
Le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni. Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé. Photos d’archives AFP
Deux hauts responsables qui sont sous le feu des projecteurs depuis le début de la crise que traverse le pays il y a aujourd’hui près de deux ans se sont exprimés à la télévision lundi soir, à quelques minutes d’intervalle. Le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni était invité sur la chaîne locale LBCI, tandis que le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé était interviewé par la chaîne saoudienne al-Hadath. Programmé il y a une semaine, ce dernier entretien avait été finalement décalé suite au tumulte provoqué par les propos sur l’Arabie saoudite du ministre libanais sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé.
Ghazi Wazni et Riad Salamé ont consacré une partie de leurs interventions à minimiser leur responsabilité dans plusieurs dossiers (retard de l’audit de la BDL, absence de loi sur le contrôle des capitaux, blocage des discussions avec le Fonds monétaire international, etc.), mais via des argumentaires majoritairement lacunaires. Le gouverneur s’est une nouvelle fois défendu contre les accusations à l’origine des procédures judiciaires lancées à son encontre, notamment en Suisse, sans toutefois avancer d’éléments concrets sur le dossier. Les deux hommes ont en revanche fourni quelques menus détails sur trois dossiers chauds : la rationalisation des subventions, la carte d’approvisionnement et le projet de remboursement partiel de certains dépôts bloqués par les restrictions bancaires illégales imposées aux Libanais depuis octobre 2019.
Rationalisation des subventions
Le ministre sortant des Finances a confirmé que les mécanismes de subvention actuels ne seront pas tous supprimés dans un avenir proche, en affirmant que « le blé et l’électricité » continueraient d’en bénéficier. Le ministre fait référence à deux mécanismes distincts. Le premier a été mis en place par la circulaire n° 530 de la BDL adoptée en octobre 2019 et qui permet aux importateurs de blé, de carburants (essence, mazout et gaz) et de médicaments d’échanger, via leurs banques, leurs livres libanaises contre des dollars au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar pour payer leurs fournisseurs à l’étranger. La circulaire n° 535, publiée en novembre, a ouvert ce même mécanisme, supposé limiter l’inflation liée à la dépréciation brutale de la livre, aux importateurs de matériel médical et aux matières premières destinées à l’industrie pharmaceutique. Pour le blé – celui qui sert à fabriquer le pain arabe –, le taux de couverture des factures des importateurs a été relevé à 100 % au cours de l’hiver.
Le second mécanisme est celui des avances du Trésor à verser à Électricité du Liban (EDL), qui existe depuis les années 1990 et qui aide le fournisseur d’État à financer ses achats de carburant en compensant le manque à gagner lié au fait que ses tarifs soient gelés depuis cette période en fonction d’un baril à une vingtaine de dollars. Bien qu’il s’agisse de mécanismes différents, les subventions et les avances sont financées à partir des réserves de devises de la BDL qui ont atteint un niveau critique.
Le ministre a, en revanche, affirmé que les subventions sur les médicaments seront réduites de 50 % – un ratio proche de celui inclus dans le plan de rationalisation émanant de la présidence du Conseil fin avril. Les subventions sur l’essence ainsi que celles couvrant certaines denrées alimentaires considérées comme nécessaires (via un autre mécanisme institué par les circulaires n° 556 et n° 557 adoptées en mai 2020 et amendées à plusieurs reprises) devraient être, elles, toutes supprimées. Le ministre a ajouté que l’objectif était de diviser la facture annuelle des subventions de moitié, soit de 6 milliards de dollars actuellement à 3 milliards. Il n’a en revanche pas évoqué ce qui était prévu pour le matériel médical.
Interrogé sur ce sujet, le gouverneur s’est, lui, contenté de renvoyer la balle au gouvernement, tout en soulignant que les réserves de devises de la BDL n’étaient presque plus constituées que des réserves obligatoires des banques, estimant ne pas avoir « l’autorité » de les utiliser.
Carte d’approvisionnement
Le jour de son passage à la LBCI, Ghazi Wazni avait annoncé avoir paraphé un projet de loi revêtant un caractère d’urgence élaboré par l’exécutif pour approuver le projet de carte d’approvisionnement et l’ouverture de « crédits supplémentaires additionnels » pour son financement. Une carte qui doit servir de substitut aux subventions, du moins pour une partie des ménages. Le président Michel Aoun a signé hier le décret, permettant de l’envoyer au Parlement. À la télévision, Ghazi Wazni a précisé que le projet de loi prévoyait d’allouer 137 dollars (en devises) par ménage à une population allant de 750 000 à 800 000 familles, soit 80 % de leur nombre total (des chiffres proches de ceux déjà évoqués dans les médias, mais qui ne sont confirmés par aucun recensement complet). Le coût de la mesure est estimé à 1,35 milliard de dollars par an que le ministère ne sait pour l’instant pas comment financer. Le ministre a évoqué deux pistes : une première visant à ponctionner les réserves de devises de la BDL et une seconde prévoyant de réaffecter « 200 à 300 millions de dollars » sur la portion encore non employée de l’enveloppe de prêts au Liban, déjà approuvée par la Banque mondiale (BM). Cette enveloppe a atteint 1,86 milliard de dollars, dont 950 millions n’ont pas encore été décaissés. Le ministre a affirmé avoir soumis cette proposition au directeur régional pour le Moyen-Orient de la BM, Saroj Kumar Jha, qui lui aurait répondu que l’organisation allait étudier la question.
Le ministre est par contre resté muet sur la reprise du processus d’élaboration du budget de l’État pour 2021, qui dit en principe intégrer les crédits devant financer la carte. Bloquée depuis janvier, la procédure est de plus hors des clous par rapport aux délais constitutionnels prévus.
Remboursement de certains dépôts
Le gouverneur de la BDL a beaucoup insisté sur le fait que les banques libanaises n’étaient pas en faillite en assurant notamment, comme il l’avait dit en avril à la presse locale, que « la plupart » des banques avaient souscrit aux exigences d’augmentation de capital et de provisions auprès des banques correspondantes imposées par la circulaire n° 154 d’août dernier.
Il est également revenu sur le projet de la BDL, révélé début mai, d’organiser avec les banques un processus de « remboursement » des dépôts en devises de certains clients floués par les restrictions bancaires imposées de force depuis près de deux ans et sans que le Parlement n’ait jugé nécessaire de les légaliser. Ainsi, les déposants libanais, ne pouvant plus retirer leurs dollars bloqués qu’en livres libanaises à un taux de 3 900 livres pour un dollar (soit trois fois moins que le taux actuel du marché parallèle), pourront, peut-être à partir de « fin juin », récupérer ces montants de manière « progressive », avec une partie décaissée en dollars et une autre en livres au taux du marché. Pour rappel, les dollars bloqués, aussi appelés « lollars » ou « dollars libanais », s’opposent aux dollars « frais », soit les « vrais » dollars en espèces ou transférés depuis l’étranger et dont la BDL garantit la disponibilité (circulaire n° 150 d’avril 2020).
Le gouverneur a rappelé que la mesure s’adressait aux clients des banques libanaises dont les dépôts en question sont inférieurs à 50 000 dollars, affirmant qu’ils représentaient environ « un million de comptes ». Si la mesure est acceptée par les banques, les déposants concernés pourront ainsi récupérer jusqu’à 25 000 dollars en devises et l’équivalent en livres au taux du marché. Le gouverneur a estimé que ce mécanisme, s’il est activé, sera positif pour la « confiance » vis-à-vis du secteur bancaire, même s’il ne s’agit pour lui que « d’un début ».
Mais ce projet, tout comme celui de la relance de la plateforme de change Sayrafa, est loin de convaincre tous les experts qui suivent l’actualité de la BDL, à l’image de l’ancien banquier Dan Azzi qui a consacré une tribune à ce sujet dans nos colonnes le 22 mai, entre autres.
commentaires (12)
Encore de l’engineering financier ? Sur le dos de qui cette fois et en faveur de qui ? Le cours de la livre s’est raffermi de 300 livres pour un $, 2,3 % tout de même, à l’annonce de ce scénario, amusant ! Dès que ces gesticulations cesseront l’on va se retrouver très vite à 20'000 ou plus, attachez vos ceintures !
TrucMuche
16 h 02, le 31 mai 2021