Douze bâtisses historiques sauvées in extremis à Beyrouth

L’ambassadeur d’Allemagne Andreas Kindl a passé en revue hier l’évolution des travaux de stabilisation de bâtisses classées au patrimoine historique, menacées d’effondrement suite à la double explosion au port de Beyrouth. La violence de la déflagration a endommagé des milliers d’habitations, mais les demeures traditionnelles qui racontent l’histoire de la ville sont les plus vulnérables, car il est très délicat et très coûteux de les réhabiliter. Afin de préserver cet héritage unique, et le cachet des quartiers de Gemmayzé, Mar Mikhaïl et Achrafieh, qui étaient en première ligne lors du drame, il était absolument crucial de consolider les murs de ces bâtiments afin de les protéger d’un éventuel effondrement.

Le 27 août 2020, la directrice de l’Unesco Audrey Azoulay était venue au Liban et avait affirmé la volonté de l’organisation de soutenir les écoles, le patrimoine architectural, ainsi que l’art et l’économie créative. Dans ce contexte, l’organisation a lancé une initiative nommée « Li Beirut » (Pour Beyrouth). Cet appel avait pour objectif de mobiliser les ressources et expertises de l’Unesco pour assister le Liban dans sa reconstruction. Ce sont près de 600 maisons classées au patrimoine qui ont été touchées à différents degrés para double explosion au port. Soixante d’entre elles étaient menacées d’effondrement. L’initiative a permis de sauver les douze demeures les plus critiques, en attendant de nouvelles donations pour poursuivre les travaux. Andreas Kindl a réaffirmé l’engagement de l’Allemagne auprès du Liban. « Nous sommes très heureux de voir l’aboutissement de cet appel auquel nous avons participé (...). Nous nous réjouissons également d’observer d’autres pays donateurs venant se joindre aux efforts de reconstruction comme le Koweït, Bahreïn ou la France ». Berlin est le principal contributeur de cette initiative, ayant fait une donation de 500 000 euros pour ce programme. « Ce montant peut paraître modeste tant les dégâts sont énormes, mais il a été crucial dans l’enclenchement de ce programme qui a rapidement eu les résultats escomptés », explique Costanza Farina, directrice de l’Unesco à Beyrouth.

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En effet, il fallait être rapide et agir avant l’hiver. De nombreuses maisons traditionnelles libanaises sont chapeautées d’un toit en tuiles rouges de Marseille, maintenu par une charpente en bois de qotrani. Mais les toitures ont été largement soufflées par la double explosion. Le plus gros défi était donc de les protéger d’un destin malheureux avant que ne sévissent les précipitations de la saison froide. L’action de l’Allemagne se place aussi dans un regain d’intérêt de ce pays pour la reconstruction du port. En effet, un plan détaillé a été proposé ce mois-ci afin de remettre sur pied cette infrastructure centrale dans l’économie du Liban. Un projet sur vingt ans qui prend en considération les dernières normes numériques et environnementales.

Douze maisons traditionnelles ont été stabilisées pour éviter leur effondrement. Photo João Sousa

300 millions de dollars

Sarkis Khoury, directeur général des antiquités au Liban et partenaire essentiel de « Li Beirut », explique à L’Orient-Le Jour que son service a également lancé une initiative appelée « Adopte une maison », qui permet aux Libanais de la diaspora de se mobiliser pour reconstruire la ville. « Les travaux sur l’ensemble des maisons touchées s’élèvent à 300 millions de dollars environ. Si nous avons les fonds, il sera possible de tout finir en deux ans », affirme Sarkis Khoury. En l’absence de fonds, de nombreux observateurs craignent une destruction de ces maisons et la construction à leur place d’immeubles neufs, dans le cadre de projets immobiliers, comme cela a été le cas à maintes reprises. 80 % des anciennes demeures traditionnelles ont en effet déjà été rasées pour faire place à des constructions modernes, emportant l’âme et l’histoire de la ville. L’action de « Li Beirut » et des autres ONG qui œuvrent à la reconstruction de la capitale, dont Beirut Heritage Inititiative, a été facilitée par l’adoption d’une loi au Parlement interdisant les ventes de propriétés sinistrées pendant les deux années suivant la double explosion au port. Une fois ce délai passé, rien ne peut toutefois garantir que cet héritage sera préservé en l’état, surtout si la reconstruction reste un chantier largement inabouti.

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À côté des maisons traditionnelles, de nombreux logements sont encore inhabitables. Dans ce cadre, le diplomate allemand a rappelé l’opportunité pour les habitants de bénéficier du plan de réponse 3RF (Reform, Recovery and Reconstruction Framework) mis en place par la Banque mondiale. Ses mécanismes ne conditionnent pas l’aide d’urgence à la population libanaise par des réformes politiques et structurelles. Le gouvernement libanais, rappelle-t-on, a été complètement absent des efforts de reconstruction. Un propriétaire de restaurant à Mar Mikhaël affirme qu’il n’a reçu que cinq millions de livres libanaises pour compenser les dégâts de son enseigne estimés à 300 000 dollars. « C’est à peine le prix de quelques ampoules », se désole-t-il.