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Économie - Transport

La pénurie d’essence, un tremplin pour les deux-roues

Nombre de Libanais commencent à enfourcher une moto ou un scooter, des moyens de locomotion moins gourmands en carburant et moins coûteux en entretien.

La pénurie d’essence, un tremplin pour les deux-roues

Se déplacer en deux-roues est devenu aujourd’hui un choix pragmatique pour une proportion croissante de Libanais. Photo P.H.B.

Files d’attentes interminables devant les stations-service ; frais d’entretien et de carburant (quand il y en a) élevés ; pièces de rechange dans la plupart des cas hors de prix... Autant d’arguments qui poussent de plus en plus de Libanais à renoncer à utiliser leur voiture pour se déplacer.

Une décision compréhensible dans le contexte de crise que traverse le pays, mais qui n’est pas sans poser d’autres problèmes en raison du manque d’alternative : en 2021, le Liban n’est, en effet, toujours pas doté d’un réseau de transport en commun digne de ce nom, les infrastructures routières sont plus que jamais vétustes et mal entretenues, sans parler du fait qu’elles sont dépourvues de pistes cyclables, voire même, trop souvent, de réels trottoirs.

Face à ce casse-tête, beaucoup de Libanais se sont tournés vers une des rares options existantes : troquer leur voiture pour une moto, un scooter ou encore une mobylette, et prendre la route malgré les nombreux dangers auxquels ils peuvent s’exposer sur des routes truffées de nids de poule et sur lesquelles les mauvais conducteurs pullulent.

Si la densité des deux-roues en circulation dans la capitale libanaise est encore bien loin des niveaux record observés dans les rues des métropoles sud-asiatiques tel Bangkok, Hanoi ou même Djakarta, de nombreux témoignages recueillis attestent d’une augmentation de leur popularité croissante.

Le choix de la facilité

Car se déplacer en moto est devenu aujourd’hui avant tout un choix pragmatique. Robert, la quarantaine, avait acheté sa moto il y a deux ans « juste pour se faire plaisir les week-ends ». Aujourd’hui, « il ne se passe presque plus un jour » sans qu’il ne l’emprunte. « Il est juste beaucoup plus facile et moins cher de se déplacer à moto », constate-t-il. Les motards accomplis comme Robert ne sont pas les seuls à avoir franchi ce pas. « En acquérant un scooter, je comptais éviter les files d’attente interminables devant les stations-service », indique ainsi Omar*, qui a décidé de commencer à prendre des cours de moto il y a tout juste trois mois.

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Depuis des mois maintenant, le Liban est en bute à une grave pénurie de tous les types de carburants, y compris l’essence, en raison, notamment, de l’épuisement des réserves en devises de la banque centrale utilisées pour subventionner les importations, ainsi que de la contrebande et du stockage illégal. Sur le terrain, cette situation se traduit par une attente parfois de plusieurs heures devant les stations-service.Le cas de Omar n’est pas isolé, à en croire les formateurs à la conduite des deux-roues. « Mon activité a augmenté de 15 à 20 % depuis la forte aggravation des pénuries d’essence il y a plus de cinq mois », estime ainsi Salim Joumblatt, moniteur moto-école à la Lebanese Motorcycle School. Une tendance qui, en apparence, se vérifie aussi du côté des concessionnaires. « En apparence », car, contrairement à l’Association des importateurs d’automobiles qui compilent chaque mois les ventes de voitures neuves, aucune organisation professionnelle ne compile les données spécifiques aux deux-roues. Les chiffres de la Direction nationale du trafic routier, bien qu’ils ne soient pas aussi exhaustifs – car incluant l’enregistrement des motos, scooters et autres deux-roues d’occasion, d’une part, et cet enregistrement n’étant pas respecté par une partie conséquente d’acquéreurs, d’autre part –, permettent néanmoins, et dans une certaine mesure, de mettre à l’évidence une certaine tendance haussière. Ce sont ainsi plus de 8 800 deux-roues motorisés qui ont été enregistrées lors des six premiers mois de 2021, contre 8 208 lors de toute l’année 2020.

Ces chiffres restent toutefois sujets à interprétation. Un concessionnaire de scooters à Tripoli (Liban-Nord) indique ainsi que « s’il est vrai que les ventes de la filière ont considérablement augmenté cette année, il faut aussi noter que les chiffres du département du trafic routier tiennent compte de tous les enregistrements de motos, y compris celles achetées il y a des années et dont les propriétaires se ruent à enregistrer aujourd’hui avant qu’il n’y ait une hausse des frais ». La crise s’accompagnant d’une dévaluation violente de la livre libanaise (le dollar s’achetait ces derniers jours autour de 19 000 LL sur le marché parallèle, contre 1507,5 livres pour la parité officielle), beaucoup de Libanais s’attendent en effet à ce que les frais d’enregistrement et d’immatriculation des véhicules soient revus à la hausse dans un futur proche.

Une offre qui s’adapte

Malgré ces nuances, la majorité des signaux envoyés par le marché démontrent qu’il y a bien au moins un début d’engouement pour les deux-roues. Mais cette tendance est loin de bénéficier à tous les acteurs de la filière et peut varier du tout au tout d’un concessionnaire à un autre, principalement en fonction des marques et des catégories de cylindrées qu’ils vendent. Ainsi, alors que certains revendeurs déplorent une baisse de leur activité de 60 à 70 %, d’autres affichent un grand sourire en évoquant des augmentations de plus de 500 %.

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« Mon téléphone n’arrête pas de sonner. Le nombre de personnes qui se renseignent à propos de nos motos explose depuis plusieurs mois », témoigne ainsi, sous couvert d’anonymat, un concessionnaire de motos japonaises. Il concède toutefois que la proportion de contacts qui débouchent sur des ventes reste faible, bien que ces dernières soient « en hausse depuis quelques mois ». « Dès que ces potentiels clients prennent connaissance des prix, leur enthousiasme s’étiole », note-t-il.Selon lui, la crise et les pénuries favorisent les petits scooters chinois de moins de 100 cc, vendus neufs entre 600 et 800 dollars, qui s’accaparent la grosse majorité des ventes. Un constat partagé par tous les vendeurs contactés, certains assurant même avoir arrêté d’importer et de stocker certaines grosses motos, n’en vendant plus désormais que sur demande et avec de longs délais d’attente.

La préférence affichée pour les petites cylindrées se remarque également au niveau des écoles de conduite. Salim Joumblatt, moniteur moto-école, témoigne en effet n’avoir « jamais donné autant de cours de conduite de scooter », évoquant une amplitude horaire de 20 heures par semaine contre « 2 ou 3 heures par semaine en moyenne il y a à peine quelques mois ». Bien que lacunaires, les chiffres du département du trafic routier confirment aussi cette tendance. Sur les 8 805 véhicules enregistrés en 2021, 8 264 d’entre eux sont des deux-roues de moins de 300 cc, soit plus de 93 % de l’ensemble. « Cette tendance est un signe clair de l’appauvrissement de la population qui est désormais à la recherche du moyen de transport privé le moins cher et le plus économique », commente un vendeur de scooters chinois de Tripoli, dont les ventes ont « presque triplé » depuis de début de l’année.

Les statistiques de la Direction nationale du trafic routier sous-entendent d’ailleurs une tendance qui a en fait débuté il y a trois ans et s’accélère depuis. Si une baisse des procédures d’enregistrement des deux-roues a été notée entre les années 2018 et 2020, la popularité des moins de 300 cc n’a, elle, cessé d’augmenter. Alors qu’ils représentaient 67,9 % de l’ensemble des deux-roues enregistrés en 2018, ce ratio est passé à 83,1 % l’année suivante et à 89,7 % en 2020.

Loop à la conquête de Beyrouth

Mais avec l’aggravation de la pénurie d’essence et en raison du fait que plusieurs stations-service refusent désormais de faire le plein aux motards par crainte qu’ils ne revendent l’essence achetée au marché noir à un prix beaucoup plus élevé, même ces scooters perdent un peu de leur attrait ; parfois au profit de… l’électrique.

Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître dans un pays ou l’électricité manque cruellement, et parallèlement aux scooters qui sont de plus en plus nombreux à sillonner les rues de la capitale, l’on note aussi à Beyrouth depuis le début de l’année une augmentation de la circulation des petits scooters orange électriques de la société Loop. C’est que ce produit affiche un argument qui fait mouche : éviter d’avoir à faire la queue pour remplir le réservoir. Dotés de batteries d’une autonomie de près de 50 kilomètres, ils peuvent être facilement rechargés en les branchant à n’importe quelle prise de courant, que ce soit au travail ou à la maison. Mais aussi dans les espaces de coworking (dont Antwork ou Beirut Digital District) ou auprès des 18 stations-service, dotés de courant électrique la plupart du temps, avec lesquels Loop a conclu des partenariats.

« Cela fait déjà plus de cinq mois que je n’utilise ma voiture que les week-ends pour sortir de Beyrouth. Pour mes déplacements au sein de la capitale, j’utilise les scooters Loop. C’est beaucoup plus pratique », témoigne Dany, employé d’une ONG basée à Mar Mikhaël. Et il n’est pas le seul. Tout comme lui, plus de 2 500 utilisateurs sont abonnés à ce service.

Disponibles aujourd’hui en service partagé ou en location, ces scooters orange avaient été introduits dans la capitale en 2017. À l’époque, Loop en comptait 15 dans sa flotte. Rapidement, ces motocyclettes orange séduisent, et la start-up s’élargit à 100 scooters. Mais avec la levée progressive des mesures de confinement en mars et l’aggravation continue des pénuries d’essence, même cet accroissement reste insuffisant aujourd’hui. « La demande pour notre service a explosé, avec une augmentation de 400 % en à peine quatre mois, nous rendant aujourd’hui incapables de satisfaire l’intégralité de la demande, alors que la liste d’attente ne fait que grandir », indique Mira Abouchacra, directrice générale de Loop, qui envisage désormais d’élargir un peu plus encore sa flotte.

* Le prénom a été modifié à sa demande.


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