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Idées - DTS

L’aide du FMI, une opportunité pour repenser les prestations sociales

L’aide du FMI, une opportunité pour repenser les prestations sociales

Archives AFP

Le conseil d’administration du FMI a approuvé le 9 juillet une allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) équivalant à 650 milliards de dollars afin de créer de nouvelles ressources pour les pays dans le besoin, de renforcer les liquidités de ses membres et de leur permettre d’améliorer leur réponse à la crise de Covid-19. Cette allocation devrait être mise en œuvre dans un délai de 21 jours après l’approbation du Conseil des gouverneurs, prévue pour début août.

En considérant la quote-part du Liban en DTS (633,5 millions de dollars) et la valeur unitaire actuelle de ces derniers (1,42 dollar au 9 juillet), le pays du Cèdre devrait recevoir une part d’environ 900 millions de dollars dans un contexte où ses besoins de liquidités en devises sont plus importants que jamais. Cependant, si une décision politique sérieuse n’est pas prise sur l’utilisation de ce montant, celui-ci sera intégré automatiquement aux réserves de change de la banque centrale (BDL) et pourrait par conséquent être épuisé rapidement, à la manière des milliards de dollars dépensés dans un programme de subvention coûteux et inefficace.

Alors que le Liban connaît la pire crise sociale et humanitaire de son histoire, et l’une des trois crises économiques mondiales les plus sévères depuis le milieu du XIXe siècle, selon la Banque mondiale, le secteur privé a été le seul capable de soutenir ce qui reste de notre économie. Les chefs d’entreprise libanais ont fait face à toutes les difficultés possibles, depuis les restrictions bancaires et la dévaluation de la livre libanaise jusqu’au confinement total et aux pertes énormes. Malgré tout, la plupart des entreprises libanaises luttent pour survivre et ont donc été obligées de réduire leurs effectifs pour faire face à la baisse considérable de leur chiffre d’affaires, tout en payant des impôts directs et indirects importants en raison de l’absence de collecte d’impôts sur l’économie informelle. Et cela sans aucune aide véritable ou subvention d’aucune sorte de la part du gouvernement, contrairement à ce qui a eu lieu dans la plupart des autres pays.

Soutenir le secteur privé

Cette allocation de DTS peut par conséquent constituer une opportunité pour le Liban de soutenir le secteur privé et mettre fin au programme de subvention actuel, coûteux et inefficace, qui a alimenté la corruption et la contrebande, vers la Syrie et d’autres pays, de carburant, de médicaments et d’autres produits subventionnés. Afin d’assurer la traçabilité de l’aide humanitaire et sociale, et de prévenir toute interférence politique, le Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais (RDCL) recommande d’utiliser ces fonds pour financer le projet de filet de sécurité sociale de la Banque mondiale et les investissements prioritaires en matière d’infrastructure nécessaires pour faire face à l’escalade du chaos social qui résultera de la fin du programme de subvention actuel. Une étude de la Banque mondiale a en effet montré que le passage à un programme de transfert d’argent liquide avec une large couverture (80 % de la population) serait plus efficace et efficient que le programme de subvention actuel, en permettant notamment d’éliminer la contrebande, d’améliorer la balance des paiements et de réduire significativement le rythme d’épuisement des réserves restantes de la BDL.

Il est néanmoins impératif de s’assurer que la classe politique et son réseau clientéliste n’exploiteront pas le processus de mise en œuvre de ce programme. Plusieurs options – telles que l’utilisation de cartes électroniques prépayées – peuvent par conséquent être étudiées pour éviter cet écueil, tandis que le recours à la plateforme Impact – utilisée avec succès pour gérer la crise de Covid-19 – permettrait d’enregistrer tous les bénéficiaires– au niveau individuel pour les chômeurs et les retraités dans le besoin, et à travers les entreprises pour les employés des secteurs privé et public.

L’enregistrement des particuliers et des entreprises devrait être supervisé et contrôlé par différents organismes externes indépendants – tels que la BM pour les particuliers ou des cabinets d’audit pour contrôler l’enregistrement des employés du privé et du public, et qui devraient rendre compte à un comité composé de représentants de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), du ministère des Affaires sociales et du ministère des Finances, ainsi que de représentants de la société civile (ONG actives dans le domaine de l’aide humanitaire) et du secteur privé. Pour l’enregistrement des entreprises sur la plateforme Impact (pour les employés publics et privés), la CNSS et le ministère des Finances devraient fournir une liste des entreprises enregistrées, des entités publiques et des entrepreneurs individuels (ou très petites entreprises) avec la liste de leurs employés qui devraient être enregistrés auprès de ces deux administrations pour bénéficier des subventions. Ce processus d’enregistrement devrait être contrôlé par des cabinets d’audit indépendants qui devraient signaler directement au comité susmentionné toute anomalie ou tout enregistrement irréguliers sur la plateforme.

Une fois cette phase achevée, une fenêtre sera ouverte pour l’enregistrement ultérieur des entreprises et des employés n’apparaissant pas sur les listes de la CNSS et du ministère des Finances. Ces entreprises informelles sont des contribuables cachés que le ministère n’a jusqu’à présent pas été en mesure d’identifier – la date limite fixée par la loi de finances de 2019, qui instituait une procédure d’identification des entreprises en situation de fraude, ayant été reportée à la fin août 2021 en raison de la suspension des obligations légales et administratives due à la crise de Covid-19 et à a double explosion du port de Beyrouth. En outre, de nombreuses entreprises emploient officieusement des personnes qui ne sont pas enregistrées à la CNSS afin d’économiser une partie des charges de cotisations sociales. Le processus d’enregistrement décrit ci-dessus sera ainsi une occasion de pousser les contribuables dissimulés à s’enregistrer auprès du ministère des Finances et de la CNSS afin de bénéficier des prestations. Augmenter ainsi le revenu fiscal et les cotisations sociales permettrait de réduire suffisamment le déficit budgétaire pour dégager des marges de manœuvre à même de financer cette protection sociale tout en allégeant en parallèle le poids de l’économie informelle.

S’agissant des prestations versées aux bénéficiaires enregistrés à titre individuel, elles devraient être transférées par le biais de la plateforme Impact aux personnes identifiées (chefs de famille sans emploi avéré et personnes handicapées ou retraitées) en dollars « frais » crédités sur des cartes de débit afin de mieux contrôler les paiements en espèces. Ces subventions devraient couvrir leurs besoins essentiels en termes de soins de santé, d’alimentation, de nutrition, d’éducation et d’eau.

Les versements aux employés devraient, eux, transiter par les entreprises, mais être payés directement aux employés par le même mécanisme décrit précédemment sur la plateforme Impact afin d’éviter tout problème éventuel de flux de trésorerie pour les entreprises. Ces subventions devraient couvrir le système d’allocation sociale existant, qui comprend le transport, la nourriture et la scolarité, déjà autorisés par les lois et règlements actuels. Cependant, le plafond déductible de ces prestations sociales devrait être augmenté en même temps que le montant des subventions pour tenir compte de l’inflation actuelle et devrait par ailleurs être plus élevé que le montant accordé aux personnes sans emploi afin de conserver un effet incitatif à l’emploi.

Prime à l’emploi

En sus des allocations susmentionnées qui permettront de couvrir les besoins essentiels des employés, chômeurs et retraités, la section relative aux entreprises de la plate-forme devrait inclure une prestation supplémentaire – une sorte de « prime à l’emploi » – versée en cas d’embauche de tout nouvel employé libanais (jeune diplômé ou chômeur). Cette prime couvrira le salaire de ce nouvel employé pendant un ou deux ans, sachant que les entreprises qui embauchent ces nouveaux employés doivent maintenir leur effectif actuel (aucun licenciement ne sera autorisé) pour en bénéficier. Elle s’ajouterait aux incitations aux incitations déjà prévues par la loi de finances de 2019 qui exonère toute entreprise dans les nouvelles technologies embauchant un jeune diplômé ou un chômeur des cotisations sociales (prises en charge par IDAL). Les bénéfices potentiels d’un tel dispositif sont multiples. Du côté de la demande, les jeunes et les chômeurs libanais seront encouragés à trouver un emploi pour bénéficier de plus de subventions lors de leur entrée ou retour dans la vie active. Du côté de l’offre, les très petites entreprises et les entrepreneurs trouveront ainsi un avantage à s’inscrire dans les registres officiels du ministère du Travail et de la CNSS pour bénéficier d’une main-d’œuvre gratuite ou d’un « apprenti » à former, et ainsi soutenir des professions essentielles, telles que les électriciens, les plombiers, les charpentiers et les artisans. Ces mesures permettront également de remplacer la main-d’œuvre étrangère par des ressortissants libanais et contribueront ainsi à réduire le déficit de la balance des paiements grâce à la réduction des transferts de devises vers l’étranger. Il s’agira également d’une première pierre dans la réforme de l’administration électronique où tous les citoyens libanais auront un numéro d’identification unique (qui sera évidemment leur numéro d’identification fiscale), et d’une étape importante dans la bonne gouvernance et la responsabilité des affaires publiques grâce à la collaboration entre les secteurs public et privé avec des comités de surveillance et des audits réalisés par des cabinets d’audit indépendants.

En ce qui concerne les investissements, le montant serait alloué au financement de projets d’infrastructure, plus particulièrement dans le domaine des transports publics et/ou de l’énergie. Étant donné que l’arrêt du programme de subvention est prévu pour bientôt du fait de l’épuisement des réserves de change de la BDL, la population sera confrontée à une situation catastrophique avec des prix qui augmenteront de façon spectaculaire. Cela aura un impact sérieux, notamment sur les factures de transport et d’électricité en raison de l’augmentation du prix du carburant. Par conséquent, investir dans l’amélioration des transports publics et/ou des énergies renouvelables permettra de compenser l’impact sur la population tout en ayant un effet positif à plus long terme sur notre économie. Par exemple, permettre au secteur privé, aux universités, aux écoles, aux hôtels, aux hôpitaux et aux grandes institutions d’obtenir des prêts à taux zéro pour la construction et l’installation d’unités de production d’énergie propre aura de nombreux avantages pour l’économie.

Enfin, toutes ces mesures créeront un stimulus pour de nouvelles opportunités d’emploi dans de nombreux domaines qui contribueront à maintenir les emplois tout en réduisant le chômage et la taille de l’économie souterraine. Elles assureront également la traçabilité et le contrôle de l’aide humanitaire tout en coupant la route vers l’escalade du chaos social et l’exploitation des subventions comme outil de préservation du clientélisme politique. Ce, du moins, jusqu’aux prochaines élections législatives, lesquelles représentent le seul véritable moyen pour les Libanais de demander des comptes à leurs dirigeants.

Nadim A. DAHER, Associé gérant du cabinet Daher & Partners et trésorier du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprise libanais.

Jean TAWILÉ, Économiste et membre du conseil d’administration du RDCL.

Le conseil d’administration du FMI a approuvé le 9 juillet une allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) équivalant à 650 milliards de dollars afin de créer de nouvelles ressources pour les pays dans le besoin, de renforcer les liquidités de ses membres et de leur permettre d’améliorer leur réponse à la crise de Covid-19. Cette allocation devrait être mise en œuvre...

commentaires (7)

Il faudra qu'il y ait un contrôle strict et neutre pour empêcher que cette aide atterrisse dans certaines poches (toujours les mêmes).

Politiquement incorrect(e)

16 h 01, le 25 juillet 2021

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Commentaires (7)

  • Il faudra qu'il y ait un contrôle strict et neutre pour empêcher que cette aide atterrisse dans certaines poches (toujours les mêmes).

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 01, le 25 juillet 2021

  • tres bonnes idees. UN PROBLEME DE TAILLE SE POSE : comment se fier a des stats inexistants ou falsifiees pour ce qui une liste des citoyens VRAIMENT eligibles a ces prestations ? a qui faire confiance pour en etablir de vraies ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 42, le 25 juillet 2021

  • IL FAUT LEUR INTERDIRE LE TIRAGE A MOINS QUE LE FMI DISPOSE D,EMPLOYES DE CONFIANCE AU LIBAN ET CONTROLE L,UTILISATION DU MONTANT. IL NE FAUT PAS OUBLIER QU,ON A A FAIRE AVEC DES MAFIEUX QUI ONT DEJA DEVALISE LE PAYS ET SON PEUPLE. CONFIER QUEL MONTANT QUE CE SOIT A CES MAFIEUX SERAIT UNE ERREUR VOIRE UN CRIME CONTRE LE PEUPLE LIBANAIS. QUE CE MONTANT SOIT DISTRIBUE AUX DEPOSANTS QU,ILS ONT REDUIT A DES MENDIANTS AFFAMES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 39, le 25 juillet 2021

  • Aussi il est SUPER important de ne pas transiter cet argent a travers notre secteur public clienteliste, paresseux, assisté, corrompu et le transiter a travers le secteur privé, vrai hero de l economie, qui travaille et soutient l'economie en depit de tous les embuches que le secteur public leur jete.

    Tina Zaidan

    08 h 46, le 25 juillet 2021

  • Les idees de l auteur sont sensés. Mais il est tres important de bien cibler les aides et de ne pas creer une nouvelle classe d'assités satisfaits avec leur aides qui ne veulent pas travailler a l'instar des palestiniens qui beneficient de l UNRWAdepuis 70ans. Il faut uttiliser cet argent pour reduire les transfers exterieurs en USD. Pourquoi ne pas donner aux femmes qui acceptent de travailler comme domestiques pour reduire les domestiques etrangeres et les transferts? Pourquoi ne pas faire une usine de lampes led ou de panneaux solaires locale? Pourquoi ne pas etudier la facture des importations et uttiliser cet argent pour la reduire a long terme.

    Tina Zaidan

    08 h 42, le 25 juillet 2021

  • Il n'est pas interdit de rêver....

    Christine KHALIL

    08 h 21, le 25 juillet 2021

  • Il ne faut se faire aucune illusion. Avant meme d'etre recus, ces sous sont deja destines par les finances de l'etat a alimenter avant tout la corruption et aussi la contrebande, vers la Syrie (et d’autres pays), de carburant, de médicaments et d’autres produits subventionnés.

    Michel Trad

    01 h 20, le 25 juillet 2021

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