Depuis hier, l’initiative du président de la Chambre (pour la formation d’un nouveau gouvernement) joue les prolongations. En principe, Nabih Berry s’est donné une semaine de plus pour parvenir à un accord entre les deux parties en conflit, le camp du chef de l’État Michel Aoun et le Courant patriotique libre d’un côté, le Premier ministre désigné Saad Hariri et le courant du Futur de l’autre. Certains pensent même que ce délai supplémentaire pourrait être prolongé jusqu’à la fin du mois, mais les milieux diplomatiques se demandent si l’accord, impossible à trouver au cours des huit derniers mois, pourrait être atteint en deux semaines...
La question mérite d’être posée tant le fossé semble profond entre les parties en conflit. Malgré tout, Nabih Berry ne semble pas découragé et il a décidé de procéder à une nouvelle série de contacts en coordination avec le Hezbollah (ce dernier se chargerait de discuter avec le chef du CPL, Gebran Bassil, et lui-même contacterait Saad Hariri, tout en coordonnant son action avec le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt).
Aux dernières nouvelles, l’ultime obstacle qu’il faut encore aplanir porte sur l’identité de la partie qui devra choisir les deux ministres chrétiens qui restent : en effet, dans un cabinet de 24 membres, on compte 12 ministres chrétiens, dont sept considérés dans la part du chef de l’État, deux au courant des Marada et un au Parti syrien national social. Le nœud porte donc sur le choix des deux derniers ministres chrétiens. Depuis l’apparition de ce problème, le président de la Chambre, en coordination avec le patriarche maronite Mgr Béchara Raï, a fait de multiples propositions qui vont de l’idée de demander à MM. Aoun et Hariri de soumettre plusieurs noms dont deux seraient tirés au sort par Berry. Il y a eu aussi l’idée que Michel Aoun choisisse un et Saad Hariri l’autre, ou encore que le patriarche choisisse les deux parmi les noms acceptés par MM. Aoun et Hariri... D’autres idées du même genre ont aussi été lancées. Pourtant, jusqu’à hier matin, aucun accord n’avait été encore trouvé.
Beaucoup de Libanais ne comprennent pas l’importance du choix de ces deux ministres, qui serait donc le dernier obstacle qui entrave la formation du gouvernement.
Officiellement, pour le CPL, il s’agit d’une question de critères unifiés. Si le Premier ministre désigné peut choisir des ministres chrétiens, le chef de l’État devrait pouvoir lui aussi choisir des ministres sunnites, d’autant que, selon la démarche suivie actuellement, Amal et le Hezbollah sont en train de choisir les ministres chiites, le PSP et le Parti démocratique libanais choisissent respectivement les ministres druzes, le Tachnag choisit le ministre arménien et ainsi de suite. Pourquoi, dans ce cas, « l’appétit » (si l’on peut dire) de Hariri ne s’ouvre qu’au sujet des ministres chrétiens?
Cette argumentation ne fait pas l’unanimité, même au sein des chrétiens, puisque certains d’entre eux estiment que la priorité absolue est de former le gouvernement, même s’il comporte deux ministres chrétiens choisis par le président du Conseil. Mais, en réalité, selon des sources bien informées, ce problème en cache un autre bien plus important. Il porterait en fait sur la majorité des voix en Conseil des ministres.
Selon cette thèse, si les deux ministres chrétiens restants sont choisis par le Premier ministre désigné, cela permettra à ce dernier de pouvoir compter sur 13 à 14 voix lorsqu’une décision sera soumise au vote en Conseil des ministres (grâce à ses alliés), c’est-à-dire plus de la majorité. Ce qui veut dire qu’il est en mesure de faire adopter par le cabinet toutes les décisions de son choix, même si le chef de l’État et son camp ne sont pas d’accord.
Dans les détails, lorsqu’une proposition sera soumise au vote des ministres, M. Hariri aura de son côté les huit ministres qu’il a choisis dans le cadre de la division du gouvernement en trois parts, de huit membres chacune (il faut préciser que le ministre druze choisi par M. Joumblatt fait partie de ces huit, alors que celui choisi par Talal Arslane est intégré à la part présidentielle et le ministre PSNS est intégré à la part d’Amal et du Hezbollah). Il aura aussi de son côté les deux ministres des Marada et au moins un des ministres de M. Berry. S’il a en plus les deux chrétiens restants, il sera ainsi assuré d’avoir la majorité plus une des voix des membres du cabinet, et il pourra ainsi obtenir l’adoption de toutes les décisions de son choix. Or, dans ce contexte de crise de confiance aiguë entre le chef de l’État et le Premier ministre désigné, alimentée par les malentendus de ces derniers mois et les attaques précises de Hariri contre Aoun, ainsi que les ripostes de ce dernier, le chef du CPL estime avoir toutes les raisons de ne pas vouloir donner l’avantage au sein du cabinet à Saad Hariri.
En effet, dans ce sillage, le chef du CPL serait ainsi convaincu que Saad Hariri – et peut-être ses alliés – saisiraient la première occasion pour que le gouvernement adopte des décisions neutralisant l’audit juricomptable ou toute autre mesure de nature à combattre la corruption. D’autant que Michel Aoun a fait de ce thème le thème principal de la dernière partie de son mandat.
Selon les sources précitées, ce serait donc la raison cachée du refus du CPL de laisser Saad Hariri choisir les deux ministres chrétiens restants. L’enjeu caché pour le CPL et le camp présidentiel porterait en réalité sur le refus d’accorder à M. Hariri le contrôle de la décision en Conseil des ministres.
Du côté du courant du Futur, la volonté du camp présidentiel de choisir les deux ministres chrétiens restants cacherait, sous le prétexte des critères unifiés, une volonté de se doter du tiers de blocage en ajoutant indirectement deux ministres aux 8 de la part présidentielle.
Dans ce climat de tension, Nabih Berry pourrait avoir besoin de plus que deux semaines pour trouver un compromis acceptable par tous...
commentaires (11)
Vous voulez etre ministres ok sans rémunération . Quelle honte je n'ai jamais vu le Liban avec cette marchandage ..
Eleni Caridopoulou
20 h 06, le 08 juin 2021