Le vrai Libanais, c’est moi !

Je ne fréquente guère mon voisin chiite, il paraît que les chiites sont venus d’Iran ou d’Irak et ont occupé illégalement la banlieue sud de Beyrouth, le Liban-Sud et la Békaa. Je n’ai pas de sympathie pour mon garagiste, il fait partie des sunnites, ces tribus venues d’Arabie au XVIIe siècle pour porter main-forte au sultan ottoman de l’époque. Je me méfie de mon médecin chrétien maronite. On m’a dit que les maronites ne sont pas libanais, mais des immigrés syriens venus s’installer au Liban au XVIIIe siècle pour servir les catholiques libanais, ces descendants des croisés au passé peu glorieux. Je n’apprécie pas ma voisine chrétienne orthodoxe, elle est comme tous ses coreligionnaires, attachée à la Russie et à la Grèce plutôt qu’au Liban. Quant à ma charcutière druze, elle n’a d’yeux que pour l’Inde et tout ce qui touche à la réincarnation. J’ai quelques « amis » arméniens, palestiniens et kurdes descendants de ces migrants qui ont fini par s’installer chez nous.

À part ces petits détails, j’aime mon pays, le Liban, j’adore les cèdres, le taboulé et les différents ragoûts. Je suis tolérant et respectueux de toutes les cultures et les croyances. J’admire Jésus, Gandhi, Che Guevara, Freud, Rûmi, l’imam Ali, Mar Charbel, Gebran Khalil Gebran, Amin Maalouf et les séries turques sur Netflix. J’aime lire les Évangiles, le Coran, la Bible et Krishnamurti. J’adore gagner de l’argent, par tous les moyens, pour pouvoir acheter mes habits de marque et mes voitures de luxe. Je suis très écologique et très ouvert d’esprit, je parle le français, l’anglais et un peu ma langue maternelle, l’arabe. Concernant la crise du Liban, je suis convaincu que le problème vient de notre mentalité, de notre manque de respect les uns envers les autres, de notre façon d’être, de notre manque de civisme, de notre sectarisme, de notre appétence pour notre sport national, la corruption, et enfin de notre ego surdimensionné.

Arrêtons de nous caricaturer les uns les autres. Les uns veulent démettre leur président, les autres débaptisent la fête des Martyrs, d’autres se spécialisent dans l’art de la manipulation ou l’insulte sur les médias et les réseaux sociaux, d’autres continuent à adorer les seigneurs mafieux, d’autres rêvent de réveiller les démons de la guerre civile, etc.

Tout ce qui est écrit ci-dessus résume bien le discours paradoxal d’un nombre impressionnant de Libanais.

Mais malgré tout, j’ai confiance que le Liban survivra à tous ses malheurs, un cèdre millénaire saura résister aux aléas du temps.

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