Dans les cercles intérieurs du Hezbollah, les réunions se suivent et se ressemblent. Un seul sujet hante les principaux cadres du parti et il tourne autour d’une seule question : faut-il ou non s’investir encore plus dans les affaires libanaises ? Les avis divergent sur la question et les discussions vont bon train.
Ce parti qui ne craint pas les batailles, et qui selon ses détracteurs les cherche même, reste perplexe face à la complexité de la situation locale. Lui qui a été en Syrie se battre dans des régions qui ne sont pas les siennes et qu’il ne connaît pas vraiment aux côtés d’armées traditionnelles et de forces internationales (il a participé aux réunions militaires aux côtés de généraux russes, iraniens et syriens), tout comme il a contribué à former les factions du Hachd al-Chaabi en Irak et Ansarallah au Yémen, hésite aujourd’hui à s’impliquer dans la situation intérieure libanaise.
Pourtant, la crise sociale et économique a atteint des degrés tels que ses alliés, avant même ses détracteurs, sollicitent son intervention. Dans la plupart des milieux politiques et populaires, la question qui revient le plus souvent est la suivante : pourquoi le Hezbollah ne fait-il rien pour accélérer le processus de formation du gouvernement ? Elle est suivie d’une autre qui est formulée ainsi : le Hezbollah ne peut-il pas faire pression sur ses alliés (le Courant patriotique libre et le mouvement Amal) pour faciliter la formation du gouvernement ? En filigrane, il se dit notamment : pourquoi le Hezbollah qui se dit aussi puissant dans les batailles face aux Israéliens et aux jihadistes est-il si timoré sur le plan intérieur ?
Depuis que le secrétaire général du parti a annoncé l’arrivée de bateaux d’approvisionnement en carburants iraniens, les différentes parties libanaises ont estimé que le Hezbollah avait décidé d’intervenir dans les questions libanaises. Mais elles ont rapidement mesuré les limites de cet investissement, puisque jusqu’à présent, il n’a aucun impact sur le processus de formation du gouvernement ni sur la vie quotidienne des Libanais.
Que se passe-t-il donc dans les coulisses, auprès des preneurs de décision du Hezbollah ?
Les avis sont divisés sur cette question, apprend-on de sources bien informées. D’un côté, il y a ceux qui poussent le parti à s’impliquer dans la vie intérieure, d’une part parce que la situation est devenue intenable pour les Libanais et que la base populaire du parti commence à lui faire assumer la détérioration de son quotidien, et d’autre part parce que ses détracteurs aussi bien que ses alliés commencent à lui en vouloir de ne pas intervenir alors qu’il est le seul à pouvoir le faire de façon déterminante. Les partisans de cette opinion affirment que les détracteurs du parti lui font de toute façon assumer la responsabilité de la situation actuelle. Dans ce cas, s’il intervient pour résoudre certains conflits, cela ne peut qu’être en sa faveur, puisque dans tous les cas il est accusé d’imposer son hégémonie sur le pays.
Face à cette opinion, il y en a une autre qui prône la prudence. Pour les partisans de cette tendance, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui était à un moment très puissante dans l’ensemble du monde arabe, n’a commencé à perdre que lorsqu’elle a commencé à s’occuper des questions qui touchent à la gestion de la vie intérieure des Palestiniens et des pays d’accueil, notamment le Liban. Dès qu’elle a commencé à s’éloigner de la résistance armée pour s’installer dans les pays d’accueil, comme la Jordanie, la Syrie puis le Liban, et à s’impliquer dans la politique de ces pays, elle a perdu son aura de mouvement de résistance et elle a commencé à s’enliser dans les sables mouvants des affaires. Elle a été ainsi chassée de Jordanie, et était sévèrement encadrée en Syrie, alors qu’au Liban, elle a dressé contre elle une partie de la population et s’est laissé entraîner dans une guerre qui a abouti à un retrait sans gloire en 1982. Les plus anciens du Hezbollah racontent même qu’un jour le général vietnamien communiste Vo Nguyen Giap, considéré comme l’un des plus grands stratèges militaires du XXe siècle, était venu au Liban pour rencontrer les responsables de l’OLP, et lorsqu’il a vu le luxe dans lequel ils vivaient, il leur a dit : votre révolution ne peut pas gagner !
Certes, le Hezbollah ne peut pas être comparé à l’OLP. D’abord parce qu’il est formé de Libanais, et ensuite parce que ses responsables ne vivent pas dans le luxe. Hassan Nasrallah est très strict sur ce point et organise régulièrement des réunions avec les cadres pour leur rappeler qu’ils doivent être un modèle pour leur entourage. Mais l’importation de carburants, et avant cela de produits de consommation et de médicaments, même si elle se fait selon des règles rigoureuses, peut susciter des conflits avec les citoyens, les entreprises et les commerçants. De plus, les besoins sont tels que quoi qu’il fasse, le parti chiite ne pourra pas y répondre. Par conséquent, sa démarche visant à alléger les souffrances de la population risque de susciter le mécontentement et la colère de ceux qui n’en profiteront pas. Hassan Nasrallah a d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises que le Hezbollah ne peut pas remplacer l’État, mais cela pourrait ne pas suffire à calmer sa base populaire qui attend de lui des miracles. Si les risques sont aussi grands pour les questions sociales, que serait-ce si le Hezbollah venait à prendre parti en faveur de l’un ou l’autre de ses alliés et à se mêler ainsi de politique intérieure ?
Ceux qui veulent que le Hezbollah s’implique plus sérieusement répondent à ces réserves qu’en ne voulant pas se mêler du conflit entre Gebran Bassil et Sleiman Frangié, le Hezbollah prend le risque de perdre les deux. Et aujourd’hui, sa crédibilité est en jeu dans le conflit qui oppose le CPL à Amal... Plus il tarde à intervenir et plus la situation est appelée à s’envenimer...
Pour le Hezbollah, le dilemme est donc grand... et la décision revient à Hassan Nasrallah.
commentaires (15)
Conseiller au Hezbollah de ne pas faire comme l'OLP pour ne pas "perdre son aura" ! C'est dit !
Bassam Youssef
09 h 40, le 12 septembre 2021