Des routes coupées dès le matin, des files toujours interminables devant les stations-service, du moins celles qui ont ouvert, une livre libanaise qui poursuit sa descente aux enfers face au dollar et des pharmacies qui menacent de fermer faute de médicaments : le Liban a entamé, vendredi, une nouvelle journée dans un contexte de crise aiguë.
Si ces dernières semaines les coupures de routes par quelques manifestants excédés étaient signalées en fin de soirée, c'est dès ce matin que des axes dans plusieurs régions du pays étaient bloqués à la circulation.
Dans la capitale Beyrouth, la route de Mazraa a été bloquée dans les deux sens au niveau de la mosquée Abdel Nasser, au milieu d'un important déploiement militaire et d'embouteillages monstres. Plus loin dans la Békaa, la route de Masnaa-Rachaya a été bloquée au niveau de la localité de Ghazzé à l'aide de bennes et de gravats, selon notre correspondante dans la Békaa, Sarah Abdallah. Toujours dans la Békaa, des conducteurs de Tuk-Tuk ont pour leur part brièvement coupé la route devant la mosquée de Saadnayel en protestation contre la pénurie d’essence.
En soirée, plusieurs routes étaient coupées à travers le pays par des protestataires en colère : l'autoroute de Zouk Mosbeh dans les deux sens, l'autoroute de Naamé, la route principale de Nabatiyé el-Faouqa (Liban-Sud) et la route Masnaa - Rachaya (Békaa).
Coups de feu et serpents
Une pénurie dont souffrent les résidents du Liban depuis des mois déjà. Un problème qui vient s'ajouter à une multitude d'autres casse-tête au quotidien. Ainsi, les images de files monstres devant les stations services se répétaient aujourd'hui. Le tout, pour quelques litres à peine d'essence. La situation a dégénéré devant certaines pompes à essence. Dans le quartier beyrouthin de Kaskas et à Tripoli, dans le Nord, des coups de feu ont été signalés dans des stations-service. La situation a pris une tournure absurde devant une autre station, où un conducteur en colère aurait sorti... deux serpents pour menacer les employés, selon des images qui circulent sur les réseaux sociaux.
Cela fait des mois que les relations entre la filière et la banque du Liban se compliquent au gré des difficultés liées au processus de déblocage des subventions devant financer le carburant importé. Au coeur de cette crise, se trouvent les retards désormais récurrents de la BDL dans le déblocage des crédits devant régler les commandes des importateurs de carburant (essence, diesel ou mazout, gaz domestique). Le processus qui s’inscrit dans le cadre du mécanisme de subvention de facto dont ils bénéficient depuis le début de la crise. C'est dans ce contexte que Georges Brax, le porte-parole des propriétaires de stations-service du pays, a proposé, jeudi, de lever progressivement ce mécanisme d’ici au début de l’automne avec certains aménagements.
Intervention de l'ONU ?
La crise frappe également de plein fouet le secteur de santé qui souffre de grave pénuries lesquelles mettent désormais en danger la vie des patients. C'est pourquoi les "blouses blanches", un collectif de médecins et d'infirmières, ont observé vendredi un sit-in devant le ministère de la Santé à Beyrouth, tirant ainsi la sonnette d'alarme quant à la survie du secteur médical. Pour eux, la situation est devenue tellement inquiétante qu'elle nécessite une "intervention immédiate" des Nations unies, de l'Organisation mondiale de la Santé et de la Banque mondiale.
"Ce n'est pas pour que les gens meurent aux portes des hôpitaux que nous avons mis des années à préparer nos diplômes", s'est indignée le docteur Nathalie Nader Mahfoud, dans des propos accordés à L'OLJ, dénonçant "le manque de matériel médical dont le secteur souffre au quotidien. "Nous sommes dans l'enfer. Il est temps de sortir", a-t-elle tonné.
Selon notre journaliste sur place Mohammad Yassine, des représentants des manifestants sont parvenus à entrer dans les locaux du ministère pour demander à s'entretenir avec le ministre sortant, Hamad Hassan, ou son représentant.
De nombreux pharmaciens du pays observaient parallèlement une grève censée durer jusqu'à lundi. Les fonctionnaires aussi ont levé le pied pour protester contre la crise en cours.
Nouvelles perquisitions
Le ministre de la Santé, lui, était sur le terrain, perquisitionnant à Hazmieh et Bauchrieh des entrepôts de médicaments et équipements sanitaires non distribués sur le marché local, alors que les Libanais peinent à trouver ces biens.
La pénurie de médicaments et matériel médical qui frappe le Liban est due au différend opposant les importateurs d’équipements médicaux à la Banque du Liban au sujet de la subvention à 85 % de leurs achats au taux de change officiel, soit 1.507 livres libanaises pour un dollar. La BDL subventionne depuis le début de la crise économique et financière (octobre 2019) les importations de médicaments et de matériel médical. Mais avec des réserves qui ont atteint un seuil critique, elle scrute plus méthodiquement les factures qui lui sont présentées et agite le spectre d’un arrêt de la politique de subvention, faisant craindre le pire. Faute d'équipements médicaux, les dialyses rénales pourraient ne plus être réalisées à partir de la semaine prochaine, a averti, jeudi, le syndicat des propriétaires d'hôpitaux privés, alors que certains laboratoires refusent désormais d'effectuer certains tests.
15.000 LL pour un dollar
Ce climat délétère a directement impacté la livre libanaise, déjà en lambeaux face au dollar. Ainsi, en milieu de journée, le billet vert s’échangeait, selon les plateformes non officielles rapportant le taux de change sur le marché noir, à 15.000 livres libanaises, un seuil rarement atteint depuis le début de la crise économique dans le pays, déclenchée il y a deux ans. Selon notre notre correspondante dans la Békaa, Sarah Abdallah, le billet vert aurait même dépassé ce seuil auprès de certains changeurs sur marché parallèle, s'échangeant à 15.100 LL.
Le taux dollar/livre libanaise avait atteint la barre des 15 000 LL une première fois il y a quelques mois, provoquant la panique dans le pays, avant de se stabiliser autour de 12.000 LL. Mais celui-ci est reparti à la hausse ces derniers jours, alors que la crise socio-économique et financière, l'une des plus graves depuis 1850 selon la Banque mondiale, ne cesse de s'aggraver.
La livre libanaise est en chute libre depuis fin 2019. Le taux officiel du dollar est toujours à 1.515 LL, un taux quasi-inexistant, sauf à quelques exceptions près. Depuis le début de la crise, la monnaie nationale a perdu plus de 87% de sa valeur.
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NZALO HA CHEREH YA KLEB CHO NATRENE
Derwiche Ghaleb
21 h 03, le 12 juin 2021