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Société - Crise

Contre la pénurie de médicaments, le système D des initiatives privées

Plusieurs initiatives sont nées via les réseaux sociaux, pour fournir des médicaments qui ne sont plus disponibles au Liban. Des initiatives bienvenues, mais qui n’apportent qu’une solution provisoire, peu viable sur le long terme.

Contre la pénurie de médicaments, le système D des initiatives privées

De nombreuses initiatives d’approvisionnement en médicaments obligent les voyageurs à remplir leurs valises de médicaments chaque fois qu’ils rentrent au Liban. Crédit AFP

Pendant un mois, Sami, un Libanais de 54 ans souffrant d’hypertension et d’une glycémie élevée, n’a pu prendre aucun des médicaments prescrits par son médecin. Il lui était tout simplement impossible de les trouver au Liban. Cet homme a tenté sa chance dans de nombreuses pharmacies. En vain. Il a même envisagé de commander son traitement à l’étranger, bien qu’il ne dispose pas d’un accès à des devises étrangères, nécessaires pour le payer. Devant sa détresse, un de ses amis lui parle d’une initiative susceptible de l’aider. Sami contacte alors Medonations, une initiative qui tente de répondre aux besoins médicaux des Libanais. L’organisation parvient à collecter les fonds nécessaires et lui fournit alors l’équivalent d’un mois de traitement. Comme Sami, de nombreuses personnes ne trouvent plus leurs médicaments dans les pharmacies libanaises, en raison des pénuries survenues dans un pays en plein effondrement économique. Pour combler le vide et garantir la poursuite des traitements des malades, plusieurs initiatives similaires ont vu le jour au niveau communautaire.

Les patients qui ne trouvent pas leurs médicaments dans les officines libanaises sollicitent désormais des personnes établies à l’étranger, des ONG ou ont recours à d’autres biais pour se les procurer, explique le Dr Charaf Abou Charaf, à la tête de l’ordre des médecins. « Même les médicaments génériques ont disparu du marché libanais », déplore-t-il. Une pénurie due, selon le chef du syndicat des pharmaciens, Ghassan al-Amine, au retard de la Banque du Liban dans le traitement des paiements des subventions, mais aussi au stockage des médicaments par les importateurs ainsi que par les patients. Aujourd’hui, même si de multiples initiatives visant à fournir les médicaments à la population fonctionnent et s’intensifient, grâce aux dons et aux fonds provenant de la diaspora libanaise comme des étrangers, ce système D est-il pour autant viable dans le temps ? « Nous continuerons à fonctionner tant que les gens continueront à soutenir notre initiative », précise Marina Khawand, fondatrice de Medonations. Des représentants d’initiatives similaires à Medonations déclarent de leur côté à L’Orient Today qu’ils ne disposent pas de sources de financement à long terme, comptant plutôt sur des dons matériels. Leurs organisations ont vu le jour uniquement pour répondre aux besoins immédiats, devenant en l’absence de solution étatique partie prenante de la chaîne d’approvisionnement médicale. Mais sans dons de médicaments en nature, elles ne pourront pas continuer à fonctionner gratuitement.

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Ces initiatives ne peuvent à elles seules répondre aux besoins des 6 millions d’habitants du Liban, souligne pour sa part Charaf Abou Charaf, qui leur demande « de travailler en étroite collaboration avec le ministère de la Santé, qui peut et doit contrôler la qualité des médicaments entrant dans le pays ».

Se soigner, via la diaspora et l’entraide

Marina Khawand a fondé Medonations en août 2020, à la suite de la double explosion au port de Beyrouth. Opérant d’abord en solo, elle a été rejointe depuis par une équipe de jeunes femmes âgées d’une vingtaine d’années. L’équipe a commencé par faire du porte-à-porte dans des quartiers défavorisés de Beyrouth, afin d’identifier les personnes qui avaient des besoins urgents. En septembre 2020, les dons reçus leur ont ainsi permis de couvrir les besoins médicaux de 500 familles. Lors de la flambée des cas de coronavirus en janvier dernier, Medonations a pu fournir gratuitement des machines à oxygène aux malades atteints de Covid-19, grâce à des collectes de fonds organisées sur les réseaux sociaux. Une aide cruciale, alors que de tels équipements manquaient dans les hôpitaux face à l’explosion de la pandémie dans le pays, d’autant que la dépréciation de la livre libanaise empêchait les importateurs d’équipement médical de les commander et que la BDL retardait le paiement des factures. « Medonations a pu sauver 31 vies grâce aux machines à oxygène gratuites », se félicite Marina Khawand.

Mais lorsque la pénurie d’essence a commencé à s’aggraver dans le pays et que le nombre de personnes ayant besoin de médicaments a augmenté, l’équipe a dû suspendre ses activités sur le terrain pour concentrer son travail en ligne. « Nous collectons également des fonds pour les traitements et les chirurgies du cancer dans un contexte économique difficile », ajoute la fondatrice de Medonations. Grâce aux dons, l’initiative est par exemple parvenue à financer un équipement américain d’une valeur de 7 000 dollars pour un jeune homme de 19 ans, victime d’une grave blessure à la tête lors de la double explosion au port. Jusqu’à aujourd’hui, l’organisation a pu financer 45 interventions chirurgicales.

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Pour éviter toute forme d’abus, le groupe « demande des captures d’écran des ordonnances de moins de six mois », note Marina Khawand. Mais l’aide apportée par son équipe ne peut aller plus loin. Certains médicaments, comme les injections d’antibiotiques et les vaccins, ne peuvent pas transiter par ce circuit, ces produits n’étant pas disponibles dans les pharmacies à l’étranger, mais uniquement dans les hôpitaux. Ils ne peuvent donc être importés au Liban que par l’intermédiaire d’une société pharmaceutique officielle. Sur Instagram, une autre initiative, appelée @medsforlebanon, est menée par des expatriés libanais vivant en France. Le groupe a été cofondé en juillet par Mario Chalhoub, pharmacien en France, et comprend d’autres Libanais qui travaillent dans les domaines des affaires et de l’ingénierie. En échange du paiement par les patients libanais, il leur envoie des médicaments depuis la France. Lorsque les malades ne peuvent pas payer, @medsforlebanon collecte des fonds via sa page web pour financer leurs traitements. Les achats de médicaments sont effectués en France et dans d’autres pays européens, puis envoyés avec des voyageurs au Liban. Il n’envoie pas de stocks aux pharmacies ou aux importateurs, mais uniquement aux particuliers, selon la demande. « Notre initiative est totalement transparente. Nous publions un rapport mensuel sur le montant des dons collectés ainsi que sur la manière dont nous les dépensons », déclare Mario Chalhoub. Et, contrairement à Medonations, l’initiative franco-libanaise est suffisamment flexible pour que les patients reçoivent leurs médicaments sans ordonnance.

Si 90 % des patients présentent des ordonnances, ceux qui n’en ont pas, parce qu’ils n’ont pas les moyens de consulter le médecin aussi souvent, ne sont pas pour autant laissés pour compte. Dans certains cas, les pharmaciens européens acceptent de contourner les règles pour les Libanais présentant des ordonnances obsolètes. Dans d’autres cas, L’Orient Today a appris que certains patients qui commandent leurs médicaments à l’étranger obtiennent des ordonnances de médecins sans même les avoir consultés. Le président de l’ordre des médecins, Charaf Abou Charaf, reconnaît que ce phénomène est contraire à l’éthique, mais répandu.

Par ailleurs, @medsforlebanon invite les autres initiatives ayant besoin de médicaments à leur envoyer la liste de ceux auxquels ils n’ont pas accès au Liban afin qu’ils puissent être expédiés depuis la France.

Cette méthode d’approvisionnement en médicaments peut s’avérer préoccupante dans la mesure où certains produits risquent de ne pas être conservés à des températures appropriées pendant le voyage. « Dans de tels cas, de nombreux patients peuvent recevoir des médicaments empoisonnés plutôt que des médicaments curatifs », s’inquiète Ghassan al-Amine.

Sur Instagram également, une autre initiative, @medsforleb, fondée en mars 2021 par Lian et Mohammad Farran, deux frère et sœur soutenus par un groupe d’amis, met en relation directe patients et donateurs. « Sur notre page Instagram, nous avons un tableau pour classer les noms des usagers et leurs besoins médicaux », explique Lian. Les équipes de

@medsforleb font ensuite un post sur Instagram sur chaque médicament pour en faire la promotion afin que les personnes qui disposent du produit requis puissent identifier le besoin et « signer leur nom ensuite dans le tableau en tant que contributeur ».

@medsforleb connecte ensuite chaque donateur au demandeur afin qu’ils puissent se rencontrer et échanger les médicaments. L’initiative refuse les dons d’argent, au motif qu’il ne s’agit pas d’un prestataire de services, mais plutôt d’une plate-forme pour coordonner l’échange de médicaments.

« Les médicaments pour la santé mentale sont les plus demandés », déclare Mohammad Farran. « Pour de tels produits, nous demandons toujours aux patients de nous envoyer des ordonnances. »

Tout comme les deux autres initiatives, @medsforleb comprend un groupe de la diaspora présente aux États-Unis, en Irlande, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, en Australie, en France, en Italie, Arménie, Belgique, au Royaume-Uni, en Autriche, Égypte, aux Pays-Bas, en Turquie, au Canada et en Norvège, qui envoie des médicaments aux Libanais. Toutes ces organisations rencontrées par L’Orient Today s’accordent à dire que le nombre de demandes est en hausse, soulignant que les pénuries de médicaments ne font que s’aggraver. Donnant une idée de l’ampleur du phénomène, Marina Khawand de Medonations précise que le nombre de demandes qu’ils reçoivent double chaque mois.

Mettre fin au stockage

Il y a une grave pénurie de médicaments contre les maladies chroniques, même parmi les ONG et les initiatives privées, souligne de son côté Ghassan al-Amine. Ces groupes ne disposent pas des ressources humaines et financières suffisantes pour couvrir les besoins en médicaments de l’ensemble de la population libanaise sur le long terme, affirme le chef du syndicat des pharmaciens, pour qui le gouvernement et la BDL devraient mettre en place un plan pour payer les importateurs à un taux raisonnable afin de mettre fin aux pénuries.Le non-paiement par la Banque du Liban, dont les réserves en devises se sont largement épuisées, des factures des importateurs de médicaments ont conduit les sociétés importatrices à s’abstenir de vendre des stocks de médicaments aux pharmacies, craignant des pertes financières lorsque les subventions seront levées.

Pour Charaf Abou Charaf, une solution susceptible de résoudre le problème à la racine serait d’imposer des prescriptions au Liban et de numériser le secteur pharmaceutique. « Chaque personne devrait être en mesure de présenter une ordonnance avec laquelle le pharmacien, via un ensemble de données informatisées, peut confirmer la crédibilité de la prescription médicale et la date à laquelle ce patient a acheté le médicament pour la dernière fois », précise-t-il, estimant que cela permettrait aussi de mettre fin au stockage des médicaments.Selon Ghassan al-Amin, aucun produit pharmaceutique n’a été importé au Liban entre juin à août. Cependant, Karim Gebara, président du syndicat des importateurs de produits pharmaceutiques, confirme que la « BDL a accordé des approbations préalables entre la fin août et le 1er septembre, et que les médicaments correspondants ont été importés ». Charaf Abou Charaf souligne, quant à lui, la nécessité de tenir les importateurs qui stockent des médicaments responsables et d’encourager les fabricants locaux en promouvant les marques produites au Liban « parce que les initiatives en dehors du gouvernement ne peuvent pas survivre éternellement ».Le 31 août, le ministère de la Santé a fait une descente dans un entrepôt contenant 7 000 comprimés de médicaments en rupture de stock. Certains des médicaments récupérés, utilisés pour soigner les brûlures, auraient été indispensables aux victimes de l’explosion d’une citerne sauvage de carburant au Akkar, mi-août. De même, le 29 août, plus de 130 caisses de médicaments pour le traitement du cancer ont été découvertes dans un entrepôt appartenant à l’ancien patron du syndicat des pharmaciens du Liban, Rabih Hassoun.

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 13 septembre 2021)

Pendant un mois, Sami, un Libanais de 54 ans souffrant d’hypertension et d’une glycémie élevée, n’a pu prendre aucun des médicaments prescrits par son médecin. Il lui était tout simplement impossible de les trouver au Liban. Cet homme a tenté sa chance dans de nombreuses pharmacies. En vain. Il a même envisagé de commander son traitement à l’étranger, bien qu’il ne dispose...

commentaires (2)

CONCLUSION ENCORE ET TOUJOURS LA MEME : LES CRAPULES AUX -2 - POUVOIRS, CELUI ADMINISTRATIF/GOUVERNEMENTAL & BIEN SUR CELUI DES CORRUPTEURS/DIVERS CARTELS SONT LES SEULS A NE PAS SUBIR LES "AFFRES" DE LA LOI NON APPLIQUEE. SEULS NOUS AUTRES EN SUPPORTONS LES SANCTIONS. MERCI AUX KELLON RESSOURCES,RAJEUNIS ,REVITALISES.

Gaby SIOUFI

09 h 55, le 20 septembre 2021

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Commentaires (2)

  • CONCLUSION ENCORE ET TOUJOURS LA MEME : LES CRAPULES AUX -2 - POUVOIRS, CELUI ADMINISTRATIF/GOUVERNEMENTAL & BIEN SUR CELUI DES CORRUPTEURS/DIVERS CARTELS SONT LES SEULS A NE PAS SUBIR LES "AFFRES" DE LA LOI NON APPLIQUEE. SEULS NOUS AUTRES EN SUPPORTONS LES SANCTIONS. MERCI AUX KELLON RESSOURCES,RAJEUNIS ,REVITALISES.

    Gaby SIOUFI

    09 h 55, le 20 septembre 2021

  • Question: les importateurs de médicaments, à l’instar des médecins et des pharmaciens, font-ils également le serment d’hypocrite?

    Gros Gnon

    06 h 18, le 20 septembre 2021

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