L’image est particulièrement frappante : au palais de l’Unesco, le nouveau gouvernement de Nagib Mikati sollicitera ce matin la confiance du Parlement, sur base d’une déclaration ministérielle foulée aux pieds par une des composantes des deux institutions : le Hezbollah.C’est que l’investiture de l’équipe Mikati intervient au moment même où la formation chiite est occupée à distribuer le mazout iranien importé à son initiative quelques jours plus tôt via la Syrie, à travers des voies de passage illégales que la nouvelle équipe ministérielle a pourtant promis de fermer, dans le document sur base duquel elle doit obtenir la confiance du Parlement. Toute cette affaire a surtout pour effet de jeter le discrédit sur l’ensemble des institutions de l’État, qui ont fermé les yeux sur un processus entaché dans son ensemble d’irrégularités parce qu’il n’est pas passé par les canaux réglementaires. À l’exception d’une timide réaction du chef du gouvernement, qui s’est dit « triste » de constater une « absence de souveraineté libanaise », lors d’une interview vendredi à la chaîne CNN, aucun officiel libanais n’a réagi à l’importation du fuel iranien par le Hezbollah. La présidence de la République, garante pourtant de la souveraineté du pays, a ainsi observé un silence total, le chef de l’État Michel Aoun étant un allié de longue date du parti chiite. Une position pour laquelle le président a été critiqué par de nombreuses personnalités de l’opposition.
Quant au nouveau Premier ministre, il n’a pas précisé les mesures que son équipe entendrait prendre pour recouvrer cette souveraineté. Bien au contraire, comme pour se laver les mains de cette affaire qui discrédite son équipe, M. Mikati a indiqué à CNN qu’il « ne craint pas » que des sanctions américaines visent le pays vu que son gouvernement « n’est pas impliqué » dans cette opération.
Que faut-il donc attendre d’un cabinet qui démarre si mal ? Rien, selon les protagonistes hostiles au pouvoir en place qui continuent de croire que c’est le Hezbollah qui au Liban tire les ficelles. C’est le cas des Forces libanaises qui n’accorderont pas leur confiance à l’équipe Mikati lors du débat de confiance qui se tiendra aujourd’hui à 11h, au palais de l’Unesco, où l’affaire du fuel iranien sera immanquablement évoquée. Expliquant cette décision, Imad Wakim, député FL de Beyrouth, souligne à L’Orient-Le Jour que « c’est à cause de ce genre d’agissements et de certaines réactions que le parti a décidé de ne pas accorder la confiance au nouveau cabinet ». « Il est intolérable que le président de la République garde le silence face à cette atteinte à la souveraineté », déplore-t-il, rappelant que le ministère de l’Énergie (à travers lequel l’importation de carburant est supposée passer) relève de sa quote-part gouvernementale.
A contrario, le courant du Futur, au nom duquel Bahia Hariri, députée de Saïda, devrait s’exprimer lors de la réunion, accordera sa confiance à la nouvelle équipe ministérielle, même s’il est lui aussi hostile à l’importation de carburant de Téhéran. Le parti de Saad Hariri a d’autres considérations. Sa position reste en harmonie avec le soutien que son leader a affiché à M. Mikati, son collègue au sein du club des anciens Premiers ministres, qui avaient appuyé le milliardaire tripolitain sur toute la ligne. Sauf que deux membres de ce rassemblement, à savoir Saad Hariri et Tammam Salam – tous deux en déplacement à l’étranger–, ne prendront pas part à la séance, privant ainsi le nouveau Premier ministre d’un appui significatif. M. Salam est toutefois entré hier en contact avec le chef du gouvernement pour lui souhaiter bonne chance.
Le courant du Futur tient à souligner que son choix d’accorder la confiance au gouvernement est dicté par « la confiance en la personne de Nagib Mikati », comme le précise à L’Orient-Le Jour Roula Tabch, députée haririenne de Beyrouth. Le Premier ministre est toutefois critiqué pour la tiédeur de sa réaction à l’importation de mazout iranien. « Il ne suffit pas qu’il exprime sa tristesse », déplore Roula Tabch, qualifiant de « honteuse » cette « violation de la souveraineté et du prestige de l’État ». « Il s’agit d’une façon de consacrer la mainmise illégitime » de l’Iran sur le pays.
Aucun autre choix...
Le Rassemblement démocratique affilié au Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt accordera sa confiance au cabinet, en dépit de ses prises de position hostiles au pouvoir en place. Pour les joumblattistes, les motifs de cette décision sont très clairs : avoir un gouvernement qui exerce pleinement le pouvoir est beaucoup mieux que la vacance au niveau de l’exécutif, surtout dans les circonstances actuelles. « Nous accorderons la confiance au cabinet parce qu’il n’y a pas d’autre choix », confie Bilal Abdallah, député joumblattiste du Chouf, pour qui « la priorité est aujourd’hui à la lutte contre la famine ». Le parlementaire se dit toutefois conscient du fait que la souveraineté de l’État a été foulée aux pieds. « Mais cette question dépasse le gouvernement », tente-t-il de justifier.
À son tour, le Courant patriotique libre, un des principaux parrains de la nouvelle équipe, accordera sa confiance à l’équipe Mikati. Il s’agit là d’un des principaux points de l’accord conclu peu avant la genèse de l’équipe avec le leader du CPL, Gebran Bassil.
Le courant aouniste a d’ailleurs donné le ton samedi. Dans un communiqué publié à l’issue de la réunion hebdomadaire du bureau politique, il s’est félicité du fait que la déclaration contient « toutes les demandes exprimées par le CPL », notamment en ce qui concerne les réformes financières et monétaires, la restructuration du secteur bancaire, la lutte contre la corruption, l’audit juricomptable, la récupération des fonds envoyés illégalement à l’étranger, les élections à venir...
Partageant le point de vue joumblattiste – fait rare –, les aounistes estiment que la priorité devrait être accordée au règlement des crises dont souffrent les citoyens. « Ceux qui se lamentent aujourd’hui pour la souveraineté n’ont rien fait lorsque les dépôts bancaires des gens ont été volés. Aujourd’hui, il y a des personnes qui ont faim. Ils sont prioritaires », déclare un député du CPL qui a requis l’anonymat, minimisant ainsi le fait qu’une milice remplace l’État pour assurer le fuel aux Libanais.
En gros, le nouveau cabinet est sûr d’obtenir la confiance de la Chambre, mais la séance risque d’être longue, plusieurs groupes parlementaires refusant de se conformer aux directives du président du Parlement Nabih Berry, qui souhaite écourter les interventions. Ce dernier voulait qu’un seul député s’exprime par groupe parlementaire. Un vœu difficile à exaucer à quelques mois des législatives…
commentaires (11)
En faire une montagne de l'essence importé d'Iran est un prétexte pour les FL et bien d'autres parties de faire du populisme pré électoral alors que tous les secteurs du pays sont paralysés . Nous n'avons pas vu un pays faire un pas pour résoudre ce problème . Stigmatiser sans offrir une autre alternative est vicieux et malveillant.
Hitti arlette
09 h 19, le 22 septembre 2021