

Alexandre Choueiri

14 h 51, le 11 octobre 2021

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Commentaires (2)

  • Cher Amine Une femme libanaise n’hérite pas de la même manière si elle est sunnite, chiite ou chrétienne. Voilà qui remet en cause le fondement même de votre article qui prétend que le Liban est un état civil. Le Levant entier a été vérolé par le communautarisme. Nos divisions sur base religieuse ont empêché l’arrivée de leaders légitimes et compétents un peu partout dans cette région et surtout au Liban. Je vous concède une chose: Il est vrai que la vraie laïcité est encore très difficile à imposer en terre d’Islam mais elle l’était tout autant en chrétienté il y a à peine deux siècles. Jules Ferry c’était il n’y a pas si longtemps.Je pense que le seul salut pour notre civilisation viendra justement de notre jeunesse laïque qui créera peut être une nouvelle Nahda. C’est la seule façon de s’en sortir. Il n’y aura pas de petit Liban chrétien autonome, ce petit rêve est mort depuis belle lurette et s’y accrocher (plutôt que tendre la main aux autres communautés) nous fera sombrer avec lui.

    Alexandre Choueiri

    14 h 51, le 11 octobre 2021

  • Votre démonstration commence par un postulat, faux à en tomber par terre, que le Liban serait un État civil car "il permet la laïcité dans tous les domaines juridiques qui assurent l’équité entre les citoyens". L'équité est-elle parfaite? Non. Alors vous avez tort, point barre. Et les partis laïcs sont un risque à prendre, un parti-pris de courage, afin d'y accueillir de manière neutre tous les Libanais et de tenter de faire ressembler ce pays aux pays où les Libanais souhaitent émigrer et s'adaptent dès leur arrivée, de tenter de faire tomber l'hypocrisie qui voudrait qu'au Liban, les Libanais qui veulent se barrer, veulent d'un État saucissonné par les religions. Le repoussoir des fripouilles pro-iraniennes, c'est la droite chrétienne et ce qui manque à ce pays, c'est justement un centre issu d'une faible dispersion des choix, seule possibilité de démocratie. Les partis laïcs sont une possibilité de centre. Bon, je vous l'accorde, le christianisme et la laïcité sont parfaitement compatibles mais c'est un sophisme que de conclure que puisqu'on a le christianisme à quoi bon laïciser. Un seul exemple: le fiasco du mariage civil facultatif (il l'est aujourd'hui uniquement pour ceux qui ont de quoi se payer un billet d'avion pour Chypre). Les curés se cachaient hypocritement derrière les clergés musulmans en disant "nous on n'est pas contre". Nous devons à nos enfants pas encore nés qu'ils puissent vivre dans un pays sans ces hypocrisies et gouverné paisiblement au centre.

    M.E

    00 h 53, le 06 octobre 2021

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