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Mariages au Liban en temps de crise

Ils ont sauté le pas et organisé un mariage à leur mesure dans un contexte de crise économique sans précédent.

Mariages au Liban en temps de crise

L’épidémie de coronavirus puis la crise économique ont bouleversé les habitudes des Libanais. Ce jeune couple s’est marié dans une église presque vide au sud de Beyrouth durant l’épidémie de Covid-19. Anwar Amro/AFP

« Prêts à vous passer la corde au cou ?

Nous sommes là pour réaliser votre rêve. » « Quand il est temps de vous installer, ne vous contentez de rien de moins qu’une expérience magique. » Nous sommes en 2019, et les banques libanaises rivalisent à coups de slogans et de panneaux XXL dans un domaine des plus lucratifs : celui des mariages. C’était l’époque où celles-ci prêtaient à outrance pour satisfaire le style de vie d’une population qui vivait clairement au-dessus de ses moyens. Les familles, elles, étaient prêtes à se saigner pour organiser une célébration de mariage digne de ce nom, marqueur ultime de sa richesse ou de son statut social. Deux ans plus tard, l’effondrement du système bancaire, la dévaluation de la monnaie, l’inflation mais aussi la pandémie de coronavirus ont contraint les futurs mariés à revoir leurs ambitions à la baisse. « D’un côté, j’aurais aimé inviter beaucoup plus de gens, mais d’un autre, je suis contente que cette crise nous oblige à nous limiter, à ne pas gaspiller », raconte Mirna*, 32 ans. Fiancée en janvier 2020 à Marc*, 39 ans, la jeune femme s’est aussitôt mise à la recherche d’un lieu et de prestataires pour leur mariage prévu pour l’été suivant. Les mesures de confinement et la hausse des cas de Covid-19 ont, comme pour beaucoup, bousculé leurs plans. « Lorsqu’il y a eu les explosions au port le 4 août, on s’est dit qu’il fallait qu’on se marie coûte que coûte, quitte à aller tous les deux devant un prêtre », raconte Mirna. À l’époque, les traiteurs qu’elle contacte ne parviennent pas à lui donner de prix fixe pour le buffet de son mariage, alors que la livre poursuit sa chute mortifère. Parce que Marc travaille à Dubaï dans les télécoms et que Mirna, psychomotricienne, a pu mettre de côté des dollars avant que le prix du billet vert ne s’envole, la question du paiement du mariage ne leur a pas posé de problèmes par rapport à d’autres couples qui touchent leur salaire en livres. « Même si on a ces dollars, on ne voulait pas les dépenser bêtement, la situation nous fait trop mal au cœur », assure Mirna. Au lieu de louer un espace événementiel, le couple a préféré faire quelques travaux sur la terrasse de l’immeuble familial de Marc où s’est déroulée la fête mi-juillet en compagnie de 70 invités pour un budget de 10 000 dollars.

Les expatriés ou les dollarisés sont de plus en plus nombreux à opter pour des mariages en petit comité et moins m’as-tu-vu. « Avant la crise économique et la pandémie, on qualifiait de “petit mariage” une noce de 300 personnes. Un mariage de 500 ce n’était pas un “grand” mariage, c’était juste… un mariage ! » confie Yasmine Hayek, partenaire dans l’agence événementielle Matisse. Avoir recours à un « wedding planner » est plus que jamais considéré comme un luxe que seule une poignée de gens peuvent se permettre aujourd’hui. L’agence a vu sa clientèle baisser ces deux dernières années et a dû s’adapter aux conditions. « S’ils veulent faire des coupes dans leur budget, on dit aux futurs mariés de ne pas opter pour des produits nobles tels que le risotto à la truffe ou le crabe d’Alaska. Avant, si une mariée voulait à tout prix des pivoines en juillet, on les faisait venir de Hollande, alors qu’aujourd’hui on se concentre sur les fleurs de saison et surtout de provenance locale », poursuit la responsable de projets.

Un couple de jeunes mariés se tenant la main à Saïda. Photo d’archives AFP

W-C et parking compris

Estelle, 32 ans, tout comme Mirna, a préféré louer sa robe de mariée plutôt que de l’acheter, pour sa cérémonie programmée pour septembre. « Je l’ai fait à une époque où les boutiques acceptaient encore les chèques. Maintenant, dans le business du mariage, c’est le règne du dollar. Et même lorsque vous en avez, personne ne vous fait de ristourne. On te dit : “Sois tu peux payer, soit tu ne peux pas, nous avons d’autres clients que toi” », déplore la jeune femme.

La situation donne parfois lieu à des scènes absurdes. « On m’a proposé la salle d’un restaurant moyen de gamme à Bickfaya pour la modique somme de 5 000 dollars en espèces. Quand j’ai demandé ce que cela comprenait, on m’a répondu : “Bah, rien ! Juste l’espace vide, les toilettes et le parking” », raconte de son côté Manal, 34 ans, qui s’est mariée le 15 août. « Un autre loueur de salles m’a demandé si je voulais payer le supplément “moteur” en prévision des coupures d’électricité », renchérit cette employée de banque, qui a déboursé cash une soixantaine de millions de livres pour payer le restaurant qu’elle a finalement choisi, alors que les banques limitent sévèrement les retraits. « Un jour tu t’entendais sur un devis avec un prestataire, le lendemain il te disait qu’il fallait le revoir parce que les prix avaient renchéri, c’était épuisant », raconte de son côté Kate, 27 ans, qui a dit oui à Jad, 29 ans, le week-end dernier. Trois semaines avant leur mariage, ils n’avaient toujours pas envoyé leurs cartons d’invitation par crainte « qu’il n’arrive quelque chose ». « Pour 200 personnes, l’événement a tourné aux alentours de 45 000 dollars parce qu’on a bien pu négocier les prix, alors qu’avant la crise ça aurait normalement dû nous revenir à 4 fois plus cher », raconte Kate.

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Estelle* et son fiancé américain, eux, vivent et travaillent au Liban mais sont payés en dollars frais. Une situation confortable qu’ils ne vont pas crier sur tous les toits. Le couple a choisi une date en septembre avec une formule clefs en main pour 150 invités dans un hôtel chic de la capitale, qui chiffre tout en dollars frais. Le traiteur, qui constitue souvent la deuxième part la plus importante d’un budget mariage après le lieu, leur reviendra à 4 000 dollars, soit 27 dollars par personne, sans compter l’alcool. La coiffure et le maquillage dans l’un des salons les plus en vogue du pays ne lui coûtera plus « que » 4 millions de livres, pour Estelle et sa témoin, soit 211 dollars au taux actuel du marché noir. « Pour ne pas mettre mal à l’aise nos invités, on a choisi de ne pas imposer de liste de mariage parce qu’en ces temps, c’est indécent », explique la jeune femme. Kate a également fait ce choix afin que l’argent récolté ne se retrouve pas bloqué en banque.

De l’indécence ? Hala et Firas al-Yafi n’en ont pas manqué. La fille de l’ancien député du Hezbollah Nawwar el-Sahili et son gendre ont célébré leur mariage « en toute simplicité » le 24 juillet (qui aurait coûté la bagatelle de 340 000 dollars, selon la rumeur), provoquant la colère des internautes sur les réseaux sociaux et obligeant le politicien chiite à présenter des excuses publiques. « Ce ne sont pas les premiers à faire ça, mais ce ne sont que des exceptions. Si j’avais autant d’argent qu’eux, j’aurais peut-être fait la même chose », estime Manal. Pour Nour, 25 ans, une personnalité publique, quelle que soit son appartenance politique, est censée montrer l’exemple. « C’est immoral, inhumain d’organiser un mariage aussi opulent alors que le reste de la population crève la bouche ouverte », renchérit son mari, Paulo. Un étalage de richesses d’autant plus incompréhensible pour ce Portugais qui vit au Liban depuis moins de deux ans. « C’est terrible parce qu’on croit que c’est la norme et si vous faites un petit mariage pas cher on vous flétrit, et on considère que vous êtes cheap. » Le jeune couple qui s’est rencontré en 2016 mais qui a officialisé la relation en 2020 s’est marié le 27 juillet à Nabatiyé d’où Nour est originaire. Parce qu’il leur était impossible de faire venir les 60 convives libanais au Portugal dans ce contexte de crise, ils ont choisi une formule tout compris dans un espace événementiel. « Entre le lieu, le traiteur, le gâteau, le photographe, la zaffé, les fleurs et la robe, on était aux alentours de 1 000 dollars, qu’on a payés en partie en cash et une autre en chèque », raconte Paulo. Nour a acheté le tissu de sa robe que sa tante a pu réaliser sur mesure. Certains de leurs amis, eux, n’ont pas pu assister à la fête faute de carburant pour se rendre au Sud.

*Tous les prénoms ont été changés.

« Prêts à vous passer la corde au cou ?Nous sommes là pour réaliser votre rêve. » « Quand il est temps de vous installer, ne vous contentez de rien de moins qu’une expérience magique. » Nous sommes en 2019, et les banques libanaises rivalisent à coups de slogans et de panneaux XXL dans un domaine des plus lucratifs : celui des mariages. C’était l’époque...

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