C’est une décision tardive et mitigée qu’a prise hier le Conseil d’État (CE) dans l’affaire qui oppose la procureure générale du Mont-Liban Ghada Aoun au procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate. Une décision qui s’explique, selon plusieurs observateurs, par les dissensions au sein du Conseil. Le CE a en effet rendu son verdict dans le cadre du recours présenté le 27 avril par Mme Aoun, pour faire suspendre puis annuler la décision du juge Oueidate de réorganiser les tâches au sein du parquet et de la dessaisir de facto des enquêtes sur les crimes financiers. Sans trancher sur la demande de suspension, le CE a décidé d’examiner cette demande en même temps que le fond de l’affaire. Ce qui équivaut à maintenir la suspension jusqu’à ce que la décision du procureur général soit examinée dans le fond. Le Conseil d’État a en outre demandé au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de donner son avis sur la validité de cette décision. Jusqu’à nouvel ordre, Mme Aoun ne doit donc plus continuer ses enquêtes sur les crimes financiers. Reste à voir si la juge, qui a poursuivi les perquisitions dans des dossiers liés à des crimes financiers depuis la décision du juge Oueidate, va se conformer à la décision du Conseil d’État.
Le verdict aurait pu être rendu bien plus tôt, mais il s’est fait attendre en raison d’un vif désaccord au sein du Conseil. La semaine dernière, des informations avaient circulé selon lesquelles le chef de l’État, Michel Aoun, dont Fadi Élias, le président du Conseil d’État, est très proche, aurait exercé des pressions sur ce dernier pour faire suspendre la décision de M. Oueidate. Des rumeurs démenties par le bureau de presse de la présidence de la République via un communiqué publié vendredi. On sait que le bras de fer intrajudiciaire entre Mme Aoun et M. Oueidate est sous-tendu par un conflit politique opposant le CPL et le courant du Futur, qui les appuient respectivement.Une source proche du Conseil d’État indique à L’Orient-Le Jour que Fadi Élias avait préparé, il y a plusieurs jours, un jugement provisoire décrétant la suspension de la décision de M. Oueidate. Mais il n’a pas été adopté parce qu’il n’a pas obtenu l’approbation de la moitié plus un des sept membres qui composent l’instance.
Échappatoire
Commentant la décision du Conseil d’État, Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, affirme que l’organisme juridictionnel a utilisé ce moyen comme une échappatoire, lui évitant aussi bien de rejeter la demande de sursis à exécution que d’octroyer ce sursis. « Le Conseil d’État pouvait soit refuser la suspension de la décision tout en continuant à instruire l’affaire, soit la suspendre jusqu’au prononcé de l’arrêt définitif. Mais il n’a fait ni l’un ni l’autre, décidant de joindre la demande de sursis au fond de l’affaire. » Sur un autre plan, M. Zgheib affirme que la décision du CE ne préjuge en rien de la teneur de l’arrêt définitif sur la légalité de la mesure prise par M. Oueidate. Mais il faudra d’abord que la juridiction tranche sur sa compétence. « Au cas où le Conseil d’État considère que la décision entre dans le cadre du fonctionnement du service judiciaire, il se déclarera incompétent parce qu’un tel acte entre dans la sphère de l’indépendance du corps judiciaire et n’est donc pas susceptible de recours. Mais s’il estime que par sa mesure M. Oueidate a dépassé le cadre du fonctionnement pour entrer dans celui de l’organisation du service judiciaire, il se déclarera compétent. »L’ancien président du Conseil d’État Chucri Sader – qui avait demandé en 2017 à mettre fin à ses services après une décision du Conseil des ministres de le récuser de son poste et de le désigner au poste de président d’une chambre de Cour de cassation – affirme pour sa part à L’OLJ que le Conseil d’État est incompétent pour statuer sur les décisions judiciaires relatives à l’administration de la justice. « En réorganisant les tâches, Ghassan Oueidate a pris une mesure d’ordre intérieur, qui s’inscrit dans les décisions relatives à l’administration judiciaire. Selon l’article 627 du code de procédure civile, celles-ci ne sont pas susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État », indique-t-il, soulignant que « si on admet un tel recours, le CE serait le censeur de toutes les mesures administratives prises par l’ordre judiciaire, ce qui porterait atteinte à l’indépendance de la justice judiciaire ». Pour M. Sader, « la décision du procureur de cassation peut, le cas échéant, être examinée seulement par l’Inspection judiciaire dans le cadre d’une faute disciplinaire présumée ».
Un haut magistrat interrogé par L’OLJ estime que le CSM aurait dû éviter le recours au Conseil d’État et réunir les deux protagonistes pour leur permettre de « sauver la face et celle de la justice ». Il rappelle, à ce sujet, qu’en 2013, le procureur près de la Cour de cassation, Hatem Madi, avait pris une décision similaire à celle de M. Oueidate, mais la question avait été rapidement réglée grâce à l’intervention du CSM, présidé à l’époque par Jean Fahd. Toutefois, un proche du CSM actuel affirme que cette institution avait tenté, à maintes reprises et pendant plus d’un an, de remédier aux problèmes causés par un cumul d’infractions, notamment un manquement à l’obligation de réserve et un refus de répondre aux convocations du ministère public. En vain.
Fenêtre brisée
Dans l’attente qu’une solution soit trouvée au litige, une vingtaine de jours après des perquisitions spectaculaires et ultramédiatisées dans les locaux de la société de transport de fonds Mecattaf, la procureure du Mont-Liban a mené, il y a moins de deux semaines et durant deux jours consécutifs, des perquisitions musclées au siège de Prosec, une société de transport interne des fonds, située à Baabda. Le premier jour, Ghada Aoun avait été empêchée par des employés de l’entreprise de recueillir les documents qu’elle réclamait, mais le lendemain, après avoir fait briser une fenêtre et passé plusieurs heures dans les locaux de la société, elle s’était félicitée devant les caméras de télévision d’avoir enfin obtenu les données recherchées, souhaitant au milieu d’une foule de ses partisans que ces données soient « suffisantes ». Ce qui ne l’a pas empêchée de maintenir la plainte déposée la veille contre le propriétaire de Prosec, le général à la retraite Petro Hajji Georgiou, devant le premier juge d’instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour.Une audience est prévue aujourd’hui mardi, au cours de laquelle l’avocat de la société, l’ancien juge Peter Germanos, devrait présenter des exceptions de forme. Selon une source informée, M. Hajji Georgiou a refusé de coopérer avec la magistrate parce que des avocats de banques clientes l’avaient menacé d’actions en justice au cas où il ne se conformait pas à la décision de M. Oueidate de dessaisir cette dernière. Une autre cause de son refus est qu’il craint de perdre sa clientèle et par conséquent de devoir mettre à la rue plus de 300 de ses employés, ajoute cette source.
..."""une décision tardive et MITIGEE qu’a prise hier le Conseil d’État...""" ET QUI OSE SE DIRE SURPRIS par cela ?
11 h 10, le 18 mai 2021