Samir Geagea n’a en aucun cas à s’excuser de l’accession de Michel Aoun à la présidence de la République. Déplorer, tout juste, ce qu’il a fini par faire.
Pour qu’il s’excuse, il faudrait :
Qu’Amine Gemayel s’excuse d’avoir remis à Aoun les clés du palais et du pouvoir, lui qui connaissait mieux que quiconque ses penchants totalitaires et ses accès psychotiques.
Que les milliers de simplets de la première heure qui se sont rués au « palais du Peuple » pour lui monter la tête plus encore qu’elle ne l’était et jeter à ses pieds argent, bagues et autres bijoux s’excusent d’avoir créé le mythe destructeur qu’est devenu Michel Aoun.
Que les têtes pensantes (diaboliques ?) de l’alliance quadripartite de 2005, Walid Joumblatt et Saad Hariri, s’excusent d’avoir favorisé le tsunami orange, permettant ainsi à Aoun de rafler plus de 75 % des voix chrétiennes.
Que les dizaines de milliers de chrétiens qui ont voté pour lui en 2009 et en 2018 – lui donnant ainsi le plus grand bloc parlementaire – s’excusent de lui avoir redonné confiance, surtout après qu’il a vendu son âme au diable par l’accord faustien de Mar Mikhaël avec l’occupant iranien, et après son échec flagrant dans pratiquement tous les ministères occupés par ses sbires et la systématisation du clientélisme et de la corruption.
Que les anciens quatorze-marsistes Walid Joumblatt et Saad Hariri en tête (encore eux) s’excusent de n’avoir jamais voulu vraiment soutenir Samir Geagea, le seul à pouvoir concurrencer Michel Aoun au leadership chrétien ; et d’avoir profité d’une loi électorale obsolète et inéquitable pour garder pour eux tous les élus chrétiens de leurs régions (partout où ils ont un poids électoral) pour pouvoir prétendre ainsi être des leaders nationaux alors qu’ils ne sont que des leaders communautaires (petites batailles égoïstes et infertiles).
En face, le Hezbollah, qui ne s’intéresse stratégiquement – et intelligemment d’ailleurs – qu’à la grande bataille a tout fait pour gonfler à fond le bloc du Général, en réussissant pour un temps à y caser même des durs à cuire comme Sleiman Frangié et Michel Murr, pour en faire LE leader chrétien indiscutable et donc présidentiable par excellence.
Que les néo-thawrajieh s’excusent d’avoir accepté de faire partie de la liste électorale de Michel Aoun (en réussissant ou pas à se faire élire) et d’avoir contribué ainsi à gonfler davantage sa base populaire.
Que les journalistes, personnalités ou partis politiques (je pense surtout aux Kataëb, à Farès Souaid, à Nawfal Daou et à d’autres encore) qui prétendent en vouloir à mort à Samir Geagea d’avoir facilité l’élection de Michel Aoun, qui se veulent indépendantistes, révolutionnaires et réformateurs, s’excusent de n’avoir malheureusement toujours pas compris qu’on ne pourra en finir avec le aounisme létal qu’en serrant les rangs autour des FL.
Et que et que et que…
Ensuite, peut-être, Samir Geagea s’excusera.
Après deux ans et demi de blocage et de vide présidentiel suffocant, avec les rapports de force qui existaient alors (cohésion infaillible du clan du 8 Mars face à l’éclatement de celui du 14 ; montée en force de l’Iran en Syrie et dans la région devant l’hésitation et les réticences de Barack Obama ; contacts en coulisses de Saad Hariri tantôt avec Gebran Bassil et tantôt avec Sleiman Frangié ; transactions sous la table de Nader Hariri et Gebran Bassil ; forcing international pour l’élection d’un président – il ne faut pas oublier l’appel téléphonique de plus de dix minutes de François Hollande avec Sleiman Frangié suite à la visite de Saad Hariri à l’Élysée – etc.), il ne fallait pas se leurrer : seuls Aoun et Frangié pouvaient prétendre à la présidence.
Et le second n’aurait pas fait mieux que le premier.
Nous aurions pris le même ascenseur pour l’enfer, avec un liftier toutefois différent.
Michel Aoun, son gendre et toute leur horde auraient crié haro à l’usurpateur et auraient, populistes de l’extrême, profité de l’aubaine pour gonfler davantage leur base populaire et finir inévitablement cette fois par trôner sur le fauteuil présidentiel.
Samir Geagea a finalement pris la bonne décision, « là où les autres n’osent pas » (parce qu’ils sont juste médiocres et impuissants).
La majorité des chrétiens voulaient Michel Aoun à la présidence, et ils l’ont eu.
Soit il prouve qu’il est vraiment l’homme d’État rêvé du changement et de la réforme qu’il prétend avoir toujours été (et tout le monde n’en sera que ravi), soit on en finit une fois pour toutes avec cet homme, son gendre, leur clique et leur mythe (et tout le monde, ou presque, n’en sera que ravi).
Et parce que finalement « ne vous gouvernent que ceux que vous avez élus », rendez-vous en mai prochain pour voir si on (les vrais quatorze-marsistes, l’électorat chrétien en général, les Kataëb, les indépendants, les hirakis les moins idiots, etc.) aura finalement appris quelque chose de cette excursion vers l’enfer.
Parce que sinon, là aussi, Samir Geagea sera le dernier à s’excuser.
À moins qu’on ne lui doive des excuses.
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commentaires (5)
Très bonne analyse, bien expliquée, avec les points sur les i, mettant chacun face à ses responsabilités, sans nier les faits ni en occultant les hésitations des uns et des autres. Que dire de plus ? la messe est dite et plus personne ne peut plus rien y faire. A part passer à l’acte dans l’isoloir pour élire des députés nouveaux, qui nous donneront un vrai Président digne de Camille Chamoun, Fouad Chehab et le Martyr Bachir Gémayel ! Que Dieu sauve le Liban.
Le Point du Jour.
10 h 55, le 11 septembre 2021