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Société - Crise

Face à la pénurie de carburants, quel rôle pour l’armée ?

La troupe intervient, depuis le 14 août, pour tenter de réguler l’approvisionnement minimal dans un contexte très tendu, mais des questions persistent sur sa capacité à contrôler la contrebande.

Face à la pénurie de carburants, quel rôle pour l’armée ?

Des soldats déployés dans une station-service de Beyrouth, le 14 août 2021, après avoir ordonné sa réouverture. Anwar Amro/AFP

Le Liban vit, depuis des mois, une pénurie de carburants sans précédent, entraînant un effet domino dévastateur qui touche tous les pans de l’économie.

Le 14 août, quelques heures seulement avant l’explosion meurtrière d’une citerne à Tleil, dans le Akkar, l’armée annonçait, dans un communiqué, qu’elle allait se déployer pour forcer certaines stations-service à ouvrir afin que les automobilistes, désespérés et excédés au bout d’heures et d’heures d’attente, puissent faire le plein. Dans certaines stations, l’on pouvait alors voir des soldats en uniforme aider les pompistes à remplir le réservoir d’automobilistes pour accélérer l’approvisionnement. Le lendemain, le Conseil supérieur de défense, présidé par le chef de l’État Michel Aoun, chargeait officiellement les forces de sécurité et l’armée de « surveiller » pendant un mois la distribution des carburants dans le pays.

Cette nouvelle mission, attribuée à l’armée, ne se passe pas toujours sans heurts. Dans certaines régions, notamment au Liban-Nord et dans la Békaa, de nombreux incidents ont opposé les forces de l’ordre et l’armée à des habitants ayant détournée, par la force, des camions-citernes, les obligeant à décharger le carburant dans des stations de leur choix. Jeudi dernier, un convoi de Hummer militarisés de l’armée a dû sécuriser un approvisionnement d’essence dans le Akkar. Un véritable convoi qui a donné lieu à des images impressionnantes. La mission de l’armée est d’autant plus compliquée que dans ce contexte de grave pénurie, les incidents se multiplient dans les stations-service et dégénèrent parfois en violences armées qui font des blessés, voire des morts.

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Au-delà des services de sécurisation des points d’approvisionnement, la troupe est également engagée dans des missions visant à inspecter l’état des stocks des stations-service ou à saisir des cargaisons de carburants stockées illégalement et destinées à la contrebande ou au marché noir interne. Pour ce faire, la troupe a notamment mis en place une hotline, le 112, qui permet aux habitants de dénoncer le stockage illégal d’essence. Du jamais-vu depuis le début de cette crise.Cette action de l’armée à l’encontre des réseaux de trafiquants, dont certains sont affiliés à des milieux politiques, marque une évolution dans la « mission » de la troupe, à l’heure où le fonctionnement même de l’institution est menacé par l’impact de la crise, et notamment de la dévaluation violente de la livre libanaise, sur son budget en général et la solde des soldats en particulier, ainsi que, plus généralement, par l’effondrement de l’État.

La communication au centre du dispositif

Depuis les annonces du 14 août, les saisies d’essence et de mazout s’enchaînent. Au premier jour de cette opération, l’armée a twitté près d’une vingtaine de fois, communiquant systématiquement sur chaque opération de perquisition. Selon un ancien haut gradé à la retraite qui souhaite garder l’anonymat, « la troupe essaye de répondre à une situation dramatique face à laquelle la classe politique s’est montrée totalement inefficace ». « Ce déploiement de l’armée montre que cette crise est aussi grave qu’une guerre et que ses effets sont tout aussi dévastateurs », poursuit l’officier. Une des plus belles saisies est celle qui a été menée sur un terrain appartenant au propriétaire des stations-service Sakr. Cette saisie était le fruit d’une perquisition dans un champ agricole dans la région de Zahlé où l’armée a découvert autour de 1,5 million de litres d’essence enterrés et divisés entre 38 réservoirs. L’armée a distribué ces quantités à des hôpitaux, des boulangeries et à d’autres services essentiels. Ibrahim Sakr et son frère, tous deux proches des Forces libanaises, ont été arrêtés puis relâchés par les FSI sur ordre d’un juge le 24 août. De leur côté, les FL ont annoncé dans un communiqué qu’elles n’assuraient aucune couverture politique aux frères Sakr et que le parti était prêt à coopérer avec la justice pour les besoins de l’enquête. D’autres saisies de quantités liées à d’autres milieux politiques ont été menées par la troupe aux quatre coins du pays. Le 15 août, l’armée annonçait avoir saisi plus de 300 000 litres d’essence et de mazout dans des cuves enterrées derrière une maison de la la localité de Nabi Osman, dans la région de Ras Baalbeck, dans la Békaa, près de la frontière avec la Syrie.

Reléguée essentiellement à une fonction de sécurité interne, sollicitée sur toutes les opérations de maintien de l’ordre, l’armée a pu voir sa popularité mise à mal par la crise économique et politique. C’est elle qui devait sans relâche protéger les institutions des casseurs, déloger les manifestants des axes routiers, charger contre les protestataires se rassemblant aux abords du Parlement. Dans ce contexte, la mission de lutte contre l’accaparement de carburant vient redorer le blason de l’armée.

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Si les perquisitions faites par l’armée puisent leur source légale dans les décrets lui donnant l’autorisation de se comporter comme organe sécuritaire dans une situation où la sécurité du pays est menacée, la distribution des hydrocarbures saisis sans l’accord préalable d’un juge ou d’un procureur est hors de ses prérogatives. « Il est illégal de distribuer gratuitement aux citoyens de l’essence saisie dans une perquisition sans accord de l’autorité judiciaire », rappelle le général Hélou. Mais aux yeux de l’opinion publique, qui donc prendrait l’initiative de critiquer une telle action à l’heure où le pays entier est livré à lui-même sans hydrocarbures et que même les hôpitaux n’en finissent plus de tirer la sonnette d’alarme.

Frontières toujours poreuses

Le massacre de Tleil a cependant été un coup dur pour l’armée, puisqu’elle a perdu 11 soldats dans la tragique explosion survenue le 15 août. C’est alors qu’elle se trouvait toujours sur les lieux, tandis qu’une partie du carburant saisi était distribué gratuitement à la population, qu’a eu lieu l’explosion. L’armée avait saisi ce carburant après que des partisans de la thaoura, au Akkar, ont mis en lumière son existence. Dans cette tragique affaire, le propriétaire du terrain ainsi que le trafiquant d’hydrocarbures ont été arrêtés par l’armée puis remis aux autorités judiciaires. Cependant, il s’agit là plutôt d’une exception.

Comme le souligne le général à la retraite Khalil Hélou, « la troupe fait un bon travail pour lutter contre la contrebande, mais ce n’est pas assez. Les propriétaires de stocks de mazout et d’essence ne semblent pas être inquiétés par la justice. Il faudrait qu’ils soient sous détention administrative et systématiquement remis à la police afin que le procureur puisse ouvrir une enquête, pas que l’arrestation soit exceptionnelle ». Le jeu d’équilibriste de l’armée libanaise consiste à assurer la sécurité à l’intérieur du pays et empêcher les opérations de contrebande, tout en évitant de déclencher des conflits ouverts avec des partis politiques et des milices. « Qui empêche l’armée d’assurer son rôle de contrôle à la frontière ? se demande ainsi le général Hélou. C’est un vrai scandale, et je veux interpeller le chef de l’armée sur ce point. Le trafic vers la Syrie doit cesser immédiatement. »

La plupart des passages utilisés par les contrebandiers sont pourtant bien connus. L’armée, pour sa part, dispose de quatre régiments pour garder la frontière, un sur chaque zone avec des missions de contrôle bien définies. Depuis l’entrée de voitures piégées qui ont explosé à Beyrouth, entre 2013 et 2014, et l’épisode de la prise de Ersal par le Front al-Nosra, également en 2014, le Royaume-Uni et d’autres pays partenaires ont fortement renforcé les capacités de l’armée libanaise pour le contrôle de sa frontière terrestre.

Cependant, la troupe n’est pas la seule à qui la responsabilité de contrôler les frontières incombe. Les FSI, les douanes, la Sûreté générale et la Sécurité de l’État sont également impliquées, mais aucun de ces organes ne semble lutter efficacement contre le fléau de la contrebande.

Le Liban vit, depuis des mois, une pénurie de carburants sans précédent, entraînant un effet domino dévastateur qui touche tous les pans de l’économie. Le 14 août, quelques heures seulement avant l’explosion meurtrière d’une citerne à Tleil, dans le Akkar, l’armée annonçait, dans un communiqué, qu’elle allait se déployer pour forcer certaines stations-service à ouvrir afin...

commentaires (5)

L’armée est envoyée au charbon après chacune des crasses des politiciens pour essuyer leur Merde. On se demande comment leur chef accepte encore d’obéir aux ordres alors qu’il sait que ça va contre l’intérêt du pays pour lequel il a juré loyauté et fidélité et qu’il est censé mobiliser ses troupes pour le défendre de tout danger extérieur ou surtout intérieur? POURQUOI CONTINUER À RENIER CE SERMENT ET JUSQU’À QUAND?

Sissi zayyat

16 h 48, le 31 août 2021

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Commentaires (5)

  • L’armée est envoyée au charbon après chacune des crasses des politiciens pour essuyer leur Merde. On se demande comment leur chef accepte encore d’obéir aux ordres alors qu’il sait que ça va contre l’intérêt du pays pour lequel il a juré loyauté et fidélité et qu’il est censé mobiliser ses troupes pour le défendre de tout danger extérieur ou surtout intérieur? POURQUOI CONTINUER À RENIER CE SERMENT ET JUSQU’À QUAND?

    Sissi zayyat

    16 h 48, le 31 août 2021

  • VENTRES VIDES, UNE ARME A LA MAIN, L,EFFONDREMENT QUI COMMENCA CHEZ LES FSI Y FRAPPERA AUSSI LA TROUPE. LE MINISTRE PROPOSE DES AUGMENTATIONS DE SALAIRES, SACHEZ QUE TOUTE AUGMENTATION DE SALAIRE DANS QUELLE INSTITUTION QUE CE SOIT OU DANS LE PRIVE AURAIT POUR CONSEQUENCE IMMEDIATE LA DEVALUATION DE LA LIVRE ET LES PROBLEMES GONFLERONT AU LIEU DE DEGONFLER ET L,EFFONDREMENT S,ACCENTUERA DANS SA DESCENTE AUX ENFERS DE LA TRINITE DU MAL.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 35, le 31 août 2021

  • POURQUOI DEMANDER L'IMPOSSIBLE ? APRES AVOIR FERME LES YEUX SUR L'EXPLOITATION DE CENTAINES DE STATIONS D'ESSENCE NON AUTORISEES? APRES AVOIR LAISSE LIBRE COURS AU 3 CARTELS INCRIMINES -IMPORTATION,STOCKAGE,DISTRIBUTION & STATIONS , CHAPEAUTES PAR DES CRAPULES DE TT GENRE POUR FINIR PAR ETRE "PARRAINÉS" PAR UN NON MOINS MISERABLE ET MINISTRE DE L'ECONOMIE RAOUL BEY ? DIEU DE DIEU, COMMENT DEMANDER AUX SOLDATS DE FAIRE FACE A AUTANT DE "CLUBS" FERMES ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 26, le 31 août 2021

  • Rôle de spectateurs figurants sinon complices, la honte, quoi.

    Christine KHALIL

    09 h 44, le 31 août 2021

  • Il suffit de demander aux distributeurs un déclaratif sur la destination des carburants et suivre le fil… Il suffit d’imposer un dispositif GPS sur les camions citernes… Plein de solutions existent pour mettre un nom sur les contrebandiers, et pourtant... Il est clair que les forces de l’ordre sont aux ordres des mafias qui tiennent le pays!!

    Sam

    08 h 34, le 31 août 2021

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