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Politique - En toute liberté

Le Liban et la « fin des temps »

Après le bombardement par le Hezbollah d’une portion de territoire contrôlée par l’armée israélienne, le 29 juillet dernier, en riposte à un bombardement aérien du territoire libanais par Israël, le chef de l’Église maronite a dénoncé le fait que le Hezbollah se soit arrogé de façon unilatérale l’une des prérogatives de l’État : celle de décider de la guerre et de la paix. Dans sa protestation, le patriarche Raï a rappelé que les rapports entre Israël et le Liban sont régis par l’armistice de 1949, une convention conclue entre les belligérants de la première guerre israélo-arabe pour suspendre les hostilités et tenter de régler le conflit par la négociation, et donc par une voie de paix. Cette proposition a enflammé les réseaux sociaux proches du Hezbollah, certains allant même jusqu’à accuser le patriarche de trahir la cause palestinienne.

Ces réactions passionnées ont reflété la profonde hostilité opposant deux nations dont les racines sont aussi bien politiques que religieuses. De fait, la République islamique d’Iran est une sorte de théocratie gouvernée par la personne du waliy el-faqih, le « théologien-juriste » qui détient, au-delà de toutes les institutions-courroies intermédiaires, le pouvoir temporel et spirituel. Israël, de son côté, est un État qui se veut séculier et démocratique, mais dont l’idéologie est tout imprégnée d’une croyance en une « Terre promise » par Dieu et en des fins dernières liées à cette promesse.

C’est ainsi que, sur la Palestine, les deux nations sont fourvoyées dans une impasse historique majeure sur laquelle, de surcroît, plane la menace atomique. Compte tenu de la dimension religieuse, voire eschatologique, du conflit qui les oppose, il est inévitable que malgré la vague de normalisations avec Israël qui touche une partie du monde arabe, la cause palestinienne ainsi que le choc des deux visions religieuses conflictuelles qui la caractérisent resurgiront périodiquement.

Car aux yeux de la République islamique d’Iran, la cause palestinienne est autant, sinon plus, centrée sur Jérusalem, qui abrite la grande mosquée (al-Aqsa), deuxième lieu saint de l’islam, que sur les droits du peuple palestinien. Pour cette république, la cause palestinienne est non seulement une guerre séculière de libération nationale, mais un enjeu sacré pour tous les musulmans.

On sait en effet de certaines déclarations de leaders iraniens que le Hezbollah et la communauté chiite de sa mouvance attendent la venue du mahdi et voient dans certains développements politiques les signes avant-coureurs de cette venue. L’ancien président Mahmoud Ahmadinejad ne le cachait pas. Il se considérait – et se considère toujours probablement – comme étant le chef de l’Armée du mahdi. De son côté, il y a quelques années déjà, dans un prêche de Achoura, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, voyait dans l’effort des États-Unis pour se rapprocher autant que possible des lieux saints de l’islam un signe de cette nature. Aujourd’hui, il n’est pas exclu de voir aussi, dans l’implication de l’Iran dans la guerre du Yémen, une volonté de se rapprocher géographiquement des lieux saints musulmans, toujours en lien avec l’attente du mahdi.

D’autre part, en Palestine même, un durcissement se manifeste dans la politique israélienne et la perspective de la solution des deux États, à laquelle tient toujours le Vatican, semble s’éloigner, à voir le véritable gruyère qu’est devenue la Cisjordanie. En grand spécialiste de la question palestinienne, l’ancien ministre libanais de la Culture Michel Eddé jugeait avec clairvoyance, depuis toujours, qu’Israël « ne rendrait jamais » (ce sont ses propres mots) ce qu’elle considère comme étant « le cœur de la Terre promise », la Judée-Samarie (pour les Arabes, la Cisjordanie).

On sait par ailleurs que, dans une perspective purement messianique, certaines Églises évangéliques ont pris fait et cause pour Israël, estimant que le « rassemblement » en terre de Palestine des juifs du monde entier hâtera, dans le tumulte et les tribulations du livre de l’Apocalypse, le « second avènement » du Christ.

C’est au regard de ces trois dynamiques de guerre et de violence en Palestine que la proposition du patriarche maronite tire toute son importance. En préconisant de s’en tenir dans les rapports du Liban avec Israël à l’accord d’armistice, c’est, d’une certaine façon, la voie du dialogue, de la diplomatie et de la raison que défend le chef de l’Église maronite, plutôt que celle de l’anéantissement de l’autre, plutôt que celle des passions religieuses qui se croient primordiales, mais qui ne sont que primitives.

L’armistice, c’est tenter d’élever les civilisations et les religions parvenues à leur maturité à la hauteur de leur destin véritable, celui de la promotion de la paix. C’est dans cet esprit qu’il faut prendre l’encyclique « Fratelli tutti » (« Tous frères ») du pape François, reprise à son compte par l’Église maronite. Dans cet esprit aussi qu’il faut comprendre la récente visite du pape à l’ayatollah Sistani à Najaf (Irak), dans un effort pour entraîner le chiisme, dont il est la suprême autorité, dans le sillage de la déclaration d’Abou Dhabi sur « La Fraternité humaine » (2019), signée avec le cheikh d’al-Azhar, Ahmad el-Tayyeb, l’une des plus hautes autorités sunnites dans le monde.

Armistice, enfin, est un mot qui cadre bien avec la vocation d’un Liban lieu de rencontre interreligieuse et de concorde. Non pas le Liban « Monaco du Moyen-Orient », non pas le Liban pays de villégiature saisonnière pour les pays du Golfe, ni le Liban de « la normalisation » avec Israël, mais le Liban de la « paix des religions », pour reprendre une expression du théologien Hans Kung. Un Liban qui chercherait, selon la belle image du prophète Isaïe, à « transformer les épées en socs de charrue ». La paix, voilà la bonne semence que le Liban est invité, avec persévérance, à semer à côté de l’ivraie, aussi longtemps qu’il plaira au Seigneur des moissons. Bien sûr, c’est l’affaire de plusieurs générations. Laissons donc à nos enfants et petits-enfants le souvenir honorable de nos propres efforts à rendre ce monde vivable.

Après le bombardement par le Hezbollah d’une portion de territoire contrôlée par l’armée israélienne, le 29 juillet dernier, en riposte à un bombardement aérien du territoire libanais par Israël, le chef de l’Église maronite a dénoncé le fait que le Hezbollah se soit arrogé de façon unilatérale l’une des prérogatives de l’État : celle de décider de la guerre et de...

commentaires (2)

Dieu a dit "aimez-vous les uns les autres". Alors arrêtez de vous battre en son nom!…

Gros Gnon

06 h 23, le 26 août 2021

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Commentaires (2)

  • Dieu a dit "aimez-vous les uns les autres". Alors arrêtez de vous battre en son nom!…

    Gros Gnon

    06 h 23, le 26 août 2021

  • Rêvez , Rêvez ... Il en restera toujours quelque chose !

    Chucri Abboud

    03 h 28, le 26 août 2021

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