Un mois à peine après le drame de Tleil au Akkar – une explosion d’un réservoir d’essence qui avait fait plus de 30 morts et 80 blessés, le 15 août dernier – et alors que l’affaire est presque close avec l’arrestation des principaux responsables de la tragédie, une polémique a secoué hier cette région délaissée du Liban-Nord. Dans une initiative très significative, le Hezbollah a distribué, via une délégation de cheikhs et d’élus de la région, la somme de 30 millions de livres à chacune des familles des tués, et 15 millions aux familles des blessés. L’initiative est inédite à bien des égards : ainsi, le Akkar, dont la population est en grande partie sunnite et en moindre partie chrétienne, est connu pour être un fief du courant du Futur (notamment sa population sunnite). Les autres partis présents sur la scène sont le Courant patriotique libre et les Forces libanaises, sans oublier des partis tels que le Parti syrien national social ou le Baas. Les partisans de l’axe de la résistance n’y sont pas inexistants, mais ainsi que l’ont montré les élections législatives de ces dernières décennies (jusque celles de 2018), la plus grande influence revient au Futur.
Il n’est pas étonnant donc que cette initiative « humanitaire » du parti chiite ait été vue comme une ingérence là où on ne l’attendait pas. À L’Orient-Le Jour, le cheikh Maher Abdelrazzak, qui a organisé avec les élus de cette partie du Akkar la tournée de distribution des aides aux familles, affirme que ce n’est absolument pas le cas. Selon ce religieux sunnite réputé proche de l’axe de la résistance et président du Mouvement de la réforme et de l’unité, « le Hezbollah voulait à tout prix éviter toute interprétation politique de son geste et a même empêché la chaîne al-Manar (qui relève de ce parti) de couvrir notre tournée, nous avons insisté à rendre cet événement public afin de lui rendre hommage ».
Interrogé sur l’origine de cette initiative, le cheikh souligne qu’elle a commencé avec « le message de condoléances du secrétaire général du Hezbollah aux parents des victimes dans l’un de ses discours, ainsi que sa promesse d’aides immédiates ».
Maher Abdelrazzak poursuit : « Nous avons donné suite à ces promesses et sommes entrés en contact avec le Hezbollah, en nous réunissant ainsi que les élus de la région avec son représentant à Jbeil. De la liste de noms dressée par les élus, le secrétaire général du Hezbollah n’a voulu excepter personne. Nous avons distribué donc l’aide aux Libanais, et dans un second temps nous allons le faire aux familles syriennes des victimes. »
Réagissant aux accusations d’ingérence dans une région acquise traditionnellement à d’autres partis, le cheikh rétorque : « Il s’est passé plus d’un mois depuis la tragédie et les partis supposés être influents dans la région n’ont pas seulement détourné le regard de la détresse des gens, mais ils n’ont même pas envoyé des délégations présenter leurs condoléances aux familles des défunts. Ni l’ancien Premier ministre Saad Hariri ni le mufti de la République Abdellatif Deriane ne se sont manifestés. Aujourd’hui, ceux qui critiquent le Hezbollah redoutent que son geste ait mis le doigt sur leur négligence. »
Une « tentative hypocrite d’ingérence »
Balayant tous ces arguments, l’ancien député Moustapha Allouche, vice-président du courant du Futur, traite l’initiative du Hezbollah de « tentative hypocrite d’ingérence dans une région qui n’est pas la sienne, en exploitant la peine et la misère des gens ». « Il faut que ceux-ci soient conscients de toute la dimension de l’affaire : après tout, le Hezbollah est l’une des principales causes de la dégradation économique et de la pénurie de carburants qui sont aux sources mêmes de cette tragédie. L’objectif de ce parti est de montrer un autre visage dans les régions sunnites, un visage charitable et souriant », poursuit-il, en réponse aux questions de L’OLJ.
Il estime aussi que l’argument suivant lequel le Hezbollah comblerait des lacunes de l’action du courant du Futur ne tient pas. « Ce courant a dépensé durant des décennies des centaines de millions de dollars dans le Akkar, assure-t-il. Et puis Saad Hariri a œuvré en vue de faire hospitaliser les blessés dans plusieurs pays de la région, est-ce que cela ne compte pas ? Ceux qui veulent oublier cela pour se laisser impressionner par quelques sous aujourd’hui, des sommes qui représentent à peine le salaire mensuel en dollars d’un combattant du Hezbollah, n’auront qu’à assumer leurs choix. »
Quel impact à long terme ?
Tous ceux qui veulent donner une dimension politique à cet épisode devraient en premier lieu prêter attention à l’attitude des principaux concernés eux-mêmes, à savoir les proches des victimes. Or ceux-ci, bien que traditionnellement d’un autre bord politique que le Hezbollah, ont unanimement accepté son offre. Abboud Merheb, président de la Fédération du Dreib central (la région où se trouve Tleil et les villages d’où sont issues les victimes dans le Akkar), assure même à L’Orient-Le Jour avoir été surpris par la chaleur avec laquelle les habitants ont accueilli cette initiative. « Ils auraient pu refuser l’argent, mais ils l’ont accepté de bon cœur, précise-t-il. Bien plus, ils ont insisté à remercier Hassan Nasrallah et à lui demander de veiller à ce que l’enquête éclaircisse toute la vérité. »
L’élu fait remarquer que cette initiative, bien que provenant d’un parti politique, était « inconditionnelle », soulignant que la distribution a été confiée à des habitants de la région exclusivement et « qu’aucune délégation du Hezbollah n’a été envoyée sur place ».
Alors cette initiative serait-elle le signe que les habitants du Akkar s’éloignent du courant du Futur et de leurs partis traditionnels ? « Il est clair que telle est l’intention du Hezbollah et que certains pourraient se laisser séduire par l’argent, répond Moustapha Allouche. Et il est évident que le Hezbollah exploite une faiblesse actuelle du Futur pour s’immiscer dans une région qui ne lui était pas acquise auparavant. Mais pourquoi encenser son action aujourd’hui et blâmer le Futur ? Est-ce aux partis politiques de distribuer de l’argent aux nécessiteux ou est-ce le rôle de l’État d’assurer le développement ? Le courant du Futur a financé de nombreuses institutions au Akkar dans le passé et, avec le recul, je trouve que cela était faux. C’est aux institutions publiques de s’en charger. »
En effet où est l’État dans tout cela? Autant le cheikh Abdelrazzak que Abboud Merheb ricanent à l’évocation du grand absent : « Cela fait quatorze jours que nous sommes sans eau ni électricité. Nous attendions des citernes de carburant, elles nous ont été subtilisées par des contrebandiers sous le nez des forces de l’ordre. Nous ne nous sentons plus en sécurité », raconte le président de la fédération.À quelles sortes de transformations peut-on s’attendre dans un Akkar limitrophe, ballotté entre misère et insécurité ? L’initiative du Hezbollah est venue rendre un peu plus opaque un paysage déjà obscurci par une foule d’incertitudes.
commentaires (12)
Lábsence de l'etat libanais est une honte. Non mais que fait ce president beat qui n óuvre la bouche que pour des betises?
IMB a SPO
19 h 34, le 08 septembre 2021