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Lifestyle - Cinéma

Comment survivre dans le marécage de Beyrouth ?

« The Sea ahead » (Face à la mer) d’Ely Dagher – sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, une des sections du Festival de Cannes – marque le retour du jeune réalisateur sur la Croisette après sa Palme d’or pour son court-métrage « Waves 98 ».

Comment survivre dans le marécage de Beyrouth ?

« The Sea ahead », un film noir à la beauté étouffante d’Ely Dagher.

Il vient de présenter à la Quinzaine des réalisateurs son premier long-métrage de fiction, The Sea ahead ou Face à la mer. Le film pourrait déjà évoquer dans son titre des horizons nouveaux, brillants et clairs. Il n’en est rien. Il pourrait aussi rappeler l’inverse de ce fameux adage : « L’ennemi devant soi et la mer derrière », car dans ce cas de figure, c’est elle, cette mer, qui est l’ennemi. Ely Dagher, jeune réalisateur libanais déjà palmé à Cannes en 2015 pour son court-métrage d’animation Waves 98, a voulu traduire dans son premier long-métrage de fiction, The Sea ahead, la dualité de cette mer qui semble être une évasion pour les Libanais, mais qui représente en fait des horizons qui se referment petit à petit sur lui. Ce peuple porte en lui un passé déjà chargé, un présent lourd et un avenir incertain. Manal Issa est Jana, le principal personnage du film, une jeune fille qui traîne sa vie comme un boulet. Elle joue le rôle d’une jeune rapatriée dans son pays qui revient d’une expérience ratée de l’exil. On ne sait pas pourquoi, d’ailleurs qu’importe la raison ? Dans son attitude, son allure, son regard, on lit un passé qu’elle ne parvient pas à exorciser. Mal dans sa peau, dans sa ville de Beyrouth qu’elle ne reconnaît plus – de l’appartement de ses parents, on n’entrevoit plus qu’un bout de mer, dit-elle à sa mère –, elle semble être dans une sorte de limbes, de paralysie totale qui l’empêche d’avancer. Ses parents ne comprennent pas cet état de choses. Eux-mêmes par leur état statique semblent être des morts-vivants, anesthésiés qui ne se posent plus trop de questions. « On a toujours parlé des problèmes de l’exilé », précise le metteur en scène. En effet, le Liban a toujours été une terre d’exil où des populations en masse émigraient à des moments cruciaux de la vie du pays. « Mais, poursuit Ely Dagher, personne n’a jamais parlé des problèmes d’adaptation de celui qui partait et qui revenait dans son pays. J’ai voulu en parler parce qu’ils sont aussi nombreux, les Libanais à avoir fait le choix du départ et à être revenus, croyant que la situation allait changer au pays. » Ils n’en sont que plus déçus. Partir ? Revenir ? Ou ne jamais partir et se laisser mourir, phagocyté par un état mental asphyxiant ? Telle est la question-clé que pose Ely Dagher dans The Sea ahead.

Manal Issa et Roger Azar, une génération désenchantée dans « The Sea ahead », d’Ely Dagher. Photos DR

Dans les limbes

L’idée du film a germé dans son esprit peu après Waves 98, alors que les crises au Liban sont allées crescendo, atteignant la puissance maximale ces dernières décennies. Le feu en effet couvait sous la cendre. Et ce fut tout d’un coup l’implosion de Beyrouth comme si cette ville explosait de l’intérieur. Une raison qui a poussé le jeune réalisateur à faire son long-métrage, afin d’exprimer sa colère, ses angoisses et sa peur du lendemain. Des frayeurs et des sensations qui ne pouvaient suffire dans un court-métrage. De la crise de déchets, où Beyrouth semblait une énorme poubelle et où les Libanais faisaient face à leur propre pourriture, voire putréfaction au quotidien, à la crise financière et la paupérisation, le Liban perdait petit à petit son ADN de chaleur, de jovialité. Ely Dagher ne filme pas Beyrouth la dansante, la chantante et la brillante comme dans les cartes postales, mais Beyrouth la ville fantôme, décharnée et sombre. Des angles travaillés avec beaucoup de précision, des « storyboards » détaillés écrits en amont avec les nombreux mouvements de caméra possibles. Chez Ely Dagher, l’image est parlante. Il place son paysage de mélancolie et « d’intranquillité » et invite le spectateur à y pénétrer.

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C’est à partir de l’agitation imaginative que se crée un film

Le réalisateur a toujours fait fi des étiquettes que les Libanais donnent aux films. « Au Liban, on ne respecte pas assez le cinéma d’animation. Mon premier court, je l’ai réalisé et produit tout seul. Je n’ai eu besoin de personne et j’ai eu la Palme. Aujourd’hui, ce long-métrage coproduit par Abbout a été réalisé avec des techniciens et des acteurs et actrices (Manal Issa, Roger Azar, Yara Abou Haïdar, Fadi Abi Samra et Rabih el-Zaher) qui ont compris ce que je voulais dire et comment je voulais le dire, et qui ont travaillé en symbiose avec moi. Nous étions comme une petite famille. D’abord Manal Issa qui comprenait exactement si je devais changer une scène ou une autre, mon frère Joe Dagher qui a fait ses études de musique aux États-Unis et qui signe sa première composition musicale, mais aussi Rana Eid, qui de concert avec Rawad Hobeika et Philippe Charbonnel a planté un son hallucinant. »

The Sea ahead, un film noir à la beauté étouffante qui témoigne de la mort lente du Liban, et où on a l’impression d’être dans les limbes. Ely Dagher se dit satisfait d’avoir réalisé une œuvre artistique qui a touché le public de Cannes, mais avoue avoir une étrange sensation de tristesse.

« La situation est tellement triste, tellement paradoxale, dit-il. Je raconte la mort de mon pays dans un moule artistique. Peut-on encore espérer que l’art soit utile à ce niveau de désolation ? »

Il vient de présenter à la Quinzaine des réalisateurs son premier long-métrage de fiction, The Sea ahead ou Face à la mer. Le film pourrait déjà évoquer dans son titre des horizons nouveaux, brillants et clairs. Il n’en est rien. Il pourrait aussi rappeler l’inverse de ce fameux adage : « L’ennemi devant soi et la mer derrière », car dans ce cas de figure, c’est...

commentaires (1)

Bonjour. Je viens de lire l'analyse du film et je dois dire qu'ayant vu ce film lors de sa projection à Cannes, j'en suis sortie mortifiée . Où est la beauté ? Tout est glauque à commencer par Jana car même dans les pires moments

Lilou BOISSÉ

15 h 03, le 20 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Bonjour. Je viens de lire l'analyse du film et je dois dire qu'ayant vu ce film lors de sa projection à Cannes, j'en suis sortie mortifiée . Où est la beauté ? Tout est glauque à commencer par Jana car même dans les pires moments

    Lilou BOISSÉ

    15 h 03, le 20 juillet 2021

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