La comparaison s’impose : on disait que l’Irak se libanisait en référence à l’effritement progressif de ce pays après la chute de son dictateur Saddam Hussein en 2003 et l’internationalisation de son conflit, un schéma similaire à celui qui a prévalu durant la guerre civile libanaise. Plus récemment, c’est le rapprochement inverse que les analystes effectuaient : alors que le Liban plongeait dans la guerre des axes qui reprenait le dessus sur son territoire, on évoquait son irakisation. Sauf que l’Irak a décidé de se prendre en main et d’inverser son sort contrairement au Liban.
Samedi dernier, c’est un sommet d’envergure internationale organisé à l’initiative du Premier ministre irakien, Moustapha Kazimi, qui s’est tenu à Bagdad. S’imposant comme un État rassembleur, l’Irak a accueilli des acteurs politiquement aux antipodes les uns des autres, en invitant l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, l’Iran, la Turquie, l’Égypte, la Jordanie et la France. Une manière d’envoyer un message clair sur sa volonté de s’extirper progressivement de la polarisation et plus particulièrement de l’emprise iranienne. Ou du moins de se repositionner – par le biais d’une diplomatie audacieuse – comme acteur régional influent qui a son mot à dire dans les conflits qui minent la région.
Une attitude pro-active qui s’inscrit à l’opposé de ce qu’est devenue la diplomatie libanaise, ou le Liban officiel tout court. L’initiative irakienne a rendu aujourd’hui caduque toute possibilité d’établir un parallèle entre les deux pays. Non seulement le Liban n’a pas été invité à ce sommet, mais la crise libanaise n’y a même pas été évoquée, comme le précise à L’Orient-Le Jour un haut responsable arabe. C’est dire à quel point le pays a perdu toute crédibilité aux yeux de la communauté arabe et internationale, à cause de ses responsables qui ne perçoivent de solution à la crise dans laquelle le pays ne fait que s’enliser qu’à travers le prisme de leurs intérêts personnels et partisans.
« Les diplomates étrangers n’arrivent pas à comprendre le niveau d’absurdité auquel est parvenue la crise libanaise et comment il est géré. Ils n’ont plus aucun respect pour l’establishment politique local », confie un ancien responsable politique libanais en contact permanent avec les représentants diplomatiques à Beyrouth. Le jour même de la tenue des assises de Bagdad, le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, a déclaré dans un tweet que « les Libanais espèrent que le Liban suscitera l’attention (des dirigeants présents) lors de ce sommet », reconnaissant ainsi le retour en force de l’Irak sur la scène arabe. La veille, il avait lancé un appel presque désespéré aux pays membres de la Ligue arabe à intervenir pour aider le Liban, s’engageant à œuvrer d’arrache-pied pour que ce pays puisse observer une distanciation par rapport aux conflits externes. Autant de vœux pieux aussitôt court-circuités par les propos tenus deux jours après le sommet par le porte-parole de la diplomatie iranienne, Saïd Khatibzadeh, et qui peuvent démontrer à quel point l’État libanais a renoncé à l’une de ses principales fonctions régaliennes, sa politique étrangère.
« Le peuple libanais a uniquement besoin que certains États arrêtent de politiser toutes ses affaires et laissent les Libanais assurer leurs besoins par eux-mêmes », a déclaré Saïd Khatibzadeh. Il commentait l’expédition au Liban de pétrole iranien, annoncée dernièrement par le Hezbollah, alors que les autorités libanaises se gardent de commenter cette affaire, pourtant largement évoquée par le Hezbollah, Téhéran et Washington. Le responsable iranien a aussi fait valoir « le droit » de l’Iran de vendre du carburant à tout pays prêt à en acheter. Une attitude que certains ont considérée comme une ingérence flagrante dans les affaires internes libanaises, d’autant que le responsable iranien s’est arrogé le droit de parler au nom des Libanais, comme le notent certains observateurs.
Plus que jamais, le Liban est apparu comme un État failli et un État paria qui semble avoir abandonné son sort, livré à une puissance tierce. Alors que l’Irak, lui, cherche à renouer avec son environnement arabe et à réaffirmer son identité.
« Bien que le gouvernement irakien continue d’avoir une certaine allégeance pro-iranienne, force est de constater qu’il s’est récemment démarqué par une prise de distance par rapport à Téhéran », souligne Michel de Chadarévian, un ancien cadre aouniste jadis responsable des relations diplomatiques au Courant patriotique libre, de 2005 à 2020.
Alors que le principe de la distanciation, officiellement consacré sous le mandat de Michel Sleiman en 2013, a constitué des années durant un principe directeur, du moins en théorie, pour les gouvernements libanais qui se sont succédé depuis, c’est aujourd’hui l’Irak qui s’en saisit pour s’épargner les démons d’un alignement sur l’un ou l’autre des axes en présence.
« Le nouveau Premier ministre irakien tente aujourd’hui, en coopération avec le président Barham Saleh, de restituer à l’Irak sa place sur l’échiquier géopolitique. Tout comme ils ont avalisé le retrait des Américains, ils reviennent aujourd’hui à la charge pour affirmer haut et fort que l’Irak ne veut être gouverné que par les Irakiens », note Ziad el-Sayegh, directeur exécutif du Civic Hub et expert en politiques publiques.
Les relations diplomatiques entre l’Irak et l’Égypte, notamment, n’ont d’ailleurs pas cessé de s’améliorer ces dernières années.
Lors d’un sommet tripartite, qui a réuni le 28 juin dernier à Bagdad l’Égypte, la Jordanie et l’Irak, les trois pays se sont entendus pour renforcer leur coopération, tant au niveau de la sécurité que de l’économie. C’était la première visite d’un chef d’État égyptien dans le pays en trois décennies.
Le plus édifiant est que le soulèvement populaire libanais du 17 octobre 2019 a presque coïncidé avec celui de l’Irak. Bagdad avait fini par trouver un compromis en désignant Moustapha Kazimi à la tête du gouvernement – une personnalité approuvée par les États arabes, les États-Unis et l’Iran. Pris dans l’engrenage des dissensions régionales et internationales comme jamais auparavant, le Liban, lui, ne parvient toujours pas à mettre sur pied un gouvernement.
Alors que les mouvements de rue nés dans le sillage du 17 octobre continuent de réclamer à cor et à cri la formation d’un gouvernement composé d’indépendants non soumis au Hezbollah et aux forces politiques de manière générale, le Liban semble avoir opté pour le modèle syrien et s’accommode de la tutelle iranienne.
« Le Liban a pratiquement démontré qu’il est désormais un pays sous occupation (iranienne) », dit Ziad el-Sayegh, en reprenant des propos prononcés par le patriarche maronite, Béchara Raï. « Nous ne sommes pas uniquement devant une carence en politique étrangère mais devant un effondrement total de l’État », conclut l’expert.
commentaires (6)
"… Pour le Liban, des leçons à tirer de la diplomatie irakienne …" - deux leçons à tirer: (1) Iran = Iznogoud, et (2) GB y’en a pas devenir calife à la place du calife…
Gros Gnon
13 h 37, le 03 septembre 2021