Un homme cagoulé montre ses muscles et tire avec sa mitraillette, de vieilles femmes jettent du riz, une dame portant un tchador récite un poème à la gloire de Hassan Nasrallah, tandis que des enfants jubilent en hissant les portraits du guide suprême iranien l’ayatollah Khamenei et du secrétaire général du Hezbollah. L’arrivée des 80 camions-citernes – avec une capacité totale de quatre millions de litres – en provenance du port syrien de Banias, transportant le premier chargement de mazout iranien, a provoqué hier des scènes de liesse à Baalbeck, région pauvre dominée par le Hezbollah qui, comble de l’ironie, est en première ligne de la contrebande de carburants en direction de la Syrie.
« Ce que je ressens est indescriptible. J’en pleure », s’exclame Nawal Fakhry, 55 ans, sans qu’aucune larme ne coule toutefois sur son visage. Elle est venue du Liban-Sud pour célébrer l’événement aux côtés de centaines de partisans du Hezbollah, déterminés à afficher leur reconnaissance envers la formation chiite. Si l’événement est loin d’être anodin pour le Hezbollah – Hassan Nasrallah en parle depuis des semaines –, le secrétaire général du parti avait appelé, la veille, à annuler les festivités. Le pétrole iranien censé briser le « blocus américain », selon la propagande du parti, n’est en effet pas entré par la grande porte sur le sol libanais. Le Hezbollah et son parrain iranien ont préféré éviter que le pétrolier n’accoste dans un port libanais, ce qui aurait pu entraîner des sanctions à l’encontre du Liban, et semblent avoir opté pour une certaine discrétion à l’heure de recevoir la première cargaison. Mais pour les plus fidèles partisans, l’heure était tout de même à la fête. « Nous avons affaibli les États-Unis. Le Sayyed a brisé leur puissance. Nous vivons là les meilleurs moments de notre vie », jubile Nawal Fakhry.
Pour « l’autoproclamé axe de la résistance », la livraison du pétrole iranien, soumis à des sanctions internationales, est une victoire géopolitique. La crise qui frappe le Liban de plein fouet est présentée par le parti comme la résultante d’une volonté américaine de briser ses ailes et celles de l’Iran. Dans un contexte où le Liban souffre d’une pénurie de carburants, le coup de communication n’est pas à négliger. Si les quantités sont limitées et ne devraient suffire à répondre aux besoins du Liban que pendant quelques jours, l’essentiel est ailleurs. Il s’agit pour le Hezbollah de prouver qu’il est plus fort que l’État libanais, qu’il peut se substituer à lui et venir en aide à ceux qui le soutiennent. « Je m’en fiche du mazout, j’en ai en stock. Ce qui compte, c’est que le Sayyed a fait taire ceux qui doutaient de lui. Ce mazout, c’est la résistance », affirme Khouloud qui s’est apprêtée pour l’occasion.
« C’est Nasrallah qui nous donne à manger »
À la mi-août, Hassan Nasrallah avait annoncé l’arrivée de plusieurs navires de carburant en provenance d’Iran. Le secrétaire général avait ensuite affirmé lundi que le chargement allait être offert, selon un ordre de priorité, « comme don aux hôpitaux gouvernementaux, maisons de retraite, orphelinats, institutions pour personnes à besoins spécifiques, infrastructures hydrauliques, municipalités pauvres ayant besoin de mazout pour pomper et distribuer de l’eau, aux pompiers et à la Défense civile, à la Croix-Rouge libanaise ». La deuxième partie sera vendue « à des prix adéquats… aux hôpitaux privés, aux usines de fabrication de médicaments et sérum, aux restaurants et boulangeries, coopératives agricoles, usines et infrastructures fournissant de l’électricité aux citoyens à partir de générateurs privés », avait-il ajouté.
Quelques heures avant l’arrivée du convoi, des pancartes et banderoles habillaient déjà les rues de Baalbeck, avec des messages comme « Nous te resterons fidèles », « Tu n’as qu’une parole », « Merci notre commandant » ou « Tu as mis fin à leur siège » (écrit en arabe et en... anglais), accompagnés d’une photo du Sayyed. Des drapeaux américains et israéliens jonchaient le sol. « C’est pour que les camions roulent dessus », dit un homme devant une petite foule qui scande « Mort à Israël ». Des enfants sont vêtus de jaune de la tête aux pieds. Certaines personnes se mettent soudainement à prier. « Nous devons faire cinq prières obligatoires, mais il faut en ajouter une pour le Sayyed », dit Khouloud, dont les paroles sont acclamées par un petit public. La femme d’une quarantaine d’années a manifesté au début lors du soulèvement de la rue du 17 octobre 2019. Mais « nous avons remarqué que la première exigence (des contestataires, NDLR) était de mettre dehors Nasrallah. Or, c’est Nasrallah qui nous nourrit et nous protège », poursuit-elle.
« Aucune personne ne votera contre le Hezbollah ici »
« On a d’abord distribué aux chrétiens. On aide tout le monde, même ceux qui ne nous aiment pas », affirme une adolescente, pas plus haute que trois pommes, mais qui a bien appris sa leçon, alors que le mazout n’a pas encore été déchargé. « Comme tu es mignonne », lance une dame qui l’encourage en lui tapotant la tête. La petite fille sourit à pleines dents, fière de la réaction des gens. « Ces enfants, ce que dit Nasrallah est inscrit dans leurs veines », affirme une autre dame qui attend le convoi avec impatience. À l’arrivée des camions, la foule exulte. « C’est le plus beau sentiment au monde », lance le chauffeur d’un de ces véhicules qui porte une plaque d’immatriculation syrienne.
Les camions se sont garés dans un champ près du rond-point Douris et attendent d’être déchargés pour enclencher la distribution, explique un membre de l’organisation qui se fait gronder par son coéquipier. Amana – qui contrôle un vaste réseau de stations d’essence au Liban, et qui est visé par des sanctions américaines depuis février 2020 – se chargera de la distribution. « Désormais, personne ne votera contre le Hezbollah ici », lance un chauffeur de taxi de la région qui pense que c’est le début de la fin du calvaire quotidien des Libanais.
Mais certains irréductibles ne sont pas dupes du jeu électoral du parti chiite. « Le Hezbollah essaye de regagner, avant les élections, la confiance qu’il a perdue. Il essaye d’affaiblir la rue car il y a une colère extrême dans la Békaa, et surtout venant de personnes proches du Hezbollah car les gens là-bas risquent littéralement la famine », affirme Jamal, un protestataire du soulèvement de la rue du 17 octobre.
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rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. notre carburant (sous subsides svp) est volé par voie de contrebande puis restitué en partie sous l'acclamation de la foule jaunâtre et à l'ombre mazouté des bannières des nabuchodonosors modernes. Résultat des courses, carburant payé deux fois avec commission double au passage pendant que l'ATM des déclarations étatiques compte les moutons: dessine-moi un baril de mazout stp.
Ayoub Elie
18 h 21, le 17 septembre 2021