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Société - Reportage

Commémoration du 4 août : le jour d’après

Retour au faux-semblant de normalité, un an après la double explosion au port de Beyrouth.

Commémoration du 4 août : le jour d’après

Les graffitis dans le périmètre du Parlement. Photo João Sousa

Seuls les fragments de bombes lacrymogènes et quelques pierres cassées sur le sol laissent transparaître que, quelques heures plus tôt, des heurts avaient eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants sur la place des Martyrs et dans le périmètre du Parlement. Les bouteilles d’eau, les mégots de cigarette et des gants brûlés jonchent toujours le sol alors que des touristes se prennent en photo devant le « J’aime Beyrouth » dans les souks de la capitale. Il n'y a plus de fumée, plus de gaz, plus de flammes. Restent les graffitis d'une potence, de trois visages qui hurlent leur colère. Restent des messages affichés sur les murs : « Ils le savaient »; « Mon gouvernement a tué mon peuple ».  Un an après la double explosion au port de Beyrouth, qui a tué 218 personnes et en a blessé plus de 7 000 autres, l’on sait désormais que de nombreux responsables étaient au courant de la présence de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium dans le hangar n° 12 du port. Les passants ne regardent même pas les accusations sur les murs.

Les sirènes des ambulances qui transportaient les blessés ensanglantés après les affrontements avec les forces de l’ordre, à l'issue des commémorations du premier anniversaire du 4 août 2020, au centre-ville de Beyrouth, ont laissé la place aux klaxons des voitures. Les cris de guerre du champ de bataille, vingt-quatre heures plus tôt, paraissent si lointains. Et c’est ce retour à ce faux-semblant de normalité qui frustre les personnes qui ont manifesté et appelé la veille, une fois encore, à « la chute du régime ».

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« Je suis abattue », lance Amani, trente ans, qui travaille dans le quartier de Gemmayzé. Pour elle, c’est la claque du lendemain après un rassemblement qui a réuni une centaine de milliers de personnes pour soutenir les familles des victimes de la double explosion. « On dirait que c’est la vie en rose, alors que ça ne l’est pas », approuve Cherine, sa collègue, les cernes sous les yeux. « Nous sommes descendus pour obtenir justice. Un an plus tard, toujours rien », dit-elle exaspérée. Mercredi, elles ont vu les heurts. Hier, elles ont entendu le bruit des assiettes et des couverts déposés par les serveurs sur les tables des terrasses de Mar Mikhaël et Gemmayzé. Cigarette et verre de vin à la main, les clients des pubs et restaurants, qui ont baissé les rideaux, profitent du beau temps. Seule la voiture de police dont les vitres sont brisées devant la station de Gemmayzé rappelle ce qui s’est passé un soir plus tôt.

« Ce n’était pas une révolution mais le nouveau Liban »
Eva*, impliquée depuis le début du soulèvement populaire, s’est abstenue de prendre part aux manifestations pour cette même raison.

« Déjà mentalement je n’avais pas la capacité de descendre », dit la jeune femme qui vit à Jeitaoui, une des zones ravagées par l’explosion, la voix tremblotante. « Je suis fatiguée d’espérer à chaque mobilisation populaire et de voir que le lendemain, c’est comme s’il ne s’était rien passé », résume-t-elle. Un an après la double explosion, c’est le premier matin que Tracy Naggear, la mère de la petite Alexandra, l’une des plus jeunes victimes, n’a pas pleuré. Généralement, elle se réveille et regarde des photos et des vidéos de « Lexou ». « C’est fou, c’est comme si c’était un jour (mercredi) de colère plus que de tristesse », raconte-t-elle. C’est en voyant la foule au port qu’elle a versé des larmes pour la première fois ce jour-là. « C’était beau et émouvant. On ne s’attendait pas à voir autant de monde. Ça nous a rempli le cœur », poursuit-elle. Le lendemain, Tracy et Paul pensent à la prochaine étape. « Mercredi, ce n’était pas une révolution mais le nouveau Liban. Aujourd’hui (jeudi) nous ne voulions rien faire, même pas répondre à la presse, mais on a réalisé qu’il faut rester dans la continuité du mouvement d’hier qui est le premier parmi tant d’autres qui seront plus puissants et plus forts. » Une dynamique qui ne peut pas se faire sans la population. « Les 200 ou 300 mille personnes, c’est un bon début mais ce n’est pas suffisant. Quatre millions de Libanais ont été touchés. »

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Après le rassemblement au port mercredi soir, les protestataires ont envahi la place des Martyrs et la place du Parlement où de vifs affrontements ont eu lieu. Mais les groupes organisateurs avaient d’autres plans en tête et ne comptaient pas se limiter à cette zone. Sauf que les obstacles dressés contre eux ont contrarié leur plan. « Les forces de l’ordre avaient protégé toutes les entrées des bâtiments institutionnels où nous voulions entrer », explique un des organisateurs. Une autre, qui se chargeait d’éteindre les bombes lacrymogènes, explique, le bras enveloppé d’une bande après avoir été blessée, qu’ils avaient même rencontré des difficultés à atteindre la zone à cause de la réaction des forces sécuritaires.

« Je ne comprends pas leurs agissements, certains de leurs collègues sont morts lors de l’explosion », dit-elle décontenancée. « Je suis pleine de rage », finit-elle par dire.

* Le prénom a été modifié.

Seuls les fragments de bombes lacrymogènes et quelques pierres cassées sur le sol laissent transparaître que, quelques heures plus tôt, des heurts avaient eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants sur la place des Martyrs et dans le périmètre du Parlement. Les bouteilles d’eau, les mégots de cigarette et des gants brûlés jonchent toujours le sol alors que des touristes...

commentaires (1)

Erreur. Commémoration c'est lorsque justice sera faite. En attendant, ce n'est que mémoire.

PPZZ58

17 h 59, le 06 août 2021

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Commentaires (1)

  • Erreur. Commémoration c'est lorsque justice sera faite. En attendant, ce n'est que mémoire.

    PPZZ58

    17 h 59, le 06 août 2021

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