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Nos Lecteurs ont la Parole

Les confessions au Liban : pluralisme ou diversité ?

Au Liban, comme dans de nombreux pays du Moyen-Orient, les mythes courants de l’omniprésence religieuse et du multiconfessionnalisme donnent une image chimérique d’un peuple vivant en harmonie et s’acceptant mutuellement, un peuple qui se complaît dans l’illusion d’avoir trouvé le remède aux blessures que la guerre civile a causées. Or cette image est non seulement trompeuse, mais constitue également une représentation pleine d’hallucinations d’une situation en détérioration, catalysée par une multicrise économique, politique et sociale.

Avant de nous demander si la société libanaise est une société fondée sur la diversité ou sur le pluralisme, il est important de commencer par distinguer les deux notions. En effet, le pluralisme est défini comme étant la coexistence de différents groupes dans une même société, il s’agit d’une situation créée par l’écosystème naturel. Alors que la diversité compte précisément l’acceptation de l’autre, la vie en groupe et le respect de la liberté de croyance ; elle repose fondamentalement sur l’éducation et l’effort des citoyens.

Historiquement, tout conflit ayant surgi au Liban a été promptement transformé en conflit religieux. L’histoire des guerres intrinsèquement liées aux confessions au Liban est une histoire longue et interminable, elle date des Tanzimat ottomanes de 1840, connaît une prospérité durant le mandant français, mais ne tarde pas à ressurgir en 1975.

À la suite de la guerre civile, la conclusion de l’accord du Taëf a été une tentative de rectification du système politique antérieur. Or l’oubli à l’époque résidait dans la présence d’un peuple qu’il est nécessaire d’affermir et de consolider, des citoyens qui, en l’absence de justice transitionnelle, auront toujours peur de l’autre et resteront de simples pions que l’on bouge afin de poinçonner des points au détriment de leurs adversaires.

Les événements de la première semaine d’août constituent l’exemple-type de tout ce qui va mal au Liban : un conflit purement sécuritaire, légal et culturel converti en tension religieuse.

En effet, le dimanche 1er août 2021, au moins deux personnes ont été tuées au sud de la capitale libanaise lorsque des hommes armés ont ouvert le feu sur les participants aux funérailles d’un commandant du Hezbollah tué la veille. Les médias ont rapporté qu’un homme de l’une des tribus arabes sunnites de Khaldé avait ouvert le feu lors d’un mariage, le samedi soir, tuant Ali Chebli, un combattant du Hezbollah.

La situation est restée tendue bien que le tueur de Chebli ait été appréhendé et que sa famille ait justifié l’attaque comme une vengeance de la mort de son frère de 15 ans lors d’une fusillade un an plus tôt. Le conflit a été présenté comme une violence enracinée dans une vendetta personnelle et dont la réelle cause est l’impunité du tueur de l’enfant – depuis l’année passée – mais aussi la faiblesse de la justice au Liban et la déficience des Forces de sécurité libanaise dans les affaires liées à des militants armés dont la puissance excède celle de l’État. Cependant, le conflit comme toujours a fini par se transformer en tension religieuse sunnite-chiite, rappelant le conflit sectaire déclenché l’année dernière suite à une altercation sur une bannière religieuse chiite qui a été hissée dans la région des tribus arabes sunnites.

Moins d’une semaine plus tard, le 6 août 2021, des membres du Hezbollah ont tiré 19 roquettes du sud du Liban vers des avant-postes militaires israéliens à la frontière entre les deux pays. Des vidéos montrent qu’un camion a été bloqué par des habitants du village de Hasbaya, au sud du Liban, après la fusillade. Cependant, reportant cela, les médias ne se sont pas contentés de constater la peur des habitants et leur sentiment de manque de sécurité et de représailles, mais il a fallu ajouter l’adjectif et la précision « druzes », en parlant des habitants de Hasbaya.

L’histoire ne se termine pas là : l’analyse de la situation ne tarde pas à la présenter comme une scène opposant druzes et chiites, et le conflit en conflit sectaire, conduisant à l’assaut visant des vendeurs druzes de légumes à Saïda, comme acte de représailles contre les villageois de Hasbaya qui furent perçus comme des « druzes » attaquant des chiites et non de simples villageois craignant la guerre. Cela a ouvert la voie à une chaîne de violences dans les régions libanaises, amenant, à leur tour, les druzes de Aley à prendre en embuscade les bus passant dans la région vers la Békaa, du fait que ces bus transportent des chiites.

Tout cela pour dire que même si nous voulons toujours croire que le Liban est un pays où les habitants vivent dans un climat de diversité, en réalité, le pays est l’exemple-type du pluralisme. Nous vivons ensemble parce que nous sommes obligés de coexister.

Les discussions sur le fédéralisme sont plus que jamais récurrentes… mais est-ce vraiment la solution ?

La révolution du 17 octobre ainsi que la nouvelle génération de jeunes appellent plus que jamais à la coexistence, plus précisément la diversité, et à la suppression des anciennes frontières de la guerre, ancrées dans la mémoire de nos parents.

Or en l’absence de justice transitionnelle, d’unification de l’histoire récente du Liban et la reconnaissance des erreurs et des crimes commis par chaque parti durant la guerre civile, nous n’y arriverons jamais. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une période extrêmement critique et sensible, les Libanais sont en rage et ont perdu tout grain de patience.

Le récit le plus simple pour les distraire des fondements des problèmes auxquels fait face le pays, du manque de justice au manque de sécurité, en passant par la corruption, est malheureusement le récit confessionnel.

Finalement, nous sommes à la veille d’élections, et ce récit confessionnel doit être supprimé. L’explosion de Beyrouth, la faim, la pauvreté, le chômage, l’obstruction de la justice, la dévaluation de la livre libanaise et les fonds gelés dans les banques sont des problèmes primordiaux qui peuvent difficilement être transformés en problèmes sectaires, et constituent l’issue de secours afin de se débarrasser de la cécité et de dévoiler une vérité, loin de la réalité confessionnelle.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Au Liban, comme dans de nombreux pays du Moyen-Orient, les mythes courants de l’omniprésence religieuse et du multiconfessionnalisme donnent une image chimérique d’un peuple vivant en harmonie et s’acceptant mutuellement, un peuple qui se complaît dans l’illusion d’avoir trouvé le remède aux blessures que la guerre civile a causées. Or cette image est non seulement...

commentaires (1)

tres juste, ce systeme confessionnel a detruit le Liban et le Levant tout entier.

Alexandre Choueiri

18 h 28, le 07 septembre 2021

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Commentaires (1)

  • tres juste, ce systeme confessionnel a detruit le Liban et le Levant tout entier.

    Alexandre Choueiri

    18 h 28, le 07 septembre 2021

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