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L'envie d'y croire

L'envie d'y croire

© Patrice Normand, éd. L'Olivier

L’Inconnu de la poste de Florence Aubenas, éditions de L’Oliver, 2021, 260 p.

Florence Aubenas est grand reporter au Monde. Elle enquête comme journaliste sur l’assassinat de Catherine Burgod, postière dans un coin reculé du département de l’Ain, Montréal-la-Cluse. Elle ne réussira pas à clore l’enquête mais revient sept ans plus tard pour essayer de le faire dans un roman policier saisissant.

Il faut prévenir le lecteur que tout ce qui circule dans ce livre est réel et pour la plupart des personnages toujours en vie sauf pour les morts prématurées et que la spécialiste des faits divers parvient à réaliser la prouesse de produire une fiction à partir d’une réalité totalement non-fictive.

Le premier rôle est tenu par une « personne » qui détient tous les attributs de l’emploi : Gérald Thomassin est acteur à ses heures perdues et il semble avoir raté une véritable carrière de star (il a reçu un César du jeune espoir). Il détient le rôle-titre dans le film de Jacques Doillon, Le Petit Criminel avec, sporadiquement, des rôles secondaires aux côtés de comédiens célèbres. Mais ce fils de nulle part sans liens parentaux ou locaux peut tomber très bas, jusqu’au caniveau. De petit métier en petit métier, de l’addiction à la drogue à l’entretien des prostituées, il en arrive parfois à faire la manche.

Aubenas ne peut pas procéder autrement que par une vaste enquête journalistique : se documenter, faire un grand nombre d’interviews pour découvrir entre autres données que Thomassin vivait juste de l’autre côté de la poste en face de la femme tuée avec vingt-huit coups de couteau.

L’enquête traîne malgré le recours aux nouvelles techniques d’identification des personnes et de reconstitution des faits. Cette lenteur donne à l’auteur le temps de flâner sur le lieu du crime, de découvrir comment la région a prospéré grâce a une reconversion industrielle dans le plastique ce qui lui a valu l’arrivée de marginaux et de chercheurs d’emploi de tout genre et de cerner les contours d’un « milieu » ou évoluent les suspects habituels dont Thomassin.

Le crime n’est pas reconstitué, l’enquête n’a pas de meneur, elle évolue comme une entité abstraite alors que le crime est expédié en deux ou trois lignes aux premières pages du récit et puis silence radio sur les détails.

Après le roman de la victime et celui du meurtrier dont parlent les historiens du polar, nous voici donc avec le roman du (ou des) suspect(s), ce qui fait flotter le récit dans une incertitude permanente qui durera après que le lecteur ait refermé le livre.

Les pistes se multiplient, les faux témoins dans cette bourgade qui a très rarement connu un crime, se bousculent sans résultat. Le principal accusé est finalement mis derrière les barreaux malgré la prise en charge de sa défense par un avocat redoutable, l’actuel garde des sceaux français, Éric Dupond-Moretti.

La victime qui avait du charisme et qui était aimée de ses congénères, laisse la petite société rurale dévastée. Le plus blessé est son père qui avait veillé à sa carrière. Sa réaction à un rebondissement de taille dans le cours des recherches éclaire son personnage. Thomassin, qui n’a pas encore été jugé, va passer cette fois-ci devant un tribunal. Au même moment, on trouve une compatibilité d’ADN entre les traces laissées par le meurtrier dans le bureau de la poste et un… immigré africain présent à Montréal-la-Cluse lors des faits et qui commence à avouer qu’il est passé par les bureaux de la poste le matin du crime. Et comme les coups de théâtre surviennent en escadrilles, Thomassin disparaît de la circulation et reste introuvable. Il laisse le père, Raymond Burgod, face à face avec un accusé entièrement inconnu, qu’il n’avait pas cherché, dont il n’a pas rêvé la nuit et dont il attendait voracement l’inculpation. Les dernières pages se terminent donc sur une déception ainsi formulée par le père : « Avec Thomassin, il y avait un scenario, de l’émotion, l’envie d’y croire. »

L’Inconnu de la poste de Florence Aubenas, éditions de L’Oliver, 2021, 260 p.Florence Aubenas est grand reporter au Monde. Elle enquête comme journaliste sur l’assassinat de Catherine Burgod, postière dans un coin reculé du département de l’Ain, Montréal-la-Cluse. Elle ne réussira pas à clore l’enquête mais revient sept ans plus tard pour essayer de le faire dans un roman...

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