Devant les stations-service, des files d’attente s’étendent parfois sur des centaines de mètres, provoquant ainsi des embouteillages monstres dont les effets se font ressentir à des kilomètres à la ronde. La scène est la même depuis plusieurs semaines partout dans le pays, mais la situation semble avoir pris une tournure plus dramatique ces derniers jours. Les stations ouvertes sont de moins en moins nombreuses et celles qui continuent de travailler ont réduit leurs heures d’ouverture et durci le rationnement. De plus en plus inquiets face à cette situation, les automobilistes n’hésitent pas à patienter pendant des heures pour remplir leurs réservoirs.
Ali al-Masri, un électricien d’une cinquantaine d’années, attend son tour depuis 40 minutes dans une station de Hazmieh, dans la banlieue est de Beyrouth. Derrière lui, les voitures s’étendent sur deux files qui débordent sur l’autoroute qui longe la station. « Le pays a ce qu’il mérite. Les gens ont voté pour des pourritures, voilà le résultat. Nous sommes obligés de faire la queue pour obtenir quelques gouttes d’essence », lance Ali, qui assure ne pas avoir voté lors des dernières législatives. « Ceux qui ont vendu leurs voix pour quelques centaines de dollars paient le prix maintenant. Les zaïms, eux, ne font pas la queue pour faire le plein », dénonce-t-il. Quelques heures plus tôt, Ali avait tenté sa chance dans une station de Sin el-Fil, en vain. « J’ai fait la queue pendant trente minutes là-bas. Puis on nous a demandé de partir car il n’y avait plus d’essence », raconte ce père de trois enfants. Le tour d’Ali arrive enfin et il demande à faire le plein, ce que cette station gérée par une compagnie internationale accepte. Mais ce n’est pas le cas des stations gérées par des particuliers et qui imposent des restrictions pour préserver leur stock. « La compagnie nous demande de continuer à servir nos clients jusqu’à épuisement de nos réservoirs », confie un des employés de l’établissement, sous le couvert de l’anonymat.
« On verra demain »
Quelques voitures plus loins, Bassam, gérant dans une pâtisserie, est visiblement au bord de l’effondrement. « La situation est catastrophique. Cela fait une heure que je fais la queue. J’essaie de ne pas m’énerver. Je crois qu’il faut quitter le pays tant qu’on peut, il n’y a pas d’espoir, confie ce trentenaire à L’Orient-Le Jour. Mais ici au moins, je peux faire le plein. Ailleurs, on attend des heures pour avoir quelques litres d’essence pour 20 000 LL », se reprend-il. Georges, la trentaine, a passé plusieurs jours à faire la tournée des stations, dans l’espoir d’obtenir de l’essence. Mais il renonçait à chaque fois à la vue des files d’attente. Il a finalement pu mettre un peu moins de vingt litres d’essence dans son réservoir à sec, au bout de deux heures d’attente hier dans une station du quartier beyrouthin de Jeïtaoui. « Je vais tenter maintenant d’autres stations », dit-il. Recontacté par L’OLJ quelques heures plus tard, il expliquera avoir abandonné. « On verra demain », lâche-t-il, dépité.Si Georges a réussi à prendre son mal en patience, certains automobilistes excédés en sont venus aux mains. Une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux montre une bagarre survenue hier dans une station de Corniche Mazraa, à Beyrouth. Une rixe a également éclaté en fin d’après-midi à Hlaliyé, dans la région de Saïda, entre plusieurs personnes qui patientaient pour faire le plein, selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle). Il y a quelques semaines, le fils d’un propriétaire de station-service à Bebnine (Akkar) a été tué par balle par un client qui insistait pour faire le plein.Commentant la situation, le porte-parole du syndicat des propriétaires de stations-service, Georges Brax, a dénoncé hier l’« humiliation » des citoyens et des employés du secteur. « Pour quelles raisons veulent-ils continuer à humilier les citoyens et les propriétaires de station-service ? » s’est-il demandé. Le rationnement du carburant est dû, selon les différents professionnels du secteur, à des modifications apportées par la Banque du Liban au mécanisme de subvention permettant aux importateurs d’obtenir des dollars au taux officiel de 1 507,5 livres pour un billet vert, ce qui ralentit, voire paralyse, le déchargement des navires de ravitaillement et donc l’approvisionnement des stations. À cela s’ajoutent les craintes des Libanais d’une levée de ces subventions sur le carburant (lire par ailleurs).
Faire la queue dès le matin à 5 heures
La situation n’en était pas moins chaotique hier au niveau de l’autoroute reliant Jounieh à Beyrouth. Les automobilistes qui s’y trouvaient ont été pris dans des embouteillages interminables, dus à des files d’attentes devant les multiples stations qui longent l’autoroute des deux côtés. « Le paysage était chaotique. Il y avait des files d’attente d’un kilomètre au moins devant chaque station. Nous avons passé une heure de plus sur la route à cause des embouteillages », raconte Lara, qui se rendait de Kaslik à Beyrouth.Dany Habchi, propriétaire d’une société de taxis à Beyrouth, confie avoir refusé de nombreuses courses cette semaine. « On m’a appelé pour des courses vers Sarba et Jbeil. Mais ce n’est plus possible avec la crise. Je n’accepte plus que quelques commandes dans le secteur, confie M. Habchi à L’OLJ. Avant, nous avions des accords en tant que chauffeurs de taxi avec certaines stations-service. Mais cette semaine, elles ont refusé que l’on fasse le plein. Nous n’avons eu droit qu’à 30 000 LL d’essence pour chacune de nos voitures ! »
« La moitié de mes chauffeurs ont arrêté de travailler, faute de pouvoir se ravitailler en carburant », déplore M. Habchi, dont l’expérience est le signe d’une régression alarmante du secteur du transport public.
Dans le sud du pays, ce sont les mêmes files d’attente qui ont été observées un peu partout. Certains automobilistes n’ont pas hésité à se rassembler devant les stations dès le matin à 5 heures, pour être sûrs de remplir leurs voitures. La crise est à son comble dans les régions de Nabatiyé et Tyr, explique notre correspondant Mountasser Abdallah, qui indique que la plupart des stations n’ont plus d’essence, tandis que d’autres ne travaillent plus que deux heures par jour pour préserver leurs réserves.
Les automobilistes se rendent donc à Saïda pour remplir leurs réservoirs, ajoute-t-il.Dans la Békaa, la plupart des stations sont ouvertes, rapporte notre correspondante Sarah Abdallah, mais uniquement de 10h à 13h. « À Jdita, les automobilistes viennent se poster devant les stations dès 8 heures », témoigne un habitant de la région. « Mon mari a fait 5 stations. Dans chacune il a pu obtenir de l’essence pour 20 000 LL. C’est comme cela qu’il a réussi à faire le plein », confie pour sa part une autre habitante de la région.Face au risque de pénurie, de nombreuses personnes ont commencé à stocker des bidons d’essence chez eux, une pratique dangereuse et punie par la loi, rappelle la Direction générale du pétrole. « Stocker de l’essence chez soi est dangereux et peut provoquer des incendies. Il y a des dispositifs scientifiques, techniques et environnementaux à observer avant de stocker de l’essence. Ces conditions sont uniquement présentes dans les stations », explique cette instance dans un communiqué.
Des files se forment devant les minoteries du Liban-Sud de crainte d’une levée des subventions sur la farine « extra »
Les craintes d’une levée des subventions sur l’importation de la farine « extra », utilisée pour fabriquer certains types de pain, ont poussé hier les boulangers et certains habitants du Liban-Sud à se ruer devant certaines minoteries afin de s’approvisionner.
Ces craintes font suite, selon le responsable d’une minoterie de la région, aux déclarations du président de la Confédération générale des travailleurs libanais (CGTL) Béchara el-Asmar, qui avait fait état d’une volonté du ministère de l’Économie de supprimer les subventions sur ce type de farine, utilisée pour produire des manakiche (galettes au thym cuites au four), du pain français et certaines pâtisseries.
Selon l’Agence nationale d’information (ANI, officielle), des files de citoyens et de propriétaires de boulangeries se sont ainsi formées dans la journée devant des entrepôts de la région de Nabatiyé afin de se procurer des sacs de cette farine.
Le responsable d’une minoterie du Sud a précisé que les boulangers de la région « craignent une pénurie ou la levée des subventions » qui risquent de provoquer une augmentation importante des prix de la farine extra. Ce secteur « fait vivre 30 % des habitants du Sud, entre propriétaires de boulangeries, employés et distributeurs », a avancé ce minotier, qui rappelle que les subventions ont déjà été supprimées sur la levure et le sucre. Le secteur est également impacté par les pénuries d’électricité et de carburant ainsi que par l’inflation en général, a-t-il déploré. Il a dans ce cadre appelé les responsables concernés à intercéder « immédiatement » auprès du ministère de l’Économie afin que la suppression des subventions sur cette farine, qu’il a qualifiée de « décision de mise à mort collective de milliers de familles », ne soit pas prise. Il a par ailleurs exhorté les boulangers à ne pas stocker le blé, ce qui risquerait de créer une « crise étouffante ».
commentaires (11)
Le système confessionnel est le cancer de l’état libanais! L’alliance Aoun-Nasrallah-Bassil a sacralisé ce système de partage!! Un système confessionnel et clientéliste qui paralyse toutes les institutions républicaines…
Alexandre Husson
21 h 47, le 11 juin 2021