Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Résister encore ou partir ?

Le 22 juin 1940, les Français se trouvaient confrontés, pour une énième fois, à une guerre cruelle avec tout ce que cela implique comme tueries, appauvrissement, famine, corruption et collaboration. Leur pays fut envahi par l’Allemagne nazie et un gouvernement installé à Vichy assurait la couverture politique à l’occupant, tout en exécutant pour son compte les tâches les plus abjectes.

Pour les vétérans de 1914-1918, comme pour les plus jeunes, deux visions s’offraient à eux. Deux choix pour leur avenir, deux philosophies de la vie, de la patrie, de l’héritage et de l’appartenance. Lassés d’avoir eu à affronter les Allemands à deux reprises en 1870 et en 1914-18, sans compter les longs siècles de guerres interminables et de famines, tantôt avec les Germains, tantôt avec l’Angleterre, ils pouvaient décider de jeter l’éponge. Ils pouvaient perdre espoir et se dire que leurs parents avaient déjà assez sacrifié et que la position de la France entre ses deux puissances voisines ne permettrait jamais l’édification d’une nation en paix. Ils pouvaient considérer qu’ils avaient assez donné et qu’on ne vit qu’une seule fois et qu’il fallait assurer l’avenir de leurs enfants. Ils pouvaient donc simplement partir, car cela n’avait que trop duré, surtout après les millions de morts et de mutilés de la Grande Guerre. L’horreur devait se terminer et la vie devait reprendre sous des ciels plus cléments.

Mais les Français ont eu une autre approche. Ils firent le choix de se battre contre la plus grande puissance de l’époque. Ils se sont battus presque nus, dépourvus de leur État, de leur armée, de leurs armes et souvent considérés comme des terroristes et des hors-la-loi par leur propre gouvernement. Ils n’avaient aucune garantie d’une intervention alliée. Ils se sont battus contre le destin et contre le fait accompli. Ils ont changé la réalité, sauvé leur pays et leur héritage, et ont même transformé l’Europe et l’Allemagne.

Un autre exemple de résistance face à un ennemi démesuré est celui du Timor Oriental. Un petit pays de 10 400 km2, couvrant tout juste la moitié d’une des 13 466 îles d’Indonésie, et peuplé d’à peine 1,3 million d’habitants. Envahi en 1975 par l’Indonésie forte de ses 270 millions d’habitants, ce petit pays y laissa entre 150 000 et 200 000 morts. Mais malgré son désavantage démographique et territorial, il ne baissa jamais les bras. Près de 1,3 million contre 270 millions, cela frôlait le ridicule, et pouvait aisément pousser les Timorais à choisir entre la soumission et l’émigration. Mais leur résistance continue contre vents et marées, et leurs interventions ininterrompues sur la scène internationale leur valurent enfin leur indépendance en 2002. Il leur fallut aussi le courage d’oser la division de leur île pour se garantir la stabilité à travers l’homogénéité religieuse et culturelle.

Parler aujourd’hui de résistance au Liban choque les bien-pensants. Surtout lorsqu’ils s’imaginent qu’il est fait allusion à une version armée. Bien qu’il n’y ait aucune honte à vouloir porter les armes pour défendre sa patrie, comme l’ont fait nos aînés avant nous, cette forme de résistance est loin d’être la seule.

Ces derniers jours, nous avons pu assister à des initiatives hautement louables de la part d’institutions privées et surtout religieuses. L’Église a repris son rôle qu’elle avait toujours assumé durant des siècles lorsque notre pays ne disposait pas d’État. L’Université Saint-Esprit de Kaslik a fixé les frais de scolarité au taux du dollar à 1515 LL tout en payant ses enseignants partiellement en « fresh » dollars. Il est évident que cela prend dès lors le caractère de mission, de lutte, de résistance. L’Ordre libanais maronite compense lui-même les déficits par ses propres moyens et par ses relations en Europe, avec la diaspora et la communauté chrétienne occidentale. Une autre initiative pleine de mérite est celle de l’hôpital des sœurs du Rosaire qui assure les opérations totalement gratuites à toute personne dépourvue de couverture sociale. Là aussi, cet effort humanitaire est rendu possible grâce au soutien de l’ONG française, la « Chaîne de l’Espoir ».

Résister c’est donc aider les Libanais à rester. Car dans quelques années, lorsque cette terrible crise sera terminée, nous devrons être encore là pour reconstruire notre pays. La résistance ne se fait pas toujours par les armes. Elle est tout ce qu’on accomplit lorsqu’on ne fait pas ses valises. Elle consiste à rester et à se battre pour la mémoire de ceux qui sont tombés et pour ceux qui se sont sacrifiés avant nous, pour ceux qui ont été obligés de partir pour soutenir leurs proches au pays, pour les étudiants et les jeunes qui ne rêvent que de pouvoir revenir.

Nous résistons chaque fois que nous endurons les files d’attentes interminables pour du pain ou pour de l’essence. Nous résistons chaque fois que nous inventons des méthodes inimaginables pour faire fonctionner nos institutions, nos établissements hospitaliers et culturels, nos quartiers et nos villages. Tout cela est injuste et dur, parfois révoltant et désespérant. Mais un pays n’est jamais un acquis, un cadeau fait par une puissance mandataire ou coloniale. Un pays ça se mérite. Et les sacrifices du passé ne nous dispensent nullement du combat du présent et des efforts permanents.

Pour tous ceux qui s’en vont en étalant leur fierté sur les réseaux sociaux et en crachant leur déception sur un Liban moribond, de grâce, partez dignement et en silence. Et laissez-nous célébrer nos martyrs et résister encore pour sauvegarder ce que vous considérez être vain et dépassé. Et surtout rappelez-vous toujours que toutes ces nations vers lesquelles vous partez sont les terres libres de ceux qui se sont battus durant des siècles pour mériter d’avoir aujourd’hui un pays.

Dr Amine Jules ISKANDAR

Union syriaque maronite –

Tur Levnon

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Le 22 juin 1940, les Français se trouvaient confrontés, pour une énième fois, à une guerre cruelle avec tout ce que cela implique comme tueries, appauvrissement, famine, corruption et collaboration. Leur pays fut envahi par l’Allemagne nazie et un gouvernement installé à Vichy assurait la couverture politique à l’occupant, tout en exécutant pour son compte les tâches les plus...

commentaires (1)

surtout que, au Liban,faire de la resistance equivaudrait assurement a une/des guerres civiles .

Gaby SIOUFI

10 h 26, le 06 septembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • surtout que, au Liban,faire de la resistance equivaudrait assurement a une/des guerres civiles .

    Gaby SIOUFI

    10 h 26, le 06 septembre 2021

Retour en haut