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Nos Lecteurs ont la Parole

La ruse et la décadence du réductionnisme confessionnel

« Ô combien d’actions, combien d’exploits célèbres sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres » (Pierre Corneille)

L’ultime recours réductionniste habituel au facteur confessionnel pour expliquer et justifier les multiples crises qui sévissent dans le pays est une ancienne pratique fallacieuse mais pourtant très influente entre les mains des dirigeants. Les bénéfices politiques, que ceux-ci en tirent, sont toujours accompagnés d’une paralysie accablante de la justice, d’un affaiblissement plus grave des institutions de l’État et d’une alimentation du sentiment confessionnel irrationnel. Pire encore, cette pratique empêche la complexité des relations sociales des Libanais de produire une classe politique reflétant sa réalité loin de tout réductionnisme. À l’approche de l’échéance électorale législative, cette pratique réductionniste se verra exacerbée encore davantage et ses prémices assez machinales se manifestent dans la crise gouvernementale. C’est ainsi que nous participons à une généralisation intentionnée des représentations stéréotypées de la « confession adversaire », qui pourraient rapidement mener à des préjugés dans les milieux de la « confession résistante et juste ». Ces représentations simplifiées et dangereuses créent une ambiance favorable à la propagation d’un discours agressif dévalorisant les adversaires. Ils sont désormais perçus comme un groupe qui revêt une couleur confessionnelle. Une fois que les sentiments de la peur, le soupçon et le mépris de l’autre sont ancrés, les dirigeants se présentent alors comme étant les « défenseurs farouches et honnêtes » des droits de leur confession, galvanisant leurs partisans en lançant des slogans forts, quoique vides de sens, pour les persuader que leurs sacrifices sont les pierres angulaires dans la construction d’un pays qui préserve leurs droits et leur dignité. Cette exacerbation, à bon escient du climat confessionnel, ouvre fatalement un autre front, intérieur cette fois-ci, à savoir la concurrence entre les leaders de la même confession pour monopoliser sa représentation. Chaque politicien se présente comme étant le plus habilité, le plus compétent et le plus fort pour accomplir la tâche. En revanche, la valeur construite par les relations interpersonnelles et interconfessionnelles qui composent la réalité complexe sera estompée au profit de ce réductionnisme simplificateur et dangereux.

La réalité sociale complexe, qui se fonde majoritairement sur des relations individuelles dans des cadres humain, culturel, commercial, professionnel, syndical, constitue une difficulté car elle ne peut se traduire en des mouvements politiques ayant des bases populaires assez solides. Le temps aussi est indispensable pour cumuler les expériences et les transformer en des programmes ou projets nationaux, politiques et économiques fiables. À l’époque de la tutelle syrienne, aucune possibilité d’une transformation pareille n’était possible. À la suite de cette tutelle, le réductionnisme confessionnel s’impose régulièrement et affaiblit constamment le processus de ce cumul souhaité. Or la réalité libanaise est complexe et les essais d’analyse de cette complexité, pour la renforcer et la traduire en mouvements politiques, est le seul moyen pour dévoiler la ruse du réductionnisme en cours et tout ce qu’il cache comme népotisme, corruption et crimes.

Le réductionnisme confessionnel fonctionne d’une manière semblable à la pensée totalitaire, mais tout en s’appuyant sur un arrière-plan religieux que l’on peut qualifier « d’amputé ». Cela néglige en fait la dimension spirituelle, humaine et morale universelle et sublime de la religion pour favoriser certaines expériences historiques et certains aspects culturels, rituels et doctrinaux qui divisent le monde entre le groupe qui détient la pleine vérité – au nom de Dieu – et les autres qui ignorent la vérité ou qui la refusent. Une fois que cette vision dualiste s’installe au sein de la société, celle-ci prend la forme d’un rassemblement de « nous » et d’« eux » ; du coup, une coexistence peut en surgir, mais nullement une fusion nationale.

À partir de cet arrière-fond simplifié et fort familier dans les sociétés traditionnelles, le réductionnisme confessionnel paraît, en même temps, avoir une logique très convaincante et effrayante en raison de sa base « sacrée ». Il se dit capable de donner sens à tout ce que la confession vit et de décider de ses intérêts. Pour la même raison, il tend à promouvoir une vision manichéenne des crises internes et mêmes régionales, plaçant les justes dans un camp et les méchants dans un camp opposé tout en renforçant le rôle des leaders politiques confessionnels. Mais le résultat est insidieux. Les partisans de ces leaders perdent la liberté de pensée, en particulier la pensée critique, et s’écartent de la réalité complexe qui dépasse de loin le réductionnisme confessionnel et son exploitation de l’arrière-fond religieux simplifié. L’espoir est grand dans l’intelligence de la jeunesse libanaise et dans son aspiration pour une unité nationale et une démocratie réelle.

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« Ô combien d’actions, combien d’exploits célèbres sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres » (Pierre Corneille)L’ultime recours réductionniste habituel au facteur confessionnel pour expliquer et justifier les multiples crises qui sévissent dans le pays est une ancienne pratique fallacieuse mais pourtant très influente entre les mains des dirigeants. Les...

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