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Lifestyle - Rescapés du 4 août

À quelques encablures du port, se trouvait la maison du bonheur de Nada Jezzini

C’est l’histoire d’une maison, de familles, d’hommes et de femmes qui s’agrippent à leur passé. Plus de 10 mois après la tragédie du 4 août, ces habitants des quartiers les plus touchés de la capitale sont rentrés chez eux en tentant de (sur)vivre et parfois même de sourire. L’une d’entre eux, Nada Jezzini, livre, la première, son témoignage.

À quelques encablures du port, se trouvait la maison du bonheur de Nada Jezzini

Dans une bâtisse encore endommagée par la double explosion du 4 août, Nada Jezzini a réintégré son appartement au rez-de-jardin.

Dans un quartier qui porte encore les stigmates de la destruction de Beyrouth, Nada Jezzini et son fils Marc, de vrais miraculés, ont réintégré leur domicile, malgré tout. « C’est lorsque j’ai allumé le lustre du salon, que j’ai vu la lumière éclairer ma maison, que je me suis sentie mieux », souligne Nada Jezzini, après avoir enfin retrouvé ses repères. Rescapée de la double explosion du 4 août, elle habite la rue Pharaon, à 100 mètres à vol d’oiseau des silos du port de Beyrouth, face à l’immeuble Skyline. À 18h07, en ce jour fatidique, cette mère de deux garçons, Marc 26 ans et Michel 31 ans, se trouvait chez elle. « Je suis sortie de ma chambre à la première explosion et me suis précipitée au salon. Quelques instants plus tard, à la seconde explosion, tout a basculé. J’ai vu mon fils Marc grièvement blessé, saignant devant mes yeux et je ne pouvais rien faire pour lui. Je pense que c’est la pire des choses qu’une mère puisse vivre. J’ai voulu laver mon visage ensanglanté, mais tout avait sauté, même les canalisations d’eau. » « Et puis nous sommes sortis dans la rue. C’était l’apocalypse », se souvient-elle la voix encore chargée d’émotion et de larmes, 10 mois plus tard.

Nada Jezzini habite le rez-de-chaussée d’un immeuble datant de presque un siècle. Son appartement donne sur la rue. De son balcon, elle regarde passer les gens, les chats, les jours, sa vie. Mais cette douce routine s’est arrêtée, en quelques secondes, le funeste 4 août. Il lui a fallu de longs mois et beaucoup de courage pour réussir à restaurer son intérieur, alors que les deux étages supérieurs du bâtiment demeurent entièrement soufflés, tout comme de nombreux immeubles du quartier dont le Beirut Skyline, qui dressent toujours leur allure de carcasses, de fantômes.


Nada Jezzini, le regard chargé d’une nostalgie qui ressemble à de la tristesse. Photos Carla Henoud

Le meilleur et le pire

« Mon mari est né dans cette maison. Tout ça, c’est lui. C’est ici que j’ai élevé ma famille. Toute ma vie est là », confie Nada Jezzini, inquiète pour son avenir. Ancienne locataire, elle craint que le propriétaire décide de mettre fin à son contrat et l’oblige à partir. Discrète, élégante dans sa simplicité et sa pudeur, Nada Jezzini ne fait pas ses 51 ans. Dans son salon où elle tente encore de reprendre ses marques, sa mémoire, elle a remis à leur place les quelques objets épargnés par le souffle de l’explosion. Sur une table du salon trône le portrait de son mari Pierre, décédé il y a quatre ans, à 56 ans, des suites d’une longue maladie.

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« Cette maison a fait notre bonheur. Quelques jours avant l’explosion, j’ai rêvé de Pierre. Je rêve rarement de lui. J’ai rêvé que je dormais dans ma chambre et qu’il me réveillait pour m’amener au salon. Le 4 août, avec la première déflagration, j’ai effectivement couru de ma chambre au salon », raconte-t-elle. En colère contre tous les hommes politiques, sans exception, elle ne trouvera de repos, dit-elle, que quand justice sera faite. « Le 4 août, en sortant de chez moi, j’ai vu l’horreur. J’ai couru d’un hôpital à l’autre pour les découvrir, l’un après l’autre, détruits et sursaturés de victimes, alors que mon fils aîné nous cherchait sous les décombres », ajoute-t-elle. Cette femme menue et blonde, dont la peau contient encore des bris de verre et tout son traumatisme, a quitté l’hôpital au bout de deux jours pour se mettre au travail, dégager des pans de murs entiers qui s’étaient effondrés, balayer les gravats. « Les jeunes et les volontaires étaient déjà sur place. Ils nous ont aidés à nettoyer. Et puis de nombreuses ONG sont venues. C’est grâce aux bénévoles, au soutien de mes amis que j’ai pu restaurer ma maison », dit-elle, confiant qu’elle a dû habiter quatre mois hors de chez elle avant de réintégrer son appartement.


Ce qui reste du jardin autrefois planté par Pierre Jezzini, l’époux de Nada. Photo Carla Henoud


Demain est un autre jour

« Regardez, tout est neuf et bien fait, mais parfois je sens que ce n’est pas ma maison. Les vieux murs, les anciens tissus me manquent. Mon bonheur était là, dans les petites choses, dans mes souvenirs. Il m’a fallu de longues semaines pour pouvoir à nouveau dormir ici », confie-t-elle.

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Les deux années écoulées n’ont pas été faciles. Contrainte de quitter son travail pour s’occuper de son époux malade, elle donnait des leçons particulières chez elle. La crise économique, le confinement et l’explosion de Beyrouth ont eu progressivement raison des élèves qui se rendaient chez elle.


Nada Jezzini, chez elle, près des photos de son mari Pierre. Photo Carla Henoud

Nada Jezzini, qui refuse de baisser les bras, préfère voir le verre à moitié plein. Même s’il reste au fond de son regard un lourd voile de tristesse. Tout le monde dans le quartier connaît sa passion pour les chats. Elle vient d’ailleurs d’accueillir un chat abandonné qu’elle a décidé d’adopter et qu’elle cherche sous le canapé, entre deux réponses. « Je fais avec les moyens du bord et je préfère tout le temps me souvenir du bonheur qui emplissait cette maison. Pierre est lui aussi né dans cette maison familiale que ses parents ont habitée les premiers il y a plus de soixante-dix ans. Nous nous y sommes installés quand notre appartement a été endommagé par les obus durant la guerre. C’est ici que mes enfants ont grandi et, surtout, c’est ici que Pierre et moi nous nous sommes aimés. Il avait aménagé un jardin derrière la maison, avec des agrumes, des oliviers, des néfliers, du jasmin… Le jardin, c’est un peu son souffle qui est resté après son départ, mais lui aussi a été entièrement saccagé par l’explosion. Dix jours avant le 4 août, nous y avons célébré le mariage de mon aîné. Pierre et moi restions souvent à la maison, nous aimions y recevoir les proches. Cette maison était celle du bonheur. Aujourd’hui, je vis avec la peur de la perdre, mais je me battrai jusqu’au bout pour la garder. »

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Il est 19 heures passé. Le soleil vient de se coucher sur le port et ses silos meurtris, lourdement silencieux. Demain est un autre jour pour Nada et son voisin de palier Michel Assaad, lui aussi resté là et que nous retrouverons dans notre prochain article.

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