Rechercher
Rechercher

Société - Reportage

Un jeune homme sans histoire assassiné dans le Akkar : l’étrange cas de Ali Salaheddine

Sur fond de désespoir économique dans une région défavorisée où sévit la contrebande, le clan sunnite des Salaheddine et celui chiite des Jaafar s’emploient à apaiser les esprits alors que le mystère s’épaissit sans que l’enquête ne semble avancer. 

Un jeune homme sans histoire assassiné dans le Akkar : l’étrange cas de Ali Salaheddine

Des proches décrivent Ali Salaheddine comme étant un jeune homme qui aimait la vie. Photo João Sousa/L’Orient Today

Son rire et sa générosité étaient ses atouts, il charmait tout le monde partout où il allait : « Tous les gars d’ici à Hermel, de la Békaa à Beddaoui, près de Tripoli, étaient ses amis », raconte Mohammad, le père de Ali Salaheddine, un jeune homme de 21 ans assassiné dans des conditions mystérieuses et toujours non élucidées au Akkar, dans le nord du Liban. C’est dans cette région, à Fneideq, un village aussi pauvre que pittoresque, perché sur les montagnes et entouré de vergers de pommiers, qu’il a grandi. La communauté locale est traditionnellement connue pour envoyer nombre de ses fils servir dans l’armée libanaise qui, avant l’effondrement de la monnaie nationale, assurait un salaire assez décent à ses militaires. Mais Ali, l’avant-dernier de neuf enfants, avait emprunté une voie différente pour travailler avec son frère aîné en tant que chauffeur de camion de transport de marchandises.Au soir du 31 mars, Ali a été rattrapé par le destin, tragique, alors qu’il conduisait un ami au Hermel après avoir passé la journée à Fneideq. Sur un tronçon de route de montagne désert, dans une zone connue sous le nom de Joz al-Dourah, un inconnu a tiré quatre coups de feu sur la voiture, touchant Ali à la tête et le tuant sur le coup. Le tireur ne s’est pas approché de la voiture et n’a pas tenté de dévaliser ses occupants. Le crime n’a pas été revendiqué et l’enquête des forces de sécurité n’a jusqu’à présent révélé aucune piste, du moins aucune qu’elles soient disposées à divulguer.

« Ali n’a jamais posé de problème à qui que ce soit pour que quelque chose comme cela lui arrive. Il était apprécié des autres jeunes gens et avait beaucoup d’amis dans le village », affirme à L’Orient Today son cousin, également prénommé Ali, un activiste communautaire qui organise des programmes pour les jeunes à Fneideq. « C’était un jeune homme qui aimait la vie et c’est terrible qu’à son âge il soit tué d’une manière aussi horrible. » Dans le cortège funèbre, des jeunes gens tiraient en l’air, en signe de désolation.


Mohammad Salaheddine parle de son fils avec, à ses côtés, des hommes du village. Photo João Sousa/L’Orient Today


No man’s land

Les montagnes du Akkar ont toujours été un no man’s land. Après le début de la guerre en Syrie en 2011, elles sont devenues une zone de recrutement pour les groupes extrémistes. En 2014, deux soldats libanais ont été tués lorsque des hommes armés ont ouvert le feu sur leur patrouille dans la zone de Qammoua, près de Fneideq. Un neveu du maire de l’époque avait été identifié comme étant l’un des coupables et, en 2015, le fils du même maire a été tué en Irak en combattant aux côtés de Daech.

Le village a déjà connu des situations où des querelles personnelles se sont soldées par des tirs. « Des crimes se sont produits dans le passé, à cause d’un différend sur des terrains, des femmes ou quelque chose d’autre (…) mais rien ne ressemble à celui-ci, qui reste inexpliqué, dont l’auteur est toujours inconnu et la victime, Ali, un jeune homme sans ennemis ou quoi que ce soit. C’est là le problème », souligne Mohammad.

L’enquête se base, en grande partie, sur des enregistrements téléphoniques qui devraient révéler l’identité des personnes se trouvant dans la région du crime à l’heure où passait Ali Salaheddine, précise la famille qui accuse les forces de sécurité de tergiverser et de ne pas divulguer des informations. « Nous reprochons aux organismes responsables de l’enquête de traîner les pieds, et nous exigeons qu’ils accélèrent l’étude du dossier et dévoilent toute la vérité », a ainsi déclaré la famille Salaheddine un mois après le meurtre. Une récompense de 100 millions de livres libanaises (8 000 dollars au taux du marché parallèle) est promise à quiconque fournirait des informations conduisant à l’assassin. « Le crime fait l’objet d’une enquête », se contente d’indiquer une source des Forces de sécurité intérieure, alors que l’armée s’abstient de tout commentaire.


Le soir du 31 mars, Ali Salaheddine a été abattu sur un tronçon désert d’une route de montagne. Photo João Sousa/L’Orient Today


La connexion Hermel

La présence dans la voiture, au moment du meurtre de Ali Salaheddine, d’un membre du puissant clan chiite des Jaafar de la région du Hermel aurait pu avoir de fâcheuses conséquences, Fneideq étant une localité sunnite et les susceptibilités entre les deux branches de l’islam traversant une période assez délicate. Les Jaafar ont, en effet, envoyé des combattants en Syrie pour soutenir le président Bachar el-Assad pendant la guerre civile et ont la mauvaise réputation d’avoir un rôle présumé dans le trafic de drogue et la contrebande frontalière.

Le meurtre aurait pu attiser les tensions sectaires entre les communautés sunnite et chiite, affirme à L’Orient Today le député Walid Baarini (courant du Futur de Saad Hariri/Akkar). S’il y avait eu une quelconque indication que les Jaafar étaient responsables de la mort de Ali Salaheddine « la région là-haut (Fneideq) aurait été à feu et à sang », mais le jeune homme de la famille Jaafar qui était avec Salaheddine « est venu assister à l’enterrement et a dit aux enquêteurs tout ce qu’il savait. Rien n’indique qu’il soit impliqué dans un acte répréhensible », dit-il.

Selon Salaheddine père, le jeune Jaafar, qui n’a pas été blessé, a appelé un des frères d’Ali dès que le crime s’est produit, puis est venu présenter ses condoléances. Il n’a pas pu être joint pour fournir de commentaire. Mohammad Jaafar, chef du clan, participe lui aussi aux efforts d’apaisement. « De nombreux membres de notre famille connaissaient (Salaheddine), il y avait des échanges entre eux et une délégation du clan Jaafar s’est rendue aux funérailles (…) Il n’y a pas de problème entre le clan Jaafar et la région de Fneideq, nous faisons même face ensemble à l’absence de services de l’État », a-t-il déclaré à L’Orient Today.

Certains amis de Ali Salaheddine dans le clan Jaafar sont même allés jusqu’à produire une chanson et une vidéo montrant le jeune homme arborant un grand sourire, conduisant son camion et fumant un narguilé sur un fond d’images de la scène de crime et au son des paroles d’un chanteur : « Du Hermel nos larmes ont coulé/ douloureuses comme Fneideq… Nous ne nous attendions pas à ce que cela se produise / perdre ton rire aussi tôt. »

L’un des hommes qui avait commandé la vidéo, Hazem Jaafar, affirme qu’il avait été présenté à Ali Salaheddine la veille de sa mort, tous les deux étant allés ensemble à Tripoli, où Salaheddine avait aidé Jaafar dans sa recherche d’un camion à acheter. « C’est la première fois que j’ai autant ri avec quelqu’un (…) Quand j’ai su qu’il avait été tué 24 heures plus tard, je n’y ai pas cru, j’étais choqué », raconte-t-il.

Selon le chef du clan Jaafar, Ali a pu être délibérément visé pour provoquer des conflits communautaires. « Nous craignons que certains, qui ont intérêt à créer des problèmes entre les sunnites et les chiites, cherchent à semer la discorde (...) Mais si Dieu le veut, ils n’y parviendront pas parce que les gens en sont bien conscients et que nous vivons ensemble depuis de nombreuses années. »

Il relève, à ce sujet, que deux jeunes gens du clan Jaafar ont été abattus dans des circonstances mystérieuses en janvier dernier. Au moment où L’Orient Today a interviewé Mohammad Jaafar, ce crime n’avait pas été résolu. Mais lundi, l’armée libanaise a annoncé que ses services de renseignements avaient arrêté trois suspects, dont un soldat et un caporal. La fusillade aurait eu lieu quand les victimes, dont l’une est un soldat, avaient interrompu les suspects en train de voler un transformateur électrique ainsi que des câbles, selon le communiqué de l’armée. Les suspects ont avoué avoir commis plusieurs vols dans les régions de Fneideq et du Hermel.Des sources locales ont indiqué que les suspects sont originaires de Fneideq. Le député Baarini a publié un communiqué dans lequel il affirme que lui et d’autres chefs religieux et politiques de Fneideq et du Akkar se sont rencontrés et ont dénoncé le crime, tout en réaffirmant leur « engagement dans la promotion des relations de bon voisinage avec tout le monde et surtout la famille Jaafar ». Il n’est pas clair si ce crime est connecté à l’assassinat de Ali Salaheddine.

Désespoir économique et contrebande

Est-ce que les opérations de contrebande, assez actives dans la région, tiennent un rôle quelconque dans ce crime mystérieux ? Les avis divergent.

Interrogé par L’Orient Today, le maire de Fneideq, tout en mettant l’accent sur le fait que Ali Salaheddine n’avait de problème avec quiconque, suggère que sa mort pourrait être, en effet, liée d’une façon ou d’une autre à ces opérations. Dans ce cadre, il souhaite attirer l’attention sur le fait que « le Akkar est une région privée de ses droits les plus élémentaires, où il est très difficile de gagner son pain ; le chômage y était de 35, 40, 50 % avant (la crise), maintenant il est passé à 70 ou 80 % », souligne Samih Abdel Hay, selon lequel la situation économique était morose bien avant la crise actuelle. « Ceux qui ont la chance d’avoir du travail ont un salaire inférieur à 100 dollars » et la pression économique a conduit de nombreux « jeunes gens » à s’adonner à la contrebande. « Lorsque je me promène dans la rue principale de Fneideq, je vois des camionnettes faire de la contrebande de farine, de diesel et d’essence et de toutes sortes de produits subventionnés, à cause de la pauvreté et de la faim », dit-il.

Des flambées de violence liées à la contrebande se sont récemment produites dans la zone frontalière avec la Syrie. Un jeune homme a été tué dans la ville d’al-Qasr au Hermel, apparemment au cours d’une fusillade entre passeurs. En novembre dernier, également à al-Qasr, des affrontements ont éclaté entre des membres des familles Jaafar et Nassereddine, en raison d’un différend sur des opérations de contrebande.

Le maire souligne que le jeune Salaheddine « n’avait aucun problème personnel avec qui que ce soit, mais la contrebande à grande échelle y est peut-être pour quelque chose (…) et il aurait pu être pris pour cible par erreur ». Interrogé, pour sa part, sur la possibilité que Salaheddine ait pu être impliqué ou soupçonné de l’être dans la contrebande et visé en conséquence, Mohammad Jaafar en nie catégoriquement l’éventualité. « Pour la contrebande, je ne pense pas qu’il y ait 1 % de chance (…) et en ce qui concerne Ali il n’y a aucun soupçon. »

Le cousin de Salaheddine, Ali, est lui plus circonspect : « Il n’était pas dans un camion de contrebande (quand il a été tué), mais dans une voiture ordinaire (…) Était-ce pour son travail ? Je ne sais pas s’il a été tué à cause de son travail ou pour d’autres raisons. Personne ne le sait. » De même, Jaafar écarte la possibilité que le tireur ait voulu viser le passager et non la victime : « Non, s’ils avaient voulu le tuer, ils l’auraient tué (…) Le tireur a reçu une formation… La question est toujours mystérieuse et nous demandons aux forces de sécurité de découvrir ce qui se passe et de rassurer les gens. »

Le maire avance, en outre, l’hypothèse que la cible aurait pu être le frère aîné de Salaheddine. En fait, les membres de la famille expliquent qu’à l’origine, le frère de Ali était censé ramener leur ami à la maison, mais parce qu’il était fatigué Ali a proposé de le remplacer.

Pour l’instant, tout se limite à des spéculations. « Tout le monde veut savoir pourquoi cela est arrivé (…) S’il y a une raison spécifique, la tension baissera un peu (…) Parce que le crime est inexpliqué, tout le monde est inquiet », souligne le député Baarini.

Abdel Hay, de son côté, estime que le meurtre de Ali Salaheddine reflète un désordre social plus grand et la négligence dans le nord du Liban. « Chaque jour, nous sommes témoins d’un crime comme celui dont a été victime Ali, dit-il. Le plus grand crime étant l’injustice contre le peuple, la corruption généralisée, le chaos et le non-respect de la loi. »

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 7 mars 2021).

Son rire et sa générosité étaient ses atouts, il charmait tout le monde partout où il allait : « Tous les gars d’ici à Hermel, de la Békaa à Beddaoui, près de Tripoli, étaient ses amis », raconte Mohammad, le père de Ali Salaheddine, un jeune homme de 21 ans assassiné dans des conditions mystérieuses et toujours non élucidées au Akkar, dans le nord du...

commentaires (4)

Ce reportage me semble un peu une image fausse de Akkar et Hermel comme des endroits dangereux avec des clans libanais. Quand j'etais en vacances dans cette region (Akkar et Qoyabayat et traversee vers Hermel) il y a le point positif de tres belle nature et montagnes et beaucoup d'endroits interessants, une region avec des possibilites de sports (trekking, velo, biclette, sports de montagne), je ne suis pas d'accord que c'est la-bas une region de chaos et non-respect de la loi.

Stes David

21 h 51, le 12 mai 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Ce reportage me semble un peu une image fausse de Akkar et Hermel comme des endroits dangereux avec des clans libanais. Quand j'etais en vacances dans cette region (Akkar et Qoyabayat et traversee vers Hermel) il y a le point positif de tres belle nature et montagnes et beaucoup d'endroits interessants, une region avec des possibilites de sports (trekking, velo, biclette, sports de montagne), je ne suis pas d'accord que c'est la-bas une region de chaos et non-respect de la loi.

    Stes David

    21 h 51, le 12 mai 2021

  • Ce reportage me semble un peu une image fausse de Akkar et Hermel comme des endroits dangereux avec des clans libanais. Quand j'etais en vacances dans cette region (Akkar et Qoyabayat et traversee vers Hermel) il y a le point positif de tres belle nature et montagnes et beaucoup d'endroits interessants, une region avec des possibilites de sports (trekking, velo, biclette, sports de montagne), je ne suis pas d'accord que c'est la-bas une region de chaos et non-respect de la loi.

    Stes David

    21 h 51, le 12 mai 2021

  • ...et en anglais aussi...ouf...

    Marie Claude

    07 h 18, le 12 mai 2021

  • Cet article vous a pris 30mille pages...un peu trop,alors que tout le Liban souffre de tout.

    Marie Claude

    07 h 18, le 12 mai 2021

Retour en haut