Critiques littéraires Bande dessinée

Lamia Ziadé, conteuse du présent

Lamia Ziadé, conteuse du présent

Mon Port de Beyrouth de Lamia Ziadé, P.O.L., 2021, 256 p.


Lamia Ziadé nous avait habitués à de belles et denses évocations du passé. Bye bye Babylone : Beyrouth 1975-1979 retraçait son enfance durant la guerre civile. Ô nuit, ô mes yeux et Ma très grande mélancolie arabe proposaient une fresque culturelle et sociale du monde arabe du XXe siècle.

Même s’il pourrait apparaître, formellement, dans la directe continuité des trois autres, Mon Port de Beyrouth est un ouvrage à part. Réalisé en direct, alors que les conséquences du drame continuent sans cesse de se manifester, c’est un livre forcément plus réactif que les précédents, mais au sens noble du terme. Empreint d’urgence, réagissant à cœur ouvert à un présent en mouvement, le livre arrive à mêler la révolte à une admirable vision d’ensemble, historique et culturelle, partagée autant qu’individuelle.

Lamia Ziadé le raconte avec émotion : elle entretient une longue histoire d’amour avec le port de Beyrouth. Un lien personnel mais aussi familial. Ses silos, en particulier, ceux-là même qui sont aujourd’hui l’image emblématique du drame, lui tiennent à cœur. Ne sont-ils pas nés avec elle, en 1968 dans un Liban d’avant la lente et longue descente aux enfers ?

Traiter de l’explosion ne pouvait permettre un récit uniquement apaisé. De l’évocation déchirante des visages et des récits des victimes, au récit de l’ardeur qui a porté un peuple dans la rue en octobre 2019 en passant par des retours en arrière vers des épisodes familiaux intimement liés au destin national, chaque aspect du livre est chargé d’une saine révolte.

Lamia Ziadé le dit : c’est nourrie des récits partagés sur Instagram qu’elle a réalisé ce livre. Pour le lecteur libanais, pour qui chaque histoire évoquée, chaque image revisitée, chaque témoignage que le livre reprend est familier, pour ce lecteur qui a vécu cette dernière année au rythme des mêmes images, mais de manière dispersée, aléatoire, tourbillonnante, ce livre apparaît comme la somme condensée, terrible mais nécessaire, d’une année indigérable. Après lecture, même posé fermé sur nos étagères, c’est comme si l’ouvrage était vivant et qu’il vibrait de l’intérieur, ses couvertures closes renfermant un conglomérat de sentiments bouillonnants.

Les aquarelles de Lamia Ziadé ont cela de touchant que, tout en ayant une esthétique aujourd’hui très identifiable, elles proposent, dans leur réalisme, une forme de respect pour le modèle. Une manière qu’a la dessinatrice de ne pas se mettre plus en avant que le sujet qu’elle représente. Il y a dans ces dessins le sentiment que Lamia Ziadé « passe du temps » avec ses sujets. Que les heures de réalisation de ces aquarelles sont des moments de partage qui, quels que soient les sentiments qui sont en jeu, sont remplis d’affect. L’essentiel est dans cet affect, et dans la sincérité présente à chaque ligne et à chaque trait.

À force de creuser avec maintes nuances son sillon, fait d’une alternance inédite entre textes-témoignages et dessins-mémoires, Lamia Ziadé a inventé un genre. Et c’est chaque fois une réussite.

Mon Port de Beyrouth de Lamia Ziadé, P.O.L., 2021, 256 p.Lamia Ziadé nous avait habitués à de belles et denses évocations du passé. Bye bye Babylone : Beyrouth 1975-1979 retraçait son enfance durant la guerre civile. Ô nuit, ô mes yeux et Ma très grande mélancolie arabe proposaient une fresque culturelle et sociale du monde arabe du XXe siècle.Même s’il pourrait apparaître,...

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